lundi 31 octobre 2011

De la frontière comme nécessaire .

Toutes les frontières physiques ont quelque chose d'arbitraire. Que peut justifier qu'ici surgisse un terme et non pas là, qu'ici se posent des limites et non pas là ? La nature elle-même ne rend pas légitime le fait qu'une ligne frontière se dessine ici plutôt que là, puisque, à bien y regarder, les fleuves, les montagnes, les vallées, ne constituent pas toujours une frontière.

Les frontières physiques et politiques ont toujours quelque chose de relatif. Et pourtant, c'est dans les limites même de ce "relatif" que se dessine une forme d'absolu, au sens littéral. En effet, dans le dessin, relatif, de la frontière, dans le cadre, arbitraire, quelle dessine, par les aléas de l'histoire - violente souvent- des hommes, elle permet le surgissement d'une identité. Celle-ci possèdera les caractères absolus et relatifs qui sont ceux de la frontière. Dans le contexte des termes frontaliers se dessinent l'âme propre d'une collectivité humaine, et le génie de celle-ci n'est pas le génie de celle-là. La frontière, arbitraire et relative, est donc nécessaire - et des frontières il y en aura toujours- afin de permettre, dans un jeu de distance-proximité, l'apparition d'une identité commune propre et unique, et ce sens elle est absolue.




Le Portugal, dont les frontières actuelles sont les plus anciennes d'Europe, ne peut justifier physiquement son émergence sur la carte péninsulaire. Son existence politique est le fait d'aléas historiques et, sans doute, d'une volonté humaine. Le dessin de son contour géopolitique est arbitraire, mais dans les termes ainsi apparus, une frontière morale, nécessaire, absolue, a doublé la frontière politique. Si aucun fleuve, vraiment, aucune chaîne de montagnes, ne sont venus s'imposer comme lisères, les démarcations mises en place par les batailles, les paix signées, les traités, l'observation de la nature, il le fallait bien, se sont doublées d'une frontière spirituelle qui présente un caractère bien plus absolu et nécessaire que celle inscrite dans la matière. Et c'est précisément cette frontière, qui n'est pas appelée ici  "culturelle" qui justifie aujourd'hui la présence de la frontière physique, qui lui donne sa légitimité, en retour, de ce qu'elle permit d'accomplir.
Cette frontière morale ou spirituelle n'est pas culturelle. Dire d'elle qu'elle est culturelle serait encore la marquer de la relativité. La culture est une somme relative d'éléments mouvants, et plus que jamais mouvants. La frontière morale est un cadre absolu dans lequel,( et hors du quel aussi, ce cadre n'en étant pas un à proprement parler, mais plus un "milieu"), advient ici et maintenant, perpétuellement une identité commune. Cette identité advient dans le rapport de chacun à tous et de tous à la notion de limite, permis précisément par le marquage physique des frontières. La frontière spirituelle est à la fois le berceau et l'héritage de la collectivité, de cette collectivité-ci dans ce quelle a d'unique.

C'est ainsi que le Portugal se distingue de l'Espagne, et de la Castille surtout. Plus qu'un autre, peut-être, le Portugal a été jaloux de cette identité spirituelle, plus qu'un autre, il a tenu à son autonomie. Ses frontières arrières, celles avec l'Espagne s'entend, il les a défendues et consolidées, afin de pouvoir étendre au-delà de la mer ses frontières avants, qui en réalité n'en étaient pas. Si le reste de la Péninsule était bien un terme, une marque, l'océan et ses inconnues n'en furent jamais. Au regard de l'histoire européenne, il est étonnant d'ailleurs, qu'un territoire aussi petit, presque insignifiant, se soit très tôt constitué tête d'empire, et ce bien avant de posséder un empire effectif. Le Portugal historique ne pouvait pas ne pas se dilater, non pas physiquement, mais moralement, spirituellement. L'empire advenu n'est que la médiocre réalisation d'une mythologie d'une richesse exceptionnelle et sans doute unique en Europe. Cette mythogenèse est la source, la condition, et le mobile de l'expansion impériale portugaise; l'expansion, quant à elle, est l'impératif d'un génie propre "borné" par des frontières physiques relatives.

