mercredi 2 novembre 2011

De la plus belle ville du monde.

Ceci est un billet d'humeur.

A quoi donc juge-t-on de la beauté d'une ville? Son site naturel, son architecture, son urbanisme, le génie de ses gens... voilà sans doute quelques critères qui participent de la beauté d'une ville. Et puis, aussi, quelque chose de plus subjectif, comme une sympathie entre l'esprit des lieux et ce que nous portons en nous.
Alors donc, la beauté d'une ville, n'est pas uniquement due à des critères objectifs. Ceux-ci participent plutôt à l'esprit du lieu, le forment, le cadrent, le donnent à voir.

On le dit, on le redit, et dit encore, jusqu'à l’écœurement, Paris serait la plus belle ville du monde. Les Parisiens surtout le disent, et quelques autres qui font chorus. On le dit, on s'en persuade, on en est sûr, Paris est la plus belle ville du monde.Le doit-il à son site naturel? Les rives du Seine canalisée, où le fleuve, serti dans un corset de bâtisses, comme le buste d'une coquette des temps jadis, ne respire plus, étouffe presque? Le doit-il à son architecture essentiellement XIXe, sa monumentalité excessive? Peut-être le doit-il à son urbanisme perspectiviste, ou, au contraire, à sa sur-construction? A cette avenue "la plus belle du monde" - ça vire à la manie- qui n'est devenue qu'une plateforme de la monstrance et de l'étalage parfois vulgaire ? A moins que ce titre ne soit dû, tout simplement, à la délicatesse de mœurs de ses gens?

Le site naturel de Paris avait de quoi séduire certes : un fleuve large, des îles, des marais, des collines... La lecture en est aujourd’hui à peine visible, et du site, il ne reste plus que la longue veine aqueuse sur laquelle se presse, tel le cholestérol, bâtisses et encombrements routiers.

L'architecture parisienne est monotone. Certes il y a des monuments - je connais peu de villes aussi monumentales - placés ici et là, pour, précisément, faire monument - tout le génie du XIXe- L'église de la Madeleine par exemple - que l'on ne peut trouver belle- placée au centre même de la place du même nom, faisant de cette place une monstruosité urbanistique. Pareillement de l'Opéra, qui, toutefois, repoussé plus au fond de la place, respecte un peu plus la manière traditionnelle de concevoir une place, mais qui trouve devant lui un espace démesurément grand où s'étale la plus belle pagaille urbaine que je connaisse. A moins qu'elle ne se trouve à la Concorde - qui n'est belle que de nuit - qui au plein soleil, n'a rien de vraiment beau, elle n'est après tout, qu'un foirail aménagé avec quelques bibelots. Et comment pourrait-être belle une ville avec si peu d'enduits? (argument moyen, je sais, mais argument tout de même)

L'urbanisme de Paris, on le sait, doit beaucoup à un certain baron. L'obsession, toute française, paraît-il, de la régularité, de la mesure, du bel ordonnancement, de la perspective surtout, a sacrifié des pans entiers de la vieille ville. Le XIXe a dessiné le Paris actuel. En soi, ce n'est pas un mal loin de là. Mais cette manie de la perspective se lisant partout, fait de Paris une ville qui se montre. Il faut croire que c'est tout là son génie : se faire voir, s'afficher !

Ses gens l'on bien compris d'ailleurs, puisque nous sommes ici dans le royaume de la pose, l'empire de la posture. Voir et être vu, voilà l'esprit parisien. Les terrasses ne semblent être faites que pour cela; car quoi, installer des chaises et des tables sur à peine deux mètres carré de trottoir, et y séjourner qu'il pleuve ou qu'il gèle, ne viendrait à l'idée de personne, à moins d'avoir un mobile supérieur qui fait que l'on soit tout disposé à souffrir l’exiguïté, la promiscuité, et les affres météorologiques. Le mobile existe : se faire voir.

