lundi 6 septembre 2010

L'histoire, le cinéma et la tempête.

Il fut un temps - lointain déjà - où l'on faisait de l'histoire sans images. Et comment aurait-il pu en être autrement? Nous n'avions aucune archive photographique des conquêtes d'Alexandre, rien à propos de la guerre de Trente ans, pas plus sur la dynastie des Tudors, et rien sur la conquête des Amériques par les Espagnols. Nous devions nous en tenir aux textes, à la lettre, dans une ascèse de l'imagination, un jeûne bénéfique des images.
Depuis, l'histoire se fait, pour le grand nombre, avec abondance d'images. Le cinéma supplée au manque cruel, le jeûne est rompu. Nous sommes, pour ainsi dire, contemporains de la prise d'Orléans, de l'assassinat de César, de l'expulsion des juifs d'Alexandrie, du mariage de la reine Margot. Non seulement contemporains, mais intimes, presque plus intimes que les acteurs réels des événements, puisque nous savons tout, voyons tout, la scène et les coulisses.
L'on dit que nous ne sommes pas assez idiots pour confondre œuvre de fiction et histoire, c'est à voir. N'empêche que le cinéma, en matière historique, nous impose des images, qui habitent notre esprit et notre imagination, et désormais, devant leur flot puissant, nous ne pouvons plus faire de l'histoire sans peu ou prou faire marcher la machine à images. L'ennui c'est que les images colportées par le cinéma sont des artefacts doublement mensongers. Une première fois par nature, et une seconde fois par intention. Le cinéma est partial, il donne une interprétation subjective et bien souvent nourrie d'idéologie, mais la force et l'impact de l'image, font presque insensiblement abdiquer notre sens critique. Nous considérons pour vrai ce qui nous est montré. La littérature romanesque a emboîté le pas et l'on écrit aujourd'hui comme l'on fait du cinéma, une écriture imaginale, toute influencée par le septième art. Nous ne savons plus très bien, si le cinéma s'inspire de la littérature ou si c'est lui qui l'inspire. Quoi qu'il en soit, c'est l'Histoire qui en prend pour son grade.



Ce matin à la radio,  Guy Carlier, lamentable, nous parlait, de son ton larmoyant, de la tempête récente et de ses victimes . Et de nous tracer le tableau mi-moqueur mi-compatissant, d'un air supérieur, les victimes n'étant, aux termes de ce qu'il disait, que des gens possédant " des photos sous cadres provenant des galeries lafayette", et je ne sais quels autres "souvenirs de voyages avec le comité d'entreprise". Et alors? Les choses auraient été différentes si les malheureuses personnes avaient été des chroniqueurs de canal plus, ou des stars de la télé ou des journalistes, cette classe supérieure? Il n'y a aucune honte à aller acheter des cadres aux galeries lafayette, pas plus que d'avoir des souvenirs de vacances. En revanche, il y en a à mépriser tout cela.
Et pour faire montre d'un esprit lumineux et libre, Carlier, de se demander, invoquant Freud et Lacan, "si Dieu n'avait pas besoin d'une psychotérapie". Voilà encore un esprit fort préoccupé par l'implication d'un dieu, sensé ne pas exister, dans les catastrophes naturelles. Mais si faute il y a à la Faute sur Mer, c'est d'abord, celle de la cupidité, du goût démesuré du profit, de l'avidité, de l'idiotie, de l'incurie et de l'envie. Les éléments naturels sont sans intelligence, même pas aveugles; ils n'ont ni cœur ni yeux. Et Dieu n'était pas dans les molécules des flots déchaînés, pas plus que dans celles du vent de tempête, et les morts pas plus coupables que les vivants. Mais bon, Dieu est pratique dans certains cas, il permet d'évacuer les problèmes moraux et de les remplacer par une pseudo interrogation métaphysique, d'un autre âge.

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