jeudi 2 septembre 2010

Se connaître pour quoi faire?

γνῶθι σεαυτόν ( gnôti seautov). Connais-toi toi-même. Socrate reprend cette adage delphique - inscrit au fronton du temple d'Apollon à Delphe donc. Il semble que les temps qui courent, et ils courent vite - comme les morts, selon le préambule à Dracula de Bram Stocker- soient pris de la fureur de la connaissance de soi. Mais il est fort à parier qu'il y a entre la maxime delphique, et socratique, et celle que professe nos temps rapides une différence de taille. Une chose commune cependant : le bonheur.
L'adage grec est le préambule au bonheur, ou mieux à la vie bienheureuse. L'adage contemporain se présente lui aussi comme la porte d'entrée au bonheur. Mais différence : si dans les deux cas, on parle de "bonheur", la notion n'est pas équivalente. Le bonheur, là, est la vie bienheureuse et, ici, une vie comblée. Là, la vertu est requise, ici, elle est ce qu'on évite.
La vie bienheureuse socratique va de paire, avec une recherche de la vertu, et donc avec une éthique, une morale. La connaissance de soi, est donc la pierre de fondation d'un processus éthique. Ce dynamisme commence par une relativisation du moi précisément. La connaissance de soi socratique est une relativisation du moi, chose qui n'a rien de morbide, il s'agit, simplement d'une mise en perspective : se connaître c'est se connaître comme relatif, et fini, et soumis à la morale. La connaissance de soi n'est donc pas une infatuation du moi, comme elle l'est pour beaucoup de courants aujourd'hui. Il ne s'agit pas non plus d'une manie de l'introspection, un nombrilisme, morbide celui-là, qui irait de soi à soi.
Il est d'ailleurs à noter que l'adage originel est inscrit sur le fronton d'un temple et du temple d'Apollon, le dieu des arts et de la lumière. L'adage est donc religieux. Il se trouve que notre siècle évacue le religieux, et ce pour différentes raisons : peur, indifférence, haine, ressentiment, ignorance, colère.
Le connais-toi toi-même se trouve ainsi vidé de sa substance transcendante, de sa portée spirituelle et philosophique. Il ne devient aujourd'hui qu'un exercice purement psychologique qui, en soi, peut avoir son importance mais qui, en définitive, ne mène à presque rien. Un peu comme un maison qui n'aurait jamais de toit, ni de porte, ni de fenêtres.



Car la plus part des tenants contemporains d'un "connais-toi toi-même", ramené dans les limites d'une interprétation laïque et psychologique, tiennent aussi à une vie humaine bornée entre naissance et mort. Dans cette perspective profondément a-religieuse, où la vie n'est qu'un serpent qui se mort la queue, on peut se demander à quoi donc servirait de se connaître, si ce n'est à patienter, à s'occuper en attendant le grand noir, et le point final à toute cette énergie. Car, il faut bien le reconnaître, ça me fait une belle jambe de me connaître si après tout, cette connaissance et moi, finiront dans un trou couvert de terre. Je préfère alors occuper le temps qui me reste à autre chose qu'à connaître ce "cadavre ajourné", comme dirait Fernando Pessoa.

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