Il en va de nous aussi bien. Notre corps dans ses relatives limites marque une frontière, et ce malgré les amours, les embrassements, et les copulations : nous ne serons toujours que deux corps se rencontrant, mais la frontière physique signalera ici un absolu. Plus assurément que dans le cas d'une nation, notre corps, l'expérience du corps, nous révèlera l'absolu de la frontière morale. Et si nous voulons dépasser le cadre borné de toute frontière nous n'avons d'autre choix, heureusement, que d'instaurer un cadre spirituel qui permettre l'avènement d'une âme dilatée. Et à cette expansion, je ne vois pas de limite.

mercredi 26 octobre 2011

Eponyme, éponyme que de crimes on connaît en ton nom.



Il va sans dire que ce sont des crimes linguistiques, quotidiens, nombreux, le long des colonnes des journaux, dans les articles des revues, dans les plaquettes de communication des institutions artistiques et culturelles (programmation de Bozar, par exemple), dans des guides, et comble de l'horreur, dans des livres qui se donnent en exemple de rectitude de la langue française (p.ex. in "99 expressions à mettre à la poubelle").

Je vais encore faire mon grincheux; et l'on s'étonnera que je me passionne pour si peu, que le peu d'énergie dont je dispose, je le sacrifie sur l'autel de tant de vanité. Mais quoi ?! Lorsqu'on a une patrie on la défend, et ma patrie de fait, la seule terre qui vraiment soit mienne, est celle de ma langue, et ma langue c'est le français. Alors permettez que je fasse ici  le Don Quichotte.

Les journalistes, surtout, d'autres professionnels du verbe, et à leur suite, par mimétisme, tous ceux qui veulent parler bien, ont la fâcheuse manie d'user de "éponyme" de bien mauvaise façon.

On peut en user méchamment de deux manières. Premièrement, par un usage tout à fait fautif, qui consiste à le prendre en lieu en place de "homonyme", et deuxièmement, par un usage, si pas fautif, du moins sujet à caution, et directement influencé par l'usage anglais de l'adjectif correspondant.

Dans le premier cas nous avons par exemple ceci, je cite : "Par la sortie éponyme, nous rejoignons la rue de la Madeleine, et l'église..." "Éponyme" signifie "qui donne son nom à". Dans l'exemple, la sortie en question ne saurait aucunement donner son nom à la rue, puisqu'elle a été aménagée bien après la rue et que celle-ci possède son nom depuis un temps tout à fait lointain. C'est bien, plutôt, la rue qui est  ici "éponyme", voire, dans le cas qui nous occupe, l'église dédiée à sainte Marie Madeleine qui donne son nom à la rue, et indirectement à la fameuse sortie (il s'agit de la sortie de la gare centrale à Bruxelles).
Bref, l'auteur(e) aurait dû écrire "Par la sortie HOMONYME, nous rejoignons etc..."

Dans le second cas, les choses sont plus subtiles. Le même guide disait ceci "La création du parc Léopold s'inscrit dans celle du quartier éponyme..." Nous n'allons pas entrer ici dans la discussion passionnante de savoir qui du parc ou du quartier a donné son nom à l'autre, car en toute rigueur de termes, celui qui est vraiment éponyme ici c'est le roi Léopold lui-même qui donna son nom au quartier et au parc qui le borde. Mais à lire la petite phrase, on a tout lieu de croire que l'auteur(e) avait en tête "du même nom". La mise sur le même pied du parc et du quartier, sans référence direct à la personne qui leur donne son nom, est une déviation angliciste de l'usage de "éponyme" , qui n'est pas fausse dans tous les cas, mais qui est dans chaque cas outrée. En l'occurrence ici, il aurait tout simplement fallu écrire "La création du parc Léopold s'inscrit dans celle du quartier du même nom".

Voici un autre exemple
"Depuis quelques mois, le quartier de la place Edouard VII est en émoi et, pour une fois, cela n'a rien à voir avec la programmation du théâtre éponyme." (A Nous, n° 374)
On y trouve ici tout mélangé : déviation et contre-emploi. La déviation d'abord puisqu'on y compare le nom de deux choses, la place et le théâtre, sans aucune référence directe à la personne. Le contre-emploi ensuite, pour ne pas dire contre-sens, car si on analyse le sens de la phrase, on comprend que c'est le théâtre qui a donné son nom à la place. C'est peut-être vrai, ce dont je doute, mais ce qui est sûr, c'est que c'est bien le roi Edouard VII d'Angleterre qui a donné son nom à la place et au théâtre. C'est donc finalement lui, le roi, qui est éponyme dans notre cas !

