vendredi 15 octobre 2010

Le Sida et la justice immanente.

« Précisément, que pensez-vous du Sida ? Y voyez-vous une ‘punition de Dieu'  suite à la libération sexuelle ? » Voilà la question posée, par le journaliste.

La réponse de  Mgr André-Joseph Léonard : il ne s'agit « pas du tout » d'une punition : « On a posé à Jean-Paul II un jour cette question-là : « Est-ce que le sida est une punition de Dieu ? » Il a répondu avec beaucoup de sagesse : « Il est très difficile de connaître les intentions de Dieu ». Pour ma part, je ne raisonnerais pas du tout en ces termes. Tout au plus je verrais cette épidémie une sorte de justice immanente, pas du tout une punition, un peu comme, sur le plan écologique, quand on malmène l'environnement, il finit par nous malmener à son tour.  Et quand on malmène l'amour humain, peut-être finit-il par se venger, sans qu'il faille y faire intervenir une cause transcendante ». 

Il renvoie à l'explication des chercheurs : « Peut-être s'agit-il d'une justice immanente, mais quant aux causes immédiates, ce sont les médecins qui seront aptes à dire où cette maladie est née, comment elle s'est transmise au début, quelles ont été les voies de sa propagation ».

Poursuivant le rapprochement avec les mécanismes de l'écologie, il ajoute: « Si vous souhaitez une considération plus générale, je la verrais plutôt dans l'ordre d'une certaine justice immanente. Malmener la nature physique amène celle-ci à nous malmener, et malmener la nature profonde de l'amour humain finit toujours par engendrer des catastrophes à tous niveaux ».

(Monseigneur Léonard : Entretiens avec Louis Mathoux, p. 243)


Voilà, qui fait encore couler beaucoup d'encre, et se délier les langues. "Justice immanente" l'expression est lâchée et bien qu'elle soit mesurée, en elle-même, elle fait l'effet d'un chien fou, d'une bête féroce, pour l'opinion qui ne comprend pas, ne comprend plus, ne peut plus comprendre, ce que cette notion peut vouloir dire. Immanente ? c'est quoi "immanente?" et Justice? Quoi le Sida est juste? La maladie juste? Mais ce Léonard est pire qu'Hitler, un fou furieux, normal il est catho. etc...
Bref, l'évêque s'obstine à parler comme si tout le monde comprenait ses notions philosophiques et le drame est que personne ne pipe mot à ce qu'il dit. Il a beau jeu ensuite de répéter que le sida n'est pas une punition divine, et n'est donc pas le fruit d'une justice transcendance (le contraire d'une justice immanente), mais plus personne ne l'entend, plus personne ne veut l'entendre, et on préfère, pour de raisons mystérieuses, en rester à ce que l'on a compris, ou cru comprendre, ou voulu ou pu comprendre.

L'immanence s'oppose à la transcendance. L'immanence procède de la chose considérée en elle-même, sans faire intervenir une cause extérieure quelle qu'elle soit, ni divine, ni humaine. La nature qui se "révolte" contre les atteintes qu'on lui porte c'est de l'immanence, le poumon qui cancérise suite à un tabagisme forcené, c'est de l'immanence, celui qui meurt pour s'être jeté du 10e étage, c'est de l'immanence, et d'une certaine manière c'est "juste", non pas au sens  d'une sentence suite à un débat moral, d'une conformité morale, mais au sens où, dans l'ordre naturel, tel que nous le connaissons, il y a conformité entre la cause et l'effet. C'est de cette "justice" là que parle Léonard, et qui n'a rien à voir avec une justice morale, même si elle peut avoir des implications morales, ni avec des décrets humains, et encore moins, divins.

On peut ne pas être d'accord. Mais il faut amener le débat sur le terrain de la notion, ou des notions utilisées, c'est-à-dire ici en philosophie morale, en anthropologie morale, elles ne se trouvent pas ailleurs. Placer le débat, là où les notions ne sont pas, là où les notions ne parlent pas, c'est de la malhonnêteté intellectuelle pure. La critique est possible, elle est même souhaitable, mais encore faut-il comprendre ce que l'on critique, pour qu'elle soit autre chose que des cris d'orfraie. Mais un tel débat est-il possible? Ne se contente-t-on pas un peut vite de médiatiques indispositions? Rien n'est servi dans des affaires comme celle-ci, ni la vérité, ni l'honnêteté, ni la justice, ni la justesse, ni la compassion, ni rien qui ait encore quelque noblesse.