Peu de villes présentent une masse humaine aussi gluante que Paris. Si Londres connaît aussi les masses, un je ne sais quoi de la civilité britannique, fait que les individus sont toujours à quelque distance les uns des autres, dans le respect, élémentaire, d'un espace vital. Ici, rien de cela : on se colle à vous, s'installe presque sur vos genoux, on vous impose son corps, sa voix, ses conversations, sa musique, comme s'il fallait absolument fusionner. Cela est aussi vrai sous terre qu'à la surface. Toujours il faut faire corps, avancer ensemble, collés-serrés, dans une espèce d'excitation vaine, d'urgence du pas et du geste, de volume du corps groupal et de la voix. Une "hybris" toute parisienne... une ivresse non pas de la vitesse, mais de l'affairement. Paris est un agenda qui déborde. Aussi, beaucoup de Parisiens sont peu aimables n'ayant pas le temps de l'être, trop pressés, trop "over-bookés", trop "full-up".



Paris la plus belle ville du monde? C'est une boutade? Mais pourquoi alors répéter, à longueur d'années, cette assertion qui vaut pour vérité révélée ? Pourquoi donc Paris fascine-t-il? Puisque, au final, c'est bien de cela qu'il s'agit, de fascination.

Sans Paris, la France, serait sans doute un autre pays; et l'Europe sans cette France-ci un autre continent. Le monde serait sans doute autre chose sans cette Europe secrètement dirigée vers Paris. Dans cette configuration, on fait fi d'Athènes qui pourtant joua un rôle, et non des moindres, dans l'élaboration de notre culture. On passe sous silence Rome, l'impériale, source du droit, et la catholique qui imposa ses concepts théologiques passés depuis dans notre bagage culturel commun. On tait le rôle de Madrid capitale d'un empire sur lequel les rayons du soleil ne connaissaient pas de répit. Je ne parle pas de Lisbonne tête de proue d'un pays qui apporta "de nouveaux monde au monde". Et Londres, encore, tête d'un empire multiracial, berceau du pragmatisme et de l'empirisme moderne.  Aux yeux de tout cela, Paris semble tout d'un coup, bien pauvre. Et pourtant, force est de constater que Paris, oui, joue un rôle capital dans la formation culturelle européenne.

La seule chose qui soit arrivée d'original à la France et en France, ce fut le règne exceptionnel de Louis XIV. Quand je dis "original" je ne veux pas dire que ce qui précède ne le fût pas, mais ce qui précède peut trouver facilement des équivalents ailleurs. Il n'en va pas de même avec le règne de Louis XIV. Rien en Europe et au monde ne peut lui être comparé. Profondément baroque, Louis XIV a su faire advenir quelque chose d'inouï, allant jusqu'à formaliser cette monstruosité politique "la monarchie absolue de droit divin". Il a vraiment été un soleil tant par la longévité que par l'impact lumineux de son règne. Paris est Paris, parce que la France est la France en raison de Louis XIV. En effet, depuis ce roi-là, tous les pouvoirs, impériaux, royaux, ou républicains, imitent Louis XIV. Le Roi-Soleil est le modèle caché et l'objet du désir français. Pas Louis XIV en lui-même dont on a que faire, mais ce qu'il symbolise.  Paris est Paris en raison de cette imitation : l'histoire, la succession des pouvoirs, politiques, culturels, artistiques, ont perpétué le désir, ils ont tous pointé un index vers la capitale française, elle devenait ainsi la "ville lumière". L'index pointé désignait Paris comme ville désirable, ville désirée donc, et le désir appelant le désir, ainsi se perpétue la fascination, le mythe d'un Paris capitale exclusive  de la culture et plus belle ville du monde.

La France moderne voit le jour avec ce règne de Louis XIV, enraciné à Versailles - en dehors de Paris me dira-t-on (cela ne change rien, Versailles n'étant qu'une "excroissance" de Paris, puisque "Paris" était surtout un notion, la cour était à Versailles, donc la capitale aussi, donc Paris).
Dégagée de ce mimétisme snob et menteur, comme presque tous les mimétismes, Paris redevient une ville parmi d'autres : belle sans aucun doute - et Paris est beau oui : ses hôtels particuliers, dont beau nombre datent de l'ancien régime, certaines perspectives plus authentiques que celles forcées de l'haussmanisme - possédant un charme qui lui est propre, comme d'autres villes, Paris redevient la capitale d'une France essentiellement provinciale et terrienne. Et à ce titre je rejoins Stendhal lorsqu'il déclare que "Bordeaux est sans contexte la plus belle ville de France".

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