Autre cas : si le dernier album de tel chanteur porte simplement le nom du chanteur, tous les Stéphane Bern vont signaler à grand fracas la sortie d’un « album éponyme ». Et bien non, l'album ne sera pas "éponyme", il ne donne son nom à rien, et surtout pas à l'auteur, ce qui serait parfaitement absurde. En revanche, si une chanson donne son titre à l'album, alors oui, la chanson sera "éponyme".
De même "Madame Bovary" est le personnage éponyme du roman de Faulbert, mais qu'on aille pas dire "Le film de Louis Malle "Zazie dans le métro" est tiré du roman éponyme de Queneau" Non, du roman homonyme.

L'usage intensif de "éponyme" est lié à un phénomène de mode langagière inauguré par la presse. Dans le désir de faire érudit et chic, on a traduit à la va-comme-je-te-pousse, sans trop bien savoir, l'adjectif anglais "eponymous" ou "eponym" par "éponyme" le malheur veut que parfois "éponymous" est un faux-ami. Et le faux-ami est devenu, comme il fallait s'y attendre, en ces temps où la mode est telle, où les chroniqueurs abondent - Seigneur délivrez-nous des chroniqueurs - et où les médias sont rois, l'usage commun mais souvent erroné.

S'il n'y avait que "éponyme" mais hélas, la liste est longue. On ne compte plus les anglicismes, les emplois abusifs, les usages fautifs, les barbarismes, et autres solécismes ( zut, je succombe moi aussi... le mimétisme toujours le mimétisme, même dans la langue. Je corrige "les barbarismes, les solécismes et autres mauvais traitement infligés au français"). Je sais parfaitement qu'une langue évolue, mais de nos jours elle évolue à une vitesse sidérante. Elle évolue de manière peu harmonieuse, à coups de tics langagiers, et sous la tutelle, capitaliste et monopolisante, d'un anglais ayant déjà lui-même souffert.
Le pire dans cette histoire se trouve dans l'origine de cette débandade : les médias et les organes officiels de l'action culturelle !

mardi 18 octobre 2011

Esprit es-tu là?

Il m'arrive parfois, certains après-midi, d'aller me poser dans un café où j'ai quelques habitudes. J'y trouve un peu de calme tandis que je contribue à enrichir un patron qui n'en a plus vraiment besoin, mais soit, si ce n'est pas lui cela serait un autre, et puis, sans doute, le calme n'a pas de prix.


Cet après-midi là, dans ce café au nom prédestiné, deux nanas - c'est le premier mot qui me vient aux doigts; celui de "femme" étant resté quelque part dans mon cerveau, bloqué - jouent aux apprenties cartomanciennes. Elles sirotent un thé - vert ou noir, je ne sais pas, mais je penche pour le vert, à moins que ce ne soit un thé rouge, nettement plus tendance- tout en s'exerçant à la devinance. L'une est déjà fort avancée puisque c'est elle qui "forme" l'autre, une autre qui note tout sur un calepin, de manière très studieuse. "Fin de cycle", "nouveau départ", "faire le deuil", le "4 qui est l'amour", le "6 qui est la rupture", la "mort", les "morts", "une femme qui est là", " l'ambivalence", sont les notions qui m'arrivent aux oreilles, et qui sont celles que l'on utilise habituellement dans ce genre de consultations. Il est toujours question de la fin d'un cycle, puisque si vous consulter, c'est que vous en avez un peu marre, que vous traversez un phase critique, que vous arrivez donc à la fin de quelque chose, et comme en cartomancie, comme en numérologie, comme dans l'importe quel discours de devin ou sorcier, le temps est toujours, absolument toujours, c'est un dogme, conçu comme un enchaînement de cycles à n'en pas finir. Oh, il y a des écoles, en fait deux. Celle qui pense que les cycles sont clos sur eux-même et qu'ils sont un peu comme les bracelets qui s'entassent aux poignets de certaines, et l'autre qui croit que les cycles sont en fait une spirale; ils tournent mais avancent tout de même sur une ligne. Ici encore deux écoles, soit la ligne connaît une fin, un jour, soit elle n'en connait point, ressemblant alors à une vis sans fin qui tournerait dans le vide intersidéral. Mais comme nous n'en avons absolument pas conscience, il n'y a pas de réel souci à se faire.


