lundi 13 décembre 2010

La mort de Dieu et la nécessaire critique

Depuis Nietzsche, tout le monde le sait, Dieu est mort, et la nouvelle s'est répandue comme une trainée de poudre. La nouvelle non pas de la mort de Dieu, celle-ci était déjà connue des chrétiens, puisque en Jésus-Christ, Dieu est mort, mais la nouvelle que quelqu'un hors-champ chrétien en prenait conscience.
La mort de Dieu pour un chrétien a un sens, et pour celui qui est hors-champ chrétien un autre sens, et les deux sens sont parfaitement incompatibles.
Quoi qu'il en soit, depuis le philosophe du gai savoir, le christianisme, qui donc déjà se coltinait la mort de Dieu, a dû une nouvelle fois, sur un autre niveau, cette fois, se la prendre en pleine tête. Mais on sentait la chose venir à vrai dire, depuis le XVIe siècle surtout, on sentait bien, que quelque chose n'était plus comme avant, que la donne était changée. Le christianisme, qui est la matrice de la pensée occidentale, a dû se confronter, depuis ses origines, mais plus encore depuis les lumières, et davantage encore depuis les maîtres du soupçon, à la critique constante. Critique que lui-même aura contribué à engendrer, à produire, à en être source, non pas tant en prêtant le flanc, mais par un engendrement quasi consubstantiel.
La critique, en effet, est inhérente au christianisme, qui a dû l'intégrer pour définir son dogme. Définir, c'est-à-dire, donner une articulation intelligente à sa foi. La foi précède la définition, et la définition donne un cadre notionnel à la foi. Sans un travail de critique cela n'aurait jamais pu se faire. De ce travail théologique sont nés des concepts qui aujourd'hui encore fondent notre conception du réel. Le christianisme donc a dû pratiquer une intelligence critique à l'interne et se confronter à la critique à l'externe. De cette confrontation sont nées notre culture occidentale et la société dont nous avons héritée, pour le pire et le meilleur.
Dans ce contexte, l'islam, religion a-critique par nature, n'a jamais connu ce régime là, ni chez lui, dans les terres traditionnellement musulmanes, ni ici en terres, pour lui étrangères jusqu'il y a peu. Aussi, le cadre que nous avons mis en place par l'exercice critique issu du christianisme, et parfois contre lui, est parfaitement inadapté à l'islam qui vient de l'extérieur de ce dispositif, qui l'ignore et qui n'y trouve aucune raison de s'y soumettre.
Il l'ignore parce que son génie est radicalement différent du génie chrétien. L'islam ignore toute forme de mort de Dieu, tout forme de relativisation de l'absolu, l'absolu pour lui est toujours absolument absolu, dans une espèce de redondance. Il l'ignore parce que son type d'exégèse ne peut pas être critique non plus. La révélation coranique est la parole même de Dieu, les ipsissima verba de l'absolu, comment cela souffrirait une critique? L'islam ne trouve aucune raison dans notre raison. La raison, au sens ici de contenu informant, est née d'une pratique critique du christianisme qui met en contact, "relationne", l'absolu et le relatif, joue avec le paradoxe, notre raison est donc paradoxale, la raison islamique, quant à elle, est toujours "métadoxale". La critique musulmane, si elle existe, ne peut être située qu'au-delà de la doxa, un au-delà en réalité qui l'ignore. Ainsi par exemple la doctrine de l'abrogation, dans son interprétation orthodoxe : lorsque deux versets coraniques sont contradictoires le dernier abroge le premier. L'exercice critique se résume donc à un exercice chronologique qui ne met pas en cause le fait que Dieu puisse effectivement parler, ou se révéler directement, immédiatement, sans médiations.
Cela étant l'islam ne saurait se soumettre à  un cadre d'élaborations discursives qui ne vient pas de lui et qui ne correspond pas à son génie propre. La mort de Dieu n'est pas un problème pour l'islam, puisque pour lui Dieu ne saurait mourir, d'aucune façon. Alors comment l'islam reçoit la culture héritée des lumières, et celle héritée de la modernité? Comment l'islam fait face à la mort de Dieu proclamée par Nietzsche ? Comme l'islam intègre ce donné fondamental, qu'il nous plaise ou pas, de la culture occidentale? Une piste pour une réponse est à trouver dans l'œuvre de Mohammed Iqbal un des rares à avoir osé penser cela dans le champ musulman.

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