mercredi 1 décembre 2010

L'amour toujours l'amour.

On le sait, c'est même devenu une rengaine, l'amour est  le coeur même du christianisme. Ayant dit cela, nous n'avons encore rien dit, car il y a amour et amour. Je ne me parlerai pas ici de psychologie, de ce qu'au Moyen Âge il était coutumier d'appeler "passions", terme qui, de nos jours, a pris, sensiblement, une autre signification, le romantisme étant passé par là. Non, je parlerai uniquement de philosophie.

La philosophie grecque, celle de Platon surtout, parle aussi d'amour. Le Banquet en est plein et de belle façon. Dans ce dialogue platonicien, il est question, autant que dans l'Évangile, d'amour. Chez Platon l'amour prend le nom d'erôs, qu'il serait tout à fait erroné de ramener à une quelconque lubricité ou sensualité, non, il s'agit ici de l'erôs céleste a distinguer soigneusement de l'erôs vulgaire. Qu'est-ce qui caractérise fondamentalement l'amour erôs? Sa dynamique ascendante. L'amour "érotique" est un désir qui pousse le moi vers le haut, vers le monde idéal auquel naturellement il aspire, vu que son âme est de la même essence que celle de Dieu. L'amour "érotique" est donc un mouvement naturel qui attire vers en haut, qui part du bas, du terrestre pour aller vers le céleste, comme la colombe qui retourne au colombier. Le chemin d'amour platonicien, et la morale qui en découle, est une voie ascétique, qui me conduit à me défaire du matériel, du sensible, pour me spiritualiser, me désensibiliser et parvenir ainsi à la communion du monde divin, vers lequel porte mon désir. Et cela aussi, c'est de l'amour.

L'amour des Évangiles s'appelle, quant à lui, l'agapè, et sa dynamique est autre. En effet, l'agapè prend sa source en haut, en Dieu, et descend vers le bas, s'abaisse. L'amour évangélique est avant tout abaissement, il s'agit du mouvement, tout à fait spontané, aucunement contraint par la nature, de Dieu qui aime tout homme, et particulièrement ceux qui en ont le plus besoin, à savoir, ceux qui, au regard d'une morale du mérite, seraient les plus indignes d'amour. L'agapè est amour inconditionnel et sans retenue qui vient d'en haut pour se répandre dans le sensible, et dans le matériel. L'amour de l'autre, dans le christianisme, est ainsi fondé dans cet amour d'agapè. Me sachant aimé premièrement et spontanément par Dieu, me sachant aimé d'en haut, d'ailleurs, quoi qu'il en soit, j'aime à mon tour de cet amour-là, sans attendre récompense, sans désir de rétribution. Le seul motif de l'agapé, c'est l'agapé, à la gratuité, la gratuité répond. Et cela aussi, c'est de l'amour.

Erôs et agapè, sont deux mobiles amoureux qui conditionnent deux discours et deux représentations du monde et des rapports entre, d'une part, le haut et le bas, et d'autre part, entre les hommes. De ce point de vue, la vision chrétienne de l'amour est radicalement nouvelle et, à ce jour, totalement inédite. Lorsque, par exemple, on applique les mobiles de l'amour à l'islam, on est conduit à cette analyse. L' amour que le Coran connaît, est celui de Dieu Miséricordieux, par nature, avec les croyants et ceux qui observent les dires du prophète. Un Dieu donc qui rétribue, qui est bon avec les bons, et qui punit les méchants. Cela n'est pas l'agapè, ni même l'erôs, mais une vision d'un certain amour fondé sur le nomos, c'est-à-dire sur la loi. Le Coran donc, montre un Dieu qui aime de manière conditionnelle, dont l'amour est lié à l'observance d'une loi. Le Coran, en islam, n'est pas la seule source qui pourrait nous faire entrevoir l'amour, il y aussi, par exemple, le soufisme. Même si ce courant est hérétique aux yeux de l'islam orthodoxe, il est cependant intéressant de constater, précisément, que le discours à propos de l'amour de Dieu change. Nous sommes ici, dans le mobile érotique. Puisque le soufi, par une discipline et des rites, doit s'élever jusqu'au monde divin. Le mouvement est caractéristique de l'érôs céleste : c'est le moi, illuminé, qui va vers le haut. Il n'est aucunement question de mouvement descendant. L'amour soufi est un amour "érotique". On pourrait poursuivre encore longtemps avec d'autres exemples.

L'amour "agapique", l'agapè est le mobile fondamentale du christianisme, sa marque de fabrique et le mouvement secret qui a marqué profondément notre culture occidentale. La nouveauté de ce mobile, a été telle que, même pour les tenants officiels du christianisme, il a été difficile de maintenir l'agapé pure et intacte de toute synthèse avec le nomos, d'une part, et l'érôs, d'autre part. Selon les époques on a procédé, inconsciemment, à des négociations des différents mobiles, cependant, malgré tout, la nouveauté de l'amour d'agapè à toujours prévalu. Il faut juger le christianisme à la lumière de ce qui fait sa spécificité : l'agapé.

Pour finir, il y a un autre amour, celui de la philia, amour d'amitié, qui n'est ni érotique, ni agapique, mais fondé sur la réciprocité, l'échange, et la poursuite du bien. Il s'agit d'un amour moral ou le bien seul est recherché. Il participe à la fois de l'érôs céleste, et à la fois de l'agapé, quand, toutefois, il met un ou des chrétiens en jeu. Mais c'est une autre histoire.

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