samedi 2 octobre 2010

Une nuit blanche, et autres amusettes du même tonneau

On ne compte plus les fêtes populaires à tendance cultureuse : de la musique, du cinéma, des musées, des jardins, du patrimoine, et la fameuse nuit blanche. Le développement de ces événements est corrélatif à l'extension de la déculturation, car si les fêtes cultureuses progressent la culture, elle, régresse. La culture sérieuse, s'entend, pas les amusettes pour cerveaux désoeuvrés à qui l'on donne abusivement et de manière mensongère le nom de culture, et qui n'en mérite pas d'autres que celui de divertissement. En soi, le divertissement n'est en rien mauvais, au contraire, on ne peut vivre toujours dans le sérieux, et nous ne somme pas contre une franche partie de rigolade, et à ce titre, nous préférons le festival de la bière à Munich, que les nuits blanches, que l'on nous pardonne notre mauvais goût. . Ah, mais j'entends d'ici quelques voix amusées, me dire mais les nuits blanches sont sérieuses, on y rit pas ! C'est vrai on rit pas du tout.
Et l'establishment  de s'esbaudir de la fréquentation des blanches nuits, des grandes expositions et des musées où l'on ne sait plus comment attirer, un public ignare mais enthousiaste, docile mais écervelé, dont la bonne volonté tient en grande partie de l'imitation du voisin, et de la dynamique des foules, un public incapable, en majeure partie, de déchiffrer la moindre œuvre vue, plus que regardée d'ailleurs, une foule certes, heureuse sans doute, de participer à la liesse culturelle, à cette démocratisation joyeuse et événementielle de la culture. "La culture pour tous", voilà qui sonne le glas de la culture justement, à force d'être pour tous, elle risque bien de ne l'être pour personne, tant elle disparaît, se cache, se terre, s'amenuise. Si, en effet, la culture est destinée à tous, elle l'est non pas par braderie, mais par effort, par mérite, oui. N'importe qui peut, en droit, y accéder mais d'un manière personnelle, voulue, choisie, ce qui exige une ascèse, osons-le dire. Mais les références de cette culture-là, ne sont pas celle de la néo-bourgeoisie, cette classe générale, quasi unique aujourd'hui, qui règne, dicte, commande et ordonne à l'heure qu'il est. Les références de la culture néo-bourgeoise - d'aucune l'appelle petite-bourgeoisie - sont des références de bazar où tout se mêle et se confond, Haydn y côtoyant Elton John, les madrigaux de Monteverdi, Dalida, Mantegna s'y voit mêlé aux mangas, etc. Bref, un jus de culture qui ressemble fort à bouillon de onze heure. Et nous n'avons rien contre Elton John, rien contre les mangas, et rien, au contraire elle nous est chère,  contre Dalida. Mais tout de même, nous faisons une différence : Elton John n'est pas, par exemple, le plus grand musicien de tous les temps. "De tous les temps", voilà bien un expression qui fait florès aujourd'hui, et qui est d'une relativité toute relative. Cela commence où "tous les temps"? L'autre jour, je tombai sur le classement des dix plus belles chansons françaises de tous les temps, et hélas, aucune chanson de la Renaissance française, aucune du XVIIIe français, qui, Dieu sait, en comptait beaucoup. Non, "tous les temps" commençaient, pour ce classement, à Françoise Hardy - belle chanteuse au demeurant. Même pas Tony Rossy, ni Trenet, qui étaient renvoyés dans un temps préhistoriques : nous avons la mémoire courte, aussi, lorsque les foules, avides de culture, mimétique en diable, ont fini leur pérégrination dans la nuit, ou au musée, il est fort à parier qu'elle n'auront rien retenu, parce que rien vu, où alors quelques fulgurances peut-être, des fulgurances mêlées à l'allégresse d'avoir communier ensemble, benoîtement dans la célébration de la culture, avec un grand K. Et on prétend que la religion régresse... non pas, elle a changé de visage voilà tout.

Citons ici Renaud Camus.

"Il n'y a pas de culture possible en régime hyperdémocratique (...) et de fait nous la voyons disparaître sous nos yeux. Qu'elle soit prétendument partout n'abuse que ceux qui veulent être abusés : elle est partout parce qu'elle n'est nulle part. (...) Tout ce qui relève de près ou de loin du divertissement, de l'occupation des loisirs, de la gestion du temps libre, (...), est désormais paré du nom de culture, qu'il s'agisse de visite de caves en Touraine ou d'ateliers de macramé, de concerts d'électro-pop ou de one-man-show d'amuseurs : autant de prétextes à activités culturelles, prises en compte d'une âme égale et d'un cœur indifférent par les sociologues et les statisticiens de la culture. Même la gastronomie a été annexée. Et il n'y a pas jusqu'à l'institution la plus contraire à la culture, j'ai nommé la télévision, qui n'ait été rangée nominalement sous ses bannières (...)
Ainsi il n'y aurait jamais eu autant de monde dans les musées, ni de public dans les grands expositions. Et comme c'est vrai ! (...) Hélas si la culture s'est répandue, c'est comme le lait de Pérette, ou plutôt comme un précieux chrême échappé du ciboire qu'on laissé choir des clercs imprudents, ou demi-apostats, et ses filets sèchent en croûtes sur les dalles descellées du sanctuaire.
Qu'il y ait plus de monde que jamais autour des œuvres d'art, qu'il se télécharge sans cesse davantage de "titres", qu'il paraisse toujours plus de livres nouveaux, ces vérités sont aussi vraies, et de la même espèce de vérité, que la proposition vraie, vraie, vraie elle aussi selon laquelle il n'y a jamais eu autant de bacheliers - en conséquence de quoi un bachelier est incapable d'écrire une simple lettre, et même un e-mail a peu près poli sans trop de fautes d'orthographe, ne parlons pas d'un devoir de licence, quand bien même la licence est à peu près officiellement le nouveau baccalauréat ; tandis que dans les musées et les grandes expositions il est impossible de voir un tableau. Beaucoup de visiteurs y songent à peine, d'ailleurs : ils viennent plutôt voir le musée, ou l'avoir vu, et l' "expo" pour l'avoir "faite". Mais les rares musées qui ne se livrent pas à de grandes agitations médiatiques afin d'"attirer un public plus diversifié", de "réduire la fracture sociale" ou même de "créer du lien", sont déserts (c'est une des rares bonnes nouvelles de la période) ; et les mêmes tableaux devant lesquels les foules mécaniquement et médiatiquement émerveillées jouent des coudes au Grand Palais reposent paisiblement dans leur solitude coutumière à Valenciennes ou à Agen, le reste de l'année, quand ce n'est pas au Petit Palais, de l'autre côté de l'avenue.

L'époque et la société sont tout entières médiatiques et dans la dépendance de leur maîtres les médias, et pourtant ce que l'on voit régner de toute part, c'est l'immédiat. Les médias eux-mêmes sont l'immédiat. (...) Les contemporains ne détestent rien tant que le médiat, le détour, le délai, la syntaxe, les manières, les formes, la forme : autant dire la littérature, l'art, la culture et tous les protocoles de l'aliénation positive qui mettent de l'ailleurs dans l'ici, du pas-moi dans le moi et de l'autre dans le soi, à la grande horreur de tous les soi-mêmismes triomphants, dont on ne peut dire s'ils sont les grands propagateurs de l'ignorance ou sa plus pure manifestation - ses responsables ou bien sa conséquence."

Renaud Camus in La Grande déculturation, Paris, Fayard, 2008

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