Donc nos sibylles, se racontaient des histoires de chiffres, de mortelles rencontres et de nouveaux départs. "Tu veux encore du thé?" Je parie que si je leur avait demandé les raisons de leur "croyance" elles m'auraient ri au nez, m'assurant sans doute, qu'il ne s'agissait pas là de croyances, qu'elles étaient rationnelles et que tout cela n'était pas loin d'être scientifique. En poussant plus loin, elles auraient dénigré la religion, cet amas de dogmes débiles, la crédulité des fidèles, et que sais-je d'autre du même panier.

Jadis, les prophétesses prophétisaient en sachant que leur "voix" n'étant pas forcément incompatible avec la voix officielle de la religion, elles croyaient à l'une et à l'autre. Aujourd'hui les pythies de tous poils, ricanent de la seconde et sont folles éperdues de la première. Et leurs sectateurs, cartésiens cela va sans dire, chantent la même chanson : de religion point, mais le mystère des nombres - qui n'est autre chose qu'un pythagorisme contemporain et bête- celui des étoiles, et des cartes voilà le vrai. La spiritualité est ainsi réduite à un discours d'une platitude abyssale, un psychologisme archaïque et sommaire, où cycles et départs nouveaux se donnent rendez-vous, pour barrer l'angoisse, angoisse de vivre, angoisse de déjà mourir un peu sur la banquette rouge de ce café où j'ai parfois, l'après-midi, mes habitudes.

Des opinions en matière religieuse

Les idées et opinions en matières religieuses, par les temps qui courent - et ils font bien de courir, les temps, même s'ils ne savent pas toujours vers quoi ils se pressent - sont des plus confuses. L'opinion, on le sait depuis Platon au moins, est un jugement relatif sur quelque chose. Le fait qu'il soit relatif n'est pas une problème, ni même un défaut; le problème avec l'opinion, c'est que bien souvent elle ne passe pas pour ce qu'elle est précisément et devient, alors même qu'elle prétend s'en défendre, un paradigme absolu auquel tout le monde doit souscrire. Il y a l'opinion exprimée et l'opinion inexprimée, celle qui flotte pour ainsi dire dans l'air et qui se répand comme le ferait un gaz aux bénéfices des vents et des déplacements de l'information. Celle-ci étant, en nos jours, faite la plus part du temps, d'opinions. Nous nous trouvons donc, en notre société hyper-médiatisée, mais qui rejette toute forme de médiation, pour sombrer dans une immédiateté mimétique et violente, dans un cercle vicieux de l'opinion. Celle-ci étant nourrie par elle-même sans aucune recherche de la vérité. Vérité qui par ailleurs est honnie comme un synonyme de fanatisme, d'obscurantisme ou d'autres formes hypertrophiée de la pensée. Mais l'opinion qui ainsi critique à tout va, ne voit pas qu'elle même, et sans en avoir les moyens, tombe dans le travers qu'elle dénonce, et de manière bien plus dogmatique.

La religion dans un tel contexte est considérée comme une résurgence ou plutôt une permanence d'un système "intellectuel" - quand on veut bien encore lui donner ce qualificatif - hérité de temps révolus, qu'il faudrait, pour certains, faire disparaître entièrement par une propagande éclairée et annonciatrice de la liberté pleine et entière, et, pour d'autres, que l'on pourrait tolérer comme l'expression d'une névrose nécessaire mais à condition qu'elle soit cantonnée dans la sphère privée.
Et de fait la religion est soit combattue comme aliénante soit tolérée démocratiquement dans les limites d'une subjectivité qui n'empiéterait pas dans le cadre public.

Pour les zélateurs du déni religieux, toutes les religions se valent du judaïsme à l'animisme, en passant par le christianisme, toute croyance est abjecte, toute foi une tumeur de la raison. Mais les mêmes zélateurs font montre d'une connaissance superficielle du phénomène qu'ils abhorrent et dans leur empressement à bannir le religieux de la vie humaine ou publique, démontre leur manque de nuance, leur incapacité à appliquer une critique sérieuse et saine, et la tyrannie de l'opinion.

Ainsi le christianisme est souvent considérer aujourd'hui, comme quelque chose d'extérieur à notre civilisation; un corps étranger qu'ils s'agirait d'expulser, comme d'un rein on retire un calcul. Or notre civilisation entière - je parle ici de ce qui fait notre bien commun, notre fond de commerce pour parler vulgairement, dans cette partie-ci du globe- est pétrie par le christianisme, dont il semble après un peu moins de deux milles ans, qu'il soit en réalité étranger à nous-mêmes. Car quoi, ce que nous appelons improprement sans doute, notre "culture", notre "civilisation", aurait-elle commencée avec les lumières et la révolution française? Et quand bien même cela aurait été, et l'une et l'autre montrent leur allégeance au christianisme par leur théisme et par leur anti-christianisme appliqués et consciencieux : leur antipathie montre encore de qui elles dépendent.

