mercredi 22 septembre 2010

Œdipe girardien ,Œdipe freudien : complexe critique

Œdipe est une des figures majeures de la culture moderne. Elle l'est devenue surtout grâce à Freud qui en a fait la pierre d'angle de la psychanalyse. En effet, Freud à cru déceler dans le mythe la récit paradigmatique d'une structure inconsciente universelle qui se pose en termes de parricide et d'inceste. Or c'est précisément ce dont on accuse le roi de Thèbes. Généralement, le mythe est tenu pour vrai, dans le sens où, personne ne songerait, désormais, à laver Œdipe des accusations qui pèsent sur lui, à l'innocenter du double crime dont on le charge : nous tenons tous pour le fait que le héros mythologique est vraiment coupable.

A notre connaissance, René Girard seul, va à l'encontre de cette unanimité. Œdipe, de fait, revient à plusieurs reprises dans ses ouvrages, soit dans l'analyse du mythe lui-même, soit dans celle des pièces de Sophocle. Pour Girard, Œdipe est un bouc émissaire : on ne saurait croire - seul le mythe peut y croire - qu'un parricide ou un inceste soit la cause réelle de la peste qui tombe sur Thèbes. Prétendre que les actions d'Œdipe sont à l'origine de la peste, cela est purement mythologique. Dans le cas où, la peste serait une métaphore d'un mal englobant et communicatif, Œdipe est, par les crimes qu'on lui impute, une figure de "pharmacos" qui accepte de prendre sur lui le mal pour en délivrer Thèbes, voire il serait coupable de l'origine d'une "peste", figure de la violence mimétique, violence dont il sera lui-même la victime consentante. On le voit, le parricide et l'inceste pour Girard, ne tiennent presque aucune place dans sa lecture du mythe si ce n'est celle d'une accusation factice, dont ne saurait être coupable Œdipe. René Girard, en arrive, par cette position, à une critique du complexe d'Œdipe en particulier, et de la psychanalyse en général, lui reprochant de maintenir la méconnaissance liée au désir mimétique, de perpétuer une méprise en tenant les accusations pour vraies. La psychanalyse serait donc, pour le chartiste, une structure sacrificielle supplémentaire, un signe culturel moderne du mimétisme.

Pourtant, à y regarder de plus près, il semblerait que les deux théories ne sont pas, forcément, opposées. Girard, fidèle à son réalisme, cherche à savoir si le mythe dit vrai ou non, en l'espèce, si Œdipe est coupable ou non de ce dont on l'accuse : avoir tué Laios, son père, et épousé Jocaste, sa mère. Après une analyse pointue et efficace du mythe et des pièces de Sophocle, Girard en arrive à la conclusion de l'innocence d'Œdipe, innocence de ses crimes-là en tout cas. René Girard, cherche et trouve, dans le mythe des preuves littéraires et structurales de sa théorie. La démarche de Freud, n'est pas celle-là. Freud ne part pas d'une théorie, il part d'une expérience de la cure, et décèle ou croit déceler, dans chaque personne un désir inconscient de tuer son père et de coucher avec sa mère, désir, surtout propre à l'enfant, qui doit trouver une résolution. Il trouve dans le mythe d'Œdipe non pas tant une preuve de sa théorie du complexe homonyme, mais la trace de celui-ci. Peut importe après tout qu'Œdipe ait tué son père et couché avec sa mère, ce qui importe c'est que le mythe conserve une trace du  fantasme du double désir, et même s'il ne la conserve que sous forme d'accusation. Le désir est là pour Freud sans même qu'il faille se demander s'il est réalisé ou pas. On peut supposer que Freud faisait une lecture naïve du mythe en attribuant de facto le parricide et l'inceste à Œdipe, ce qui donnait à son complexe une force supplémentaire, Œdipe devenant ainsi une incarnation du complexe. En fait, Freud, par sa lecture, ad litteram, du mythe, faisait de celui-ci un paradigme culturel épuré, pour ainsi dire, de ses aspects proprement mythologiques. Ce faisant, de cette lecture psychanalytique du mythe, des mythes, naît une culture de la prégnance du mythologique qui se répand dans tous les secteurs de la création culturelle, mais aussi bien dans la vie quotidienne. Le complexe psychanalytique d'Œdipe, étant devenu, le poncif de la transgression, et à lui seul une nouvelle mythologie, qui, et Girard à raison de ce point de vue, recouvre d'un voile, doublement mythologique, le mimétisme violent du désir. Mais faut-il l'imputer à la psychanalyse?
 
René Girard, en prenant le mythe au sérieux mais uniquement pour ce qu'il est, innocente Œdipe, et se faisant critique, avec raison, la réception naïve de celui-ci. Girard refuse de faire du mythe un paradigme culturel, qui nécessiterait une certaine démythologisation. Prenant le mythe pour ce qu'il est, c'est-à-dire, essentiellement un mensonge, une mise en forme de la violence mimétique faite par ceux-là même qui en sont les coupables, Girard, démythologise la culture et pas le mythe lui-même.

 La critique girardienne de la psychanalyse peut être reçue, dès lors, en tant que celle-ci peut créée une nouvelle mythologie, et parfois donner prise à une certaine forme de désir métaphysique - autre nom du désir mimétique, elle peut être reçue non sans que la psychanalyse fasse elle-même une critique de sa propre lecture de la mythologie. La psychanalyse, quant à elle, peut prétendre à critiquer la critique que lui fait Girard, en ce sens que son niveau de discours ne se situe pas au même point. Reste à savoir dans quelle mesure le fantasme lui-même peut être mimétique, dans quel mesure il peut être source de violence comme fantasmé justement?  Dans le cas du complexe d'Œdipe, comment s'articule le double désir de parricide et d'inceste d'une part, et le désir mimétique d'autre part ?

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