mercredi 26 octobre 2011

Eponyme, éponyme que de crimes on connaît en ton nom.



Il va sans dire que ce sont des crimes linguistiques, quotidiens, nombreux, le long des colonnes des journaux, dans les articles des revues, dans les plaquettes de communication des institutions artistiques et culturelles (programmation de Bozar, par exemple), dans des guides, et comble de l'horreur, dans des livres qui se donnent en exemple de rectitude de la langue française (p.ex. in "99 expressions à mettre à la poubelle").

Je vais encore faire mon grincheux; et l'on s'étonnera que je me passionne pour si peu, que le peu d'énergie dont je dispose, je le sacrifie sur l'autel de tant de vanité. Mais quoi ?! Lorsqu'on a une patrie on la défend, et ma patrie de fait, la seule terre qui vraiment soit mienne, est celle de ma langue, et ma langue c'est le français. Alors permettez que je fasse ici  le Don Quichotte.

Les journalistes, surtout, d'autres professionnels du verbe, et à leur suite, par mimétisme, tous ceux qui veulent parler bien, ont la fâcheuse manie d'user de "éponyme" de bien mauvaise façon.

On peut en user méchamment de deux manières. Premièrement, par un usage tout à fait fautif, qui consiste à le prendre en lieu en place de "homonyme", et deuxièmement, par un usage, si pas fautif, du moins sujet à caution, et directement influencé par l'usage anglais de l'adjectif correspondant.

Dans le premier cas nous avons par exemple ceci, je cite : "Par la sortie éponyme, nous rejoignons la rue de la Madeleine, et l'église..." "Éponyme" signifie "qui donne son nom à". Dans l'exemple, la sortie en question ne saurait aucunement donner son nom à la rue, puisqu'elle a été aménagée bien après la rue et que celle-ci possède son nom depuis un temps tout à fait lointain. C'est bien, plutôt, la rue qui est  ici "éponyme", voire, dans le cas qui nous occupe, l'église dédiée à sainte Marie Madeleine qui donne son nom à la rue, et indirectement à la fameuse sortie (il s'agit de la sortie de la gare centrale à Bruxelles).
Bref, l'auteur(e) aurait dû écrire "Par la sortie HOMONYME, nous rejoignons etc..."

Dans le second cas, les choses sont plus subtiles. Le même guide disait ceci "La création du parc Léopold s'inscrit dans celle du quartier éponyme..." Nous n'allons pas entrer ici dans la discussion passionnante de savoir qui du parc ou du quartier a donné son nom à l'autre, car en toute rigueur de termes, celui qui est vraiment éponyme ici c'est le roi Léopold lui-même qui donna son nom au quartier et au parc qui le borde. Mais à lire la petite phrase, on a tout lieu de croire que l'auteur(e) avait en tête "du même nom". La mise sur le même pied du parc et du quartier, sans référence direct à la personne qui leur donne son nom, est une déviation angliciste de l'usage de "éponyme" , qui n'est pas fausse dans tous les cas, mais qui est dans chaque cas outrée. En l'occurrence ici, il aurait tout simplement fallu écrire "La création du parc Léopold s'inscrit dans celle du quartier du même nom".

Voici un autre exemple
"Depuis quelques mois, le quartier de la place Edouard VII est en émoi et, pour une fois, cela n'a rien à voir avec la programmation du théâtre éponyme." (A Nous, n° 374)
On y trouve ici tout mélangé : déviation et contre-emploi. La déviation d'abord puisqu'on y compare le nom de deux choses, la place et le théâtre, sans aucune référence directe à la personne. Le contre-emploi ensuite, pour ne pas dire contre-sens, car si on analyse le sens de la phrase, on comprend que c'est le théâtre qui a donné son nom à la place. C'est peut-être vrai, ce dont je doute, mais ce qui est sûr, c'est que c'est bien le roi Edouard VII d'Angleterre qui a donné son nom à la place et au théâtre. C'est donc finalement lui, le roi, qui est éponyme dans notre cas !

Autre cas : si le dernier album de tel chanteur porte simplement le nom du chanteur, tous les Stéphane Bern vont signaler à grand fracas la sortie d’un « album éponyme ». Et bien non, l'album ne sera pas "éponyme", il ne donne son nom à rien, et surtout pas à l'auteur, ce qui serait parfaitement absurde. En revanche, si une chanson donne son titre à l'album, alors oui, la chanson sera "éponyme".
De même "Madame Bovary" est le personnage éponyme du roman de Faulbert, mais qu'on aille pas dire "Le film de Louis Malle "Zazie dans le métro" est tiré du roman éponyme de Queneau" Non, du roman homonyme.

L'usage intensif de "éponyme" est lié à un phénomène de mode langagière inauguré par la presse. Dans le désir de faire érudit et chic, on a traduit à la va-comme-je-te-pousse, sans trop bien savoir, l'adjectif anglais "eponymous" ou "eponym" par "éponyme" le malheur veut que parfois "éponymous" est un faux-ami. Et le faux-ami est devenu, comme il fallait s'y attendre, en ces temps où la mode est telle, où les chroniqueurs abondent - Seigneur délivrez-nous des chroniqueurs - et où les médias sont rois, l'usage commun mais souvent erroné.

S'il n'y avait que "éponyme" mais hélas, la liste est longue. On ne compte plus les anglicismes, les emplois abusifs, les usages fautifs, les barbarismes, et autres solécismes ( zut, je succombe moi aussi... le mimétisme toujours le mimétisme, même dans la langue. Je corrige "les barbarismes, les solécismes et autres mauvais traitement infligés au français"). Je sais parfaitement qu'une langue évolue, mais de nos jours elle évolue à une vitesse sidérante. Elle évolue de manière peu harmonieuse, à coups de tics langagiers, et sous la tutelle, capitaliste et monopolisante, d'un anglais ayant déjà lui-même souffert.
Le pire dans cette histoire se trouve dans l'origine de cette débandade : les médias et les organes officiels de l'action culturelle !

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