Une catéchèse à fait du christianisme une affaire de crèche, de sacrifice, et d'un homme qui revit après avoir passé un sale moment. Et voilà l'histoire est close, certains croient à cette histoire de superhéros, et d'autres croient que les arbres sont habités par des esprits, d'autres encore, que l'on se réincarne des quantités de fois, d'autres encore que le porc est impur, et d'autres qu'ils sont le peuple élu. Certains même croient qu'ils ne faut croire en rien. Au marché de l'opinion on ferait ses courses selon ce qui nous arrange, selon ce que nous sommes, selon ce que nous aimerions être, selon d'où nous venons, selon l'identité que nous voudrions afficher.
Le principe est de ne faire aucune différence entre toutes les propositions. Dans une telle démarche, la conscience personnelle, conscience active et éclairée, conscience éveillée et aimante de la vérité, est la grande victime, elle est morte pour ainsi dire, elle est nulle et non avenue. Et je m'étonne moi-même de parler encore de conscience dans une époque où tout serait inconscient et crypté, où tout serait de l'ordre de l'obscure, du non avouable, du refoulé, où tout renverrait aux sibyllines raisons d'une raison que notre conscience ignorerait par nature. Mais "ma" conscience, n'est pas la conscience consciente des choses, et des raisons de ce que je suis ou ne suis pas, "ma" conscience, celle dont je parle, est l'instance intime, infiniment personnelle, qui opère en moi, une critique, au sens étymologique du terme, une critique dynamique, active, constante, et qui fait que j'agisse ainsi plutôt que comme cela, dans les moments décisifs de mon existence, que je croie - c'est-à-dire, que je donne ma foi, ma confiance, que je me fie ou me défie - à ceci plutôt qu'à cela. Ainsi, en conscience et dans le plus intime de mon être, je ne peux croire que par nature, ou par décret divin, le porc soit impur, pas plus que mon âme mouvera un autre corps que celui que je suis en ce moment, ni même que Adam e Eve furent tirés du néant quelque part à l'est vers l'an 5000 avant notre ère. Toutes ses propositions religieuses, je ne leur donne pas ma foi, non pas parce que je ne les trouve pas "sympas", mais parce que en conscience je n'y trouve aucune raisons nourrissant mon humanité. En y adhérant, je ne serai pas plus homme. Et la conscience à horreur des babioles même des babioles religieuses.

Eco, éco es-tu là?

Les mots dont le préfixe est "éco" sont d'une réelle complexité. Nous connaissons tous les deux plus fameux "économie" et "écologie". Il ne sont d'ailleurs pas sans un rapport l'un avec l'autre, et pas forcément là où on s'y attendrait spontanément. Nous allons y revenir.
La racine "éco" en grec, puisque aussi bien elle est grecque, veut dire la maison et par extension tout ce qui y renvoie.
L'économie est composé de "éco", le domestique, et "nomos", la loi, le droit, mais aussi la coutume au sens où elle fait loi, voire la culture. Au sens strict, l'économie est donc l'ensemble des dispositions ayant force de loi qui gèrent le domestique. On voit bien qu'il n'est nullement question d'argent tout d'abord. Il s'agit de gestion au sens large. Par ailleurs, le mot "économie", utilisé, par exemple depuis les débuts en théologie, signalait les dispositions effectives que Dieu usa pour" gérer", accomplir le salut, et plus largement, le dispositif général du salut. C'est par exemple au nom de l'économie, que le culte des icônes fut admis et même encouragé, puisque l'icône renvoie à l'incarnation qui elle est un fait majeur de l'économie.
Voilà de quoi redonner du souffle à ce mot si utilisé, si usé, donc le nerf et l'âme se sont, pour le premier, ramolli, et pour la seconde, carrément, perdue.

"Ecologie". Nous retrouvons ici le domestique associé au suffixe "logos", discours. Mais bien plus que discours, "Logos" est la raison interne, le sens des choses, leur "logique" profonde, ce n'est pas seulement une parole, le logos n'est pas parole insensée ou bavarde. Le logos est un verbe de génie, l'esprit qui s'articule. Voilà ce qu'est le logos. L'écologie est donc un discours sensé, articulé, spirituel, qui dit, révèle, le domestique. Le sens du mot "écologie" est aujourd'hui restreint au soin que l'on a de la nature et du milieu ambiant, nature et milieu considérés comme notre maison commune, notre domestique le plus spontané, le plus basique. Mais le domestique peut être appliqué à beaucoup d'autres réalités.
On ne saurait réduire l'écologie au triage des déchets et à la culture du persil sur un balcon, fut-elle faite au crottin de cheval. L'écologie suppose une économie. Et l'économie suppose elle même une écologie. On ne saurait dire ce qui du discours ou de la loi est premier, car si par "discours" on entend sens, alors oui l'écologie est première, mais si par "discours" on entend parole articulée, résultat donc, d'une réflexion, alors l'économie est première. Quoiqu'il en soit les deux sont intimement liées, non pas tant en raison de gros sous, ou de gestion financière, mais pour la raison première et fondamentale qu'elles participent de la vie de l'esprit; car l'une et l'autre sont des applications concrètes, des dispositions pratiques, d'un ordre spirituel. On ne saurait en conséquence, faire de l'économie sans esprit, ni, pareillement de l'écologie. Toute deux réclament les qualités de l'esprit : justesse, justice, vérité, probité, rectitude, modestie, simplicité et patience. Toute économie, et partant toute écologie, qui ne seraient pas cela ne sont pas humaines, seront nécessairement contre l'homme.

Alors des boutons me viennent quand j'entends des mots comme "éco-citoyen", "éco-quartier", "éco-militant", "éco-responsable", et que sais-je du même tonneau. Outre que l'on cède à une certaine facilité lexicale, tous ses mots, sont en propre, des barbarismes, puisque la règle veut que l'on n'associe pas préfixes et suffixes venant de langues différentes; ce qui est le cas ici. On comprend bien ce que ces mots dans la tendance veulent signifier, là n'est pas le problème. Le problème c'est qu'en rigueur de termes il ne veulent rien dire du tout. Ils ne veulent rien dire, car, a priori, on ne sait pas à quoi renvoie cet "éco" préfixé? A économie, ou écologie ? Bien sûr, nous savons qu'il s'agit d'écologie, mais nous le savons par contagion de la mode; l'écologie étant beaucoup plus dans le vent que l'économie. Et l'on voit ainsi fleurir chaque jour de nouveau "éco" quelque chose : éco -geste, éco-déplacement, éco-gastronomie, et pourquoi pas une éco-économie. Le suffixe "éco" ne désignant que le domestique, s'il n'est pas uni à "-logie" on lui retire l'esprit, et c'est l'insensé qui nous tombe sur le coin de la figure; si on l'uni pas à "-nomie" on lui retire la dynamique fondatrice, et c'est le n'importe quoi qui nous advient. Les mots sont des signes et comme chaque signes c'est au sens qu'ils renvoient ou ne renvoient pas, c'est selon.

Une autre histoire de crise.

"C'est la crise!" Bonnes gens, vous êtes prévenus, les temps qui courent sont mauvais, la croissance s'est ralentie, l'économie bat de l'aile, la productivité bégaie, bref c'est la crise. On peut voir la chose d'un très mauvais œil. Ceux qui portent cravate à l'année longue, en signe de leur fonction au sein de notre beau système sociétal, bien sûr affichent des sourires mélancoliques et une mine défaite, c'est la crise ! En parfaits héritiers des grands industriels du XIXe siècle, qui, à l'époque, prophétisaient des lendemains qui chantent, rythmés par les douces mélopées du capital, ont de quoi trembler. Le ralentissement de la croissance, ressemble pour eux à l'ouverture des sceaux du livre de l'Apocalypse, annonçant l'apparition prochaine des quatre cavaliers de malheur. La grande crise est là, nous disent-ils. On en tremble avec eux ! Puisque, hélas, nous ne connaissons que le modèle économique, mis en place in illo tempore par les aïeux idéologiques de nos hommes et femmes en cravate.

Ce modèle économique à été construit sur une espèce de violence. Une minorité bourgeoise, puissante financièrement et socialement - cela va souvent ensemble- a établi un système économique qui devait la servir en premier, utilisant pour se faire la majorité laborieuse, en l'endormant par des chansons douces, la réveillant par d'exploitation de la peur et la tenant bien serrée dans ses griffes par le miroitement des biens qu'elle pourrait acquérir. Le mimétisme a encore fait des siennes. Les masses laborieuses se sont laissées duper par le discours de la minorité puissante, croyant qu'un jour, elles-aussi, seraient là où les grands étaient. Ainsi va le monde : montre-moi ce que ce je dois désirer et je t'aimerai pour ce que je désire, je te haïrai par ce que c'est toi qui me le montre.

Il est un domaine, banal à vrai dire, qui subit depuis fort longtemps, une pression constante de la part des puissances dominantes : celui de la langue. Il fut un temps où le français possédait une position si pas plus forte du moins égale à celles d'autres idiomes, de l'anglais en particulier.
Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Le français est dans une position de nette infériorité par rapport à l'anglais. Si encore, il s'agissait de l'anglais littéraire, mais non, il s'agit d'un sabir économico-financier ( dont le "star-system" est une émanation), signe des classes dirigeantes et du pouvoir du capital. Cet anglais là, se répand partout, envahit le français et devient la norme du discours.
De tous temps les mots ont migré d'une langue à l'autre, mais cette migration-ci n'est pas comme les autres. Le vocabulaire qui ainsi passe de l'anglais au français, est celui de la finance et nous parlons finance sans même nous en rendre compte. Un désastre selon moi. Si nous contestons le système capitaliste tel que nous en avons hérité nous devrions aussi résister à l'emploi de mots anglais dans nos phrases de tous les jours.



Voici des exemples :

"Optimiser" de "to optimise" en français on disait plutôt "optimaliser" avec un recours direct au latin, ou "rendre plus..." "rendre meilleur".
ex : "J'ai optimisé le gratin de choux fleur en lui ajoutant de l'emmental", " Il faut que tu optimises ton nouveau manteau : porte-le tous les jours"


il est à noter que le génie du français n'est pas de faire bref et concis, au contraire de l'anglais, langue de l'urgence, et de l'efficacité immédiate.

"Finaliser" horrible néologisme fabriqué avec "to finalise", en français, perfectionner, achever, terminer, parachever, parfaire, aboutir ...
ex : "Pierre a finalisé sa relation avec Julie, ils viennent d'avoir un enfant" ou "Pierre et Julie ont finalisé leur relation, ils viennent de divorcer"

"Sécuriser" de "to securise", rassurer, assurer, garantir, protéger.
ex : "Je l'ai sécurisé tant que j'ai pu, lui disant que ce n'était pas grave". "J'ai sécurisé ma maison : j'en ai sécurisé toutes les portes"

"Générer" de "to generate", en français on préfère engendrer.
ex : "Mon père m'a généré, il avait vingt-cinq ans". " Un chat ne génère pas de chien". "J'ai une méchante grippe - oui il y en a des gentilles- générée par une promiscuité trop grande."

"Fidéliser" ex : "Il faut que je me fidélise ma femme, sinon je cours à la rupture"

"addict et addiction", en français, on dit dépendant, et dépendance.
ex "Jean est total addict à la play station"

"trader, broker", en français il y avait courtier. "Un trader est mort hier, addict des gros chiffres, il a été tué par un seul 1"

"versus" c'est très à la mode, bon ça viens du latin c'est sûr, mais c'est livré, par l'anglais, avec le lot, cadeau ! "Demain 20h, grand combat, Ted le boucher vs Tom l'empaleur"

"pitch" pour parler "d'argument"
ex: "Dites moi quel est le pitch du film?"

"juste" employé à n'en plus pouvoir.
ex : "Ce pitch est juste génial"

"Impacter", au lieu de toucher.
ex: "J'ai été très impacté par les conséquences de ce drame."

"nominer" au lieu de nommer
ex : "J'ai été nominé aux Césars, c'est juste de la folie"

"casting" au lieu de distribution ou d'audition c'est selon

"backstage" au lieu de coulisses

"Capital"
ex : "- Ne dépense pas à tort et à travers ton capital jeunesse, il ne reviendra pas.
- Tu as raison, je suis juste inconscient. Mais que veux-tu je suis addict du sucre, et quand j'ai passé le casting, on m'a tellement sécurisé, en me disant, que j'allais peut-être être nominé aux Oscars, que cela à généré un truc énorme dans tête. Je devrais optimiser mes chances de finaliser ce rôle tu crois pas?
- Si tout à fait, c'est ce que je te disais déjà hier en backstage : "Fais pas ça, putain, tu vas t'impacter la life si tu continues à bouffer autant de sucre" Pleure pas on va aller boire un baby wisky.
- Merci Roger, toi au moins tu me fidélises, t'es juste un type bien"

lundi 3 octobre 2011

Sur l'art-contemporain.

L'art dit "contemporain" - les termes juxtaposés font concept où si l'on préfère deviennent une catégorie en soi, autant pour l'historien d'art que dans  la contemporanéité de l’œuvre d'art - ne peut aller bien loin. Abscons, sibyllin par essence et par destination, ayant révoqué avec perte et fracas la catégorie du beau pour ne retenir que celle du sens, bien que masquant celui-ci sous les formes les plus diverses, les plus provocantes, les plus aptes à mettre le sens, précisément, en questionnement, l'art-contemporain ne saurait s'adresser qu'à une élite de "connaisseurs", élite rasante, imbue de sa singularité, de sa capacité à se distinguer des autres, de ceux qui ne comprennent pas, élite friande de concepts philosophiques, peu chers et immédiats, dont elle pourra, le moment venu, agrémenter ses dîners en ville. Et les autres - ceux qui ne comprennent pas ce qu'il y a à comprendre - se moquent bien de cet exercice de haute voltige prétendue, et pensent à autre chose, sans même prendre la peine d'essayer de comprendre. Car avec l'art-contemporain, il s'agit de comprendre, d'avoir la clef absolue. Il est ainsi devenu un nouveau sphinx questionnant sans cesse, posant ses fastidieuses énigmes aux passants que nous sommes. Le beau, le laid, sont à mettre au placard des notions sans valeur. Mais la pertinence, la légitimité, le sens, le "faire-sens", sont les valeurs brandies par notre monstre interrogateur. L'art-contemporain interroge, c'est tout ce qu'il fait d'ailleurs, et souvent sans même connaître la réponse, et sans savoir si réponse il y a. La question à son sens du fait même d'être question. Si à l'époque de Michel Ange, l’œuvre avait une raison d'être, presque indépendamment de l'artiste, aujourd'hui c'est l'inverse : l’œuvre n'a pour ainsi dire aucune importance ce qui compte c'est l'artiste : l'artiste est devenu son œuvre. Quand je parle d’œuvre, je parle de la chose tangible, sensible, palpable, de l'artefact, sachant que cette notion elle-aussi n'a plus de place; on peut ainsi, aujourd'hui, concevoir parfaitement une œuvre virtuelle, parfaitement virtuelle, pourvu que l'artiste y songe. La prise de la place de l’œuvre par l'artiste n'est que le dernier avatar des confuses et pénétrées mutations de l'artiste depuis Vasari. L'artiste chassant l'art, est devenu la seule chose qui importe, lui, son cerveau, son entrejambe, son estomac et toute la pensée circonstanciée que tout cela engendre.

samedi 1 octobre 2011

La culture à petits frais : Wikipédia

Qui ne connaît pas la cyber-encyclopédie WIKIPEDIA? En quelques clics vous pouvez tout savoir sur tout et dans les langues les plus improbables. A la vitesse de la lumière débarquent les informations les plus utiles sur tout ce que vous ignorez.
Le hic avec ce machin, c'est qu'on ne sait qui écrit les articles. J'imagine qu'ils sont copiés et recopiés par des scribes zélés qui auront tôt fait de se transformer en gardiens jaloux et staliniens du temple de la sapience universelle.





On trouve de tout sur Wikipédia et même de la bêtise à l'état brute. Ainsi d'une cathédrale que je connais bien, décrite de type baroque, alors qu'elle est de pur style gothique. Ainsi d'une étymologie plus que fantaisiste où une langue est invoquée en lui attribuant un mot d'une autre.
Ainsi de l'idéologie véhiculée au long d'articles peu scrupuleux...etc.

Se faire une culture à bas coût - à la mode low cost quoi - est d'une facilité déconcertante, suffit de lire la masse d'informations mise en ligne par Wikipédia. Une vulgate de la low culture est ainsi en train de naître, par la magie du copier coller, nous serons d'ici une paire de décennies tous au jus. Nous connaîtrons tous tout sur tout, mais par les dictats arbitraires et confus des administrateurs du Wikipédia World System

La globalisation n'a pas que du bon, et surtout en matière culturelle. Elle était le dernier terrain où une part d'autonomie et de liberté nous était accordée, et bien c'est fini. Nous sommes là, comme ailleurs, nivelés, ramenés à l'horrible similitude, à la confusion babèlique de nos identités. Nous sommes gros du plus grand lavage de cerveau jamais vu : j'en ai froid dans le dos. Brrrr.