lundi 14 novembre 2011

Carnet de voyage : Italie, Prague

 On trouvera ci-après deux textes publiés ailleurs. L'un concerne l'Italie et l'autre Prague.

"De l'Italie, il semble que tout déjà ait été écrit et que rien de nouveau ne puisse se dire. C'est si vrai que toute oeuvre touchant à ce pays, et Rome ou Florence, et Venise ou Naples, et la Toscane ou la Sicile, et tout le reste : les fleuves, la cuisine, les paysages, les villes et les villages, les gens eux-mêmes, que tout livre ouvert relatif à cette autre péninsule, nous fatiguent, nous lassent déjà, sans même avoir eu le temps d'en parcourir une ligne.
Ce n'est pas tant que tout soit faux, mais plutôt que toute cette littérature "italophile" soit la collection de lieux communs, de vérités déjà, hélas, quelque peu éventées. Aussi nous n'avons plus envie que l'on nous chante le refrain de la beauté de l'Italie, toujours sur le même ton et le même mode, cela a déjà été suffisamment chanté.



L'on aimerait plutôt voir l'Italie revenir à un lourd sommeil duquel il n'aurait pas fallu la tirer, voir Venise redevenir un pays inconnu, avoir oublié les frémissements glauques de l'eau, oublier Rome également et son faste, qui n'a nul besoin d'être pluriel, le singulier en disant déjà trop, oublier Naples et son chaos. On aimerait, si fortement, que Florence fut lointaine, et la Toscane une terre agreste uniquement, et que l'Ombrie fut enveloppée de ténèbres. Nous voudrions voir s'endormir, une belle fois, le pays italique dans cette torpeur originelle, faite de moiteur ou d'aridité, mais de lumière blanche partout, partout sous un ciel d'argent. Nous voudrions être encore aux temps frustes et renfrognés des visages italiens, de la superbe et de cette espèce de violence  fière.

Hélas, l’Italie est devenue un bibelot, un joli miroir dans lequel une certaine Europe se regarde contente d'elle-même, une Italie qu'elle a "fait" comme elle fait tout le reste, de vacances en RTT, d'années en années. Le monde est ainsi transformé en une terra communis qui ne révèle plus rien.

Alors le livre, qui voulait me parler, une nouvelle fois de cette Italie-là, m'est tombé des mains et; après un soupir de lassitude, je m'en suis retourné, fermant la porte de la librairie, mélancolique. Il pleuvait et Paris était froid." mars 2011


" Il est des lieux au monde où, semble-t-il, quelque chose vous attendait. Depuis adolescent, j'ai toujours eu pour Prague un attrait difficilement explicable. Serait-ce à cause de Kafka, cet autre Pessoa de l'est? Mais à l'époque je connaissais mal le premier, et j'ignorais encore le second. Était-ce donc le baroque, que je commençais à aimer? Était-ce plutôt la sonorité qui pour mes lobes cérébraux, et plus encore pour mon inconscient, portugais, résonnait en "praga", autrement dit en "plaie" ou mieux en "fléau" au sens où l'on parle, par exemple, des dix plaies d’Égypte.
En tout cas, le mystère faisait sont œuvre dans le cœur de l'adolescent romantique que j'étais. Je voyais Prague voilée de brumes et de pénombre. Elle l'est, paraît-il, parfois, mais je ne l'ai jamais vue ainsi, au contraire, je ne l'ai découverte qu’inondée de soleil.




 On a vanté Prague, et oui elle est une ville magnétique, ésotérique même. La seule chose qui à Prague gâche Prague c'est la horde de touristes qui parcourent, en un flux constant, le labyrinthe de la vieille ville, le pont Charles, les hauteurs du château. Impossible de faire un pas sans être mêlé à la foule curieuse et pixelisée. Les architectures bohèmes, déjà enclines à la pâtisserie, deviennent alors, parfois, insupportables. Il semblerait que tout ne soit que carton-pâte tout exprès monté là pour le plaisir des voyageurs low-cost que nous sommes tous en train de devenir. Il peut y avoir alors surdose d'anges, d'or et de saints, de vert pistache, de bleu lavande, de rose framboisé et de ces jaunes dragée.
Que faire alors? Se lever aux aurores, partir par les rues sans guide et sans plan, attendre qu'une église ouvre pour une messe matinale, en franchir la porte et surprendre le vol silencieux des anges pragois, qui soudain, redeviennent ce qu'ils sont : les hérauts d'une religion jubilatoire.

Et là, arrive ce quelque chose qui vous attendait. Pas le fléau entrevu par cet autre langage qu'est l’inconscient, ni la plaie ou alors celle que fait le doux amour lorsqu'il vous effleure aux murmures d'une messe basse dite par un frère de saint Dominique. Et cette plaie-là, on voudrait qu'elle ne guérisse jamais." mai 2011

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