La faute n'en est pas qu'aux récipiendaires, elle est portée aussi en partie par le destinateur :  il faudrait qu'André prenne conscience que son discours est parfaitement inaudible, inintelligible par la plus part, parler de "justice immanente" risque fort de passer pour une énigme provocante, être totalement incomprise et, au final, être interprétée comme son exact contraire. 


http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2010-10-14/mgr-leonard-le-sida-une-forme-de-justice-immanente-798239.php

On voit comment le SOIR, n'y comprend rien... et je ne dis rien des commentaires.

http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2010-10-15/mgr-leonard-clarifie-son-point-de-vue-sur-le-sida-798356.php


Dans toute cette affaire, et dès qu'il s'agit du Sida, je pense que l'on est "possédés" par un discours qui vaut pour vulgate. En une époque qui fait fort de liquider tous les tabous, il est étonnant d'en voir apparaître d'autres. Aussi, le sida en est un, à plus d'un titre et notamment au niveau du discours que l'on tient à son propos.
Ainsi il est tenu qu'il s'agit là d'une grande calamité que seul et, seulement, le préservatif serait en mesure de juguler. Ce discours, relayé par des lobbys de toutes sortes, et gays notamment, est devenu dictatorial; il est interdit, impensable et intolérable d'en tenir un autre sous peine de passer, paradoxalement, pour un fou dangereux, un fasciste, un rétrograde, un réac. On est en droit de ce demander de quel côté est l'intolérance, et où se trouve la tyrannie, la tyrannie de la pensée unique et du consensus politiquement correct.
Lorsque l'Église parle du sida, elle en parle de son point de vue, qui n'est pas sanitaire, mais moral, vu que le sida, sa propagation, est lié, majoritairement, à un comportement qui relève aussi de la morale. Les actes humains, et la sexualité en fait partie, ont quelque chose à voir avec la morale, et l'Église alors défend ce qu'elle croit devoir défendre. C'est lui faire un procès d'intention que de lui reprocher de ne pas parler de sanitaire. Le préservatif est avant tout une solution sanitaire, l'Église, promouvant la fidélité, se place sur le plan de la morale, tout en disant que l'on ne peut en cette matière en rester uniquement au plan sanitaire. C'est son rôle et ce qu'Elle estime être son devoir, et encore heureux qu'Elle le dise, après chacun est libre d'entendre ou de ne pas entendre. Nul n'est obligé, en conscience, d'adhérer.

Parler du sida sans adopter la doxa, le discours majoritaire tenu pour seul légitime, c'est risquer de ne pas être compris et de faire face à un mur de sourds. Parler du sida, c'est toujours de manière implicite faire référence, consciemment ou non, à des pratiques sexuelles spécifiques et à des publics particuliers, nommément les homosexuels; on sait bien que cette maladie touche aussi des hétéros, il n'empêche que, parler de sida, c'est aussi parler d'homosexualité. Il est donc délicat d'aborder la problématique sida en termes strictement moraux, d'une part parce qu'il s'agit d'une maladie, et on a l'impression d'elle doit rester cantonnée à l'hôpital, où la compassion seule doit prévaloir, et d'autre part, parce que, tôt ou tard, on parlera d'homosexualité, et qu'en cette matière on ne peut pas parler dans la différence non plus, c'est-à-dire  en des termes autres que ceux convenus et "canonisés" par l'opinion majoritaire. Voilà donc comment se fonde les tabous nouveaux : à l'origine une maladie touchant à la sexualité et se transmettant par les rapports sexuels - rien de nouveau, la syphilis était pareille, en ce sens- ayant un impact symbolique fort, véhément, touchant le sang, le sperme, bref ce qui peu symboliser pour nous la vie - en là c'est différent de la syphilis. Ensuite, la maladie est liée aux homosexuels qui sont perçus, à tord ou à raison, comme les premières victimes de l'épidémie. La maladie y gagne son caractère infamant, discriminatoire, moralement discriminatoire - elle l'était déjà, une maladie est toujours discriminante-, elle est un stigmate venant frapper des personnes qui le sont déjà en raison de comportement moralement réprouvés. Bien que les mentalités aient changé là-dessus, nous en avons gardé quelque chose qui va précisément être le terreau du tabou. Dernière étape, évacuer la dimension morale comme inopérante dans cette matière. La sexualité est ainsi ramenée à un acte qui n'a pas plus de signification que de se vider la vessie, ou de manger à midi. L'acte sexuel n'ayant plus de portée morale, il ne reste qu'à parler de prévention sanitaire, et du sacrosaint préservatif. Et le tabou est en place. Il devient désormais interdit de parler d'autre chose, car cela serait réintroduire de la morale, et c'est là que le bât blesse.
Pourtant, si l'on s'arrête au préservatif, les associations qui le défendent - avec raison, même si je n'adhère pas à toutes leurs raisons- pose, le savent-elles? , un discours moral, voire moralisateur.
Moral : lorsque l'on défend l'usage du préservatif pour "préserver" l'autre dans le cadre d'un rapport sexuel, c'est moral ! Il ne s'agit pas d'autre chose, et cela même si, pour les dites associations, on fait plutôt preuve d'humanisme ou d'altruisme, toutes choses morales d'ailleurs. Aussi étrange que cela puisse paraitre, la morale évacuée réapparait, sans dire son nom, et c'est cela précisément qui en fait, parfois, un discours moralisateur.

Pour finir, cette précision : la morale n'est pas un petit catalogue de petits principes étriqués, mais la dynamique qui répond à cette question fondamentale "que dois-je faire pour bien faire"? La réponse à cette question implique une volonté de bien faire, et la conscience éclairée pour agir et prendre des décisions. Et là chacun est dans un face à face de soi à soi, où personne, ni associations, ni église, ni groupes de pression, ne saurait se substituer, ni, au final, intervenir dans la réponse personnelle, éminemment personnelle que l'on donne à la question. Voilà, je crois le seul humanisme qui vaille. Encore faut-il se poser la question et "se prendre un peu la tête".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire