vendredi 1 octobre 2010

La pudibonderie et Thésèse de Lisieux

La pudibonderie, son absence ou sa présence, semble être une grande préoccupation pour certains esprits de notre temps, et spécialement pour les esprits éclairés, qui se croient tels, en tout cas. Qu'est-ce que la pudibonderie? Voici une définition : " réserve excessive et généralement déplacée notamment en ce qui concerne les choses relatives à certaines parties du corps et au sexe." La pudibonderie n'est donc pas la pudeur, le rapport de celle-là à celle-ci, est un rapport d'excès : "réserve excessive", mais aussi un rapport de déplacement : "réserve excessive et généralement déplacée". Pour être pudibond, il faut avoir une réserve déplacée et en excès.
Déplacée, cela veut dire qu'elle ne devrait pas avoir lieu dans une configuration précise, une occasion qui ne requiert pas, par sa nature, la réserve susdite. Une réserve qui apparaitra doublement excessive donc, d'abord par son inadéquation avec l'instant ou le lieu et ensuite par son exagération quantitative. 

La pudibonderie donc est, au final, une faille de jugement, puisque elle se manifeste alors qu'elle ne le devrait pas, incapable qu'elle est de juger de l'opportunité de ne pas manifester sa réserve, et une faille non pas par défaut, mais pas excès, excès de défaut, plus précisément, c'est-à-dire qu'alors qu'elle pourrait le faire, la pudibonderie se retient de parler ou manifester des "choses relatives à certaines parties du corps ou du sexe".


Lorsque la réserve n'est ni déplacée, ni excessive, on a donc affaire non plus à la pudibonderie, mais à la pudeur, pudeur qui regarde, au premier chef, les mêmes choses que la pudibonderie, et non pas uniquement, comme une certaine tendance veut nous le faire croire, les sentiments intérieurs, pour être un peu vert, disons-le nettement : on ne craint plus de montrer son cul - et ne pas le faire serait pudibond - mais on tremble de parler de ses mouvements intérieurs, et le faire serait manquer de pudeur !


Le jugement qui doit s'opérer en matière de réserve est relatif à un espace-temps précis. Dans l'Angleterre victorienne, il était mal venu de montrer sa cheville dénudée, le faire était un attentat à la pudeur. Ne pas oser montrer ses mains nues, était sans doute pudibond. Au Moyen Age, période moins pudibonde qu'on le croit, dormir nu était habituel, et c'était sans doute faire preuve de pudibonderie que de vouloir à tout prix se mettre en chemise pour la nuit. Aujourd'hui, il est difficile, eu égard à une libéralisation des moeurs, de dire avec précision, ce qui relève de la pudeur et ce qui déjà est pudibonderie. La confusion qui peut exister entre les deux est déjà en soi un marqueur alarmant : il est fort à craindre, en notre époque sursaturée en images érotico-pornographiques, en sollicitations de toutes sortes, que la pudeur ait disparue, ou tend à disparaitre, pour ne laisser place qu'à la pudibonderie. En effet, dans le concert général, toute retenue, d'ordre physique ou sexuel, ne serait être interprétée que comme déplacée et excessive. Il est à parier que le curseur de la tolérance se déplacera encore d'avantage vers un libéralisation qui ne donnera plus à la pudeur l'occasion de s'exprimer. Aussi toute réserve sera, dans le déballage générale, pudibonderie.


Il est convenu - c'est la doxa commune et habituelle, qui de ses dogmes nous rebat les oreilles quotidiennement - que la pudibonderie et sa cousine, - ou sa fille, ou sa mère, les liens de parenté sont confus - la culpabilité, sont un héritage judéo-chrétien. Cela est entendu, cela est cru, cela est colporté par une opinion qui au fur et à mesure qu'elle croit et colporte perd en intensité lumineuse, pour parvenir, en bout de chaîne, à un ânonnement bêta, au vernis d'une pseudo-science : si vous voulez briller en société, au cours d'un apéritif-dinatoire, d'une sauterie, invoquez la culpabilité judéo-chrétienne, et ne vous faites pas passer pour un pudibond. 
Selon donc cette opinion, et logiquement, il n'y aurait ni pudibonderie - pudibonderie excessive est un pléonasme - ni culpabilité en régime islamique et encore moins athée. La culpabilité, corollaire de la pudibonderie, est une invention essentiellement chrétienne, enfin à ce qu'il paraît. Ah, le bienheureux monde d'avant l'an zéro, où la culpabilité, n'ayant pas encore été inventée, l'humanité gambadait nue, insouciante, sans réserve, toute à sa joie innocente. Quoi ? La tragédie grecque? Ah bon, il serait question de culpabilité dans la tragédie grecque? Est-ce possible? Pourtant, c'est bien avant le Christ non? 
Mais laissons la tragédie et ses états d'âme - ses prises de têtes, comme on dit si joliment aujourd'hui -, certaines idées toutes faites ont la dent dure, et celle qui veut que le christianisme haïsse le corps, soit pudibond, et culpabilisant, est l'une des plus dure qui soit. 


Notre époque à horreur de la pudeur quelle confond avec la pudibonderie, et nous voilà sommés de nous dévoiler, moins intérieurement d'ailleurs que physiquement, nous voilà appelés à l'étalage non pas de notre monde intérieur - qui aurait-il d'ailleurs à montrer si ce n'est la vacuité, tant est vaste le vide spirituel de ce temps-ci - mais de notre physique, et pas que le physique, mais aussi si possible, de ce que nous en faisons, à l'intime, pas de honte, vraie ou fausse, à avoir, venez comme vous êtes. La pornographie est devenue un mode d'exister en soi, et d'une banalité quotidienne. (Je n'ai rien contre la pornographie comme telle, c'est même très intéressant.) Un film qui évoque une sexualité liée au sentiment est pudibond, et dispense un message, par excès de morale, culpabilisant, des scènes explicites et longues dans un film non-classé X, normal, allez pas de pudibonderie excessive (sic), y'a tellement de sensibilité dans tout ça tu comprends, et puis un peu de provocation, pour bousculer les valeurs bourgeoises quoi. Mais diable, ce qui est éminemment bourgeois aujourd'hui c'est précisément le dictat du bousculement transgressif - prétendu - des valeurs, c'est la transgression élevée en obligation modale, en pose culturelle,  et c'est la bobo-attitude, néo-bourgeoise, pseudo-transgressive qui est devenue la norme. 
La vraie transgression aujourd'hui, c'est ne vouloir pas participer au concert, c'est s'en tenir à une réserve, et ne pas applaudir à chaque fesse qui se dévoile, à chaque phallus qui s'exhibe, à chaque coït qui s'étale, c'est croire encore en la valeur de la pudeur, et en sa valeur érotique surtout. Un idéal tout simplement.






Aujourd'hui, fête de Thérèse de l'Enfant-Jésus. En voilà bien une, qui serait vite taxée de pudibonde d' une part et d'exhibitionniste de l'autre. Pudibonde, elle le serait d'office par sa naissance dans la bourgeoisie de Normandie, par son éducation, par son siècle, par sa religion, par son choix de vie. La pauvre ! Pas gâtée, la fille. Exhibitionniste, impudique :  la voilà qui rédige, sur des carnets, la relation de sa vie intérieure. D'abord, ça ne nous regarde pas, on veut pas savoir ; cachez ce cœur, cette âme qu'on ne saurait voir, ensuite, et plus prosaïquement, on s'en moque. L'Eglise en a faite une sainte, et un docteur de l'Eglise - désolé, on ne dit pas doctoresse, ou docteure - elle partage ainsi avec Thérèse de Jésus d'Avila, et Catherine de Sienne, en ce qui regarde les femmes, cet honneur. C'est à dire, que sa "doctrine" spirituelle est reconnue comme universelle et ayant un teneur exceptionnelle. Thérèse de l'Enfant-Jésus confrontée à l'angoisse , à la névrose sans doute, à su avec elles composer et, en un siècle, dans un milieu, qui se faisait de Dieu un idée si peu évangélique, a été capable de trouver une voie vers un Dieu plus authentiquement chrétien, non pas une divinité menaçante installé sur son nuage de puissance, mais un Amour qui précède toujours celui qui le cherche. Pour le dire rapidement, elle est le point final à la crise janséniste, elle est le barrage à toute idée culpabilisante de Dieu. Elle est dans son expérience propre, dans sa chair, l'interrogation confiante et ,malgré les échecs, les tares, les déterminismes, les conditionnements, la preuve que la liberté existe. La liberté d'aller vers soi comme sujet, vers soi comme sujet d'une parole libre, d'une parole qui soit à soi vraiment, non pas dans le soi à soi de l'égotisme, mais dans le face à face avec l'Autre.











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