vendredi 18 novembre 2011

La perversion de l'image chrétienne.

Allez, c'est reparti pour un tour. Un tour sur scène, un tour dans la rue, un tour dans les journaux. De quoi donc s'agit-il? Et bien d'un côté, une très attendue nouvelle provocation artistique aux relents christophobes (car en l'espèce c'est de cela qu'il s'agit) et de l'autre côté, en réplique légitime, l'agacement des catholiques intégristes ou non. L'objet du scandale "Golgota Picnic" du Rodrigo Garcia. Voici la petite présentation qu'en donne le théâtre du Rond-Point qui a eut l'heur de programmer cette pièce

"C’est que tout fout la trouille mes amis ! Faut voir l’état des toilettes publiques !
Partout sur le sol, des hamburgers. Jésus est passé par là, il a multiplié les pains. Le Christ, qu’on appelle ici « el puto diablo », finira par voir sa plaie ultime de crucifié remplie de billets de banque. Plasticien, orchestrateur d’images chocs et de tableaux vivants aux provocations assumées, Rodrigo García interroge le monde et ses modèles, bouscule le cours de l’Histoire et de ses mythes. Toutes mesures dépassées, il fait du Messie et de ses acolytes une proie idéale. Machine de guerre lancée contre un monde d’hyperconsommation bovine, Golgota picnic met en scène une crucifixion tragique et trash. L’artiste démontre avec toutes ses armes que l’iconographie chrétienne est pour lui l’image même de la « terreur et de la barbarie ».
Dans cette épopée drôle, décalée, débordante, Jésus devient la cible, lui qui « multiplia la nourriture pour le peuple au lieu de travailler avec lui ». Le chef d’orchestre italien Marino Formenti vient interpréter la partition intégrale pour piano des Sept Dernières Paroles du Christ sur la croix de Joseph Haydn. Apaisement possible dans une fresque grandiose, scandaleuse et agitée. Après Versus, ou Et balancez mes cendres sur Mickey au Rond-Point, Rodrigo García et sa bande de fous furieux espagnols déchiffrent les évangiles à la machette. Ils font tomber des murs d’angoisses et de culpabilités héritées. Performeurs, danseurs, vociférateurs, anges chutés (sic) du ciel ou provocateurs enragés, ils s’attaquent aux peurs de deux mille ans de christianisme."

La seule chose sur laquelle, j'aimerais revenir est cette affirmation : " L’artiste démontre avec toutes ses armes que l’iconographie chrétienne est pour lui l’image même de la « terreur et de la barbarie ». Il démontre. Donc, nous sommes dans une œuvre qui entend démontrer quelque chose et qui y parvient : "il démontre". Et que démontre-t-il? Que l'iconographie chrétienne est l'image même de la terreur et de la barbarie. Voilà donc la portée métaphysique de la pièce : l'iconographie chrétienne est l'image de la terreur et de la barbarie. Autrement dit l'iconographie chrétienne est perverse, car ce qu'elle prétend montrer, cette iconographie, c'est, ce que l'on appelle en termes théologiques, l'économie du salut : un Dieu fait homme, petit enfant, mourant comme nous et ressuscitant. L'iconographie chrétienne entend montrer cela, cette destinée particulière, individuelle, singulière, d'un homme, qui, pour le christianisme, porta en son expérience humaine, la destinée de beaucoup. Mais Rodrigo Garcia juge que c'est tout le contraire, plutôt que d'être l'image de cette communion  et cette communication entre un seul et tous, l'iconographie chrétienne n'est rien de moins que l'image de "la terreur et de la barbarie". Le thème a le mérite de ne pas être original. Et il évoque même, sauf son outrance, les querelles iconoclastes.

Que l'on me permette de rappeler ici le vif débat qui opposa au VIIIe - IXe siècle opposa les tenants de l'iconoclasme et de l'iconodulie. Pour les premiers, la représentation du Christ et des saints était illégitime, pour les seconds elle était légitime, étant donné que le Verbe, avait pris chair. Si Dieu invisible s'est manifesté visiblement dans le Christ, par une chair semblable à la nôtre, il devenait alors permis de représenter cette manifestation. La crise s'est conclue en faveur des iconodules, ce qui garanti ensuite l'expansion de l'art occidental, qui trouve dans cette crise le moment fondateur de sa possibilité tel que nous le connaissons. Autrement dit, si Rodrigo Garcia, peut aujourd'hui représenter sa pièce sordide, et iconoclaste - et c'est son droit, après tout - dans un théâtre financé, en partie par des fonds public et donc l'argent des catholiques - et c'est leur droit de rouspéter- c'est en raison même de la possibilité de l'iconographie chrétienne. Sa pièce qui est une critique abjecte à l'image chrétienne - et donc un iconoclasme mais sous le mode pervers - lui doit beaucoup plus qu'il ne le pense.

Présenter unilatéralement le christianisme sous le mode de la terreur, de la barbarie, de la peur, des peurs, de la culpabilité, c'est opérer une réduction expresse, laissant de côté, soit par ignorance, soit volontairement, des aspects capitaux qui relativisent fortement une telle lecture basique et toujours la même d'ailleurs : la religion est le début de tous les maux.



On voit d'ailleurs ce que donne un monde duquel le christianisme est absent ou presque ; on aurait pu s'attendre, si on en croit les contempteurs, que le monde serait devenu plus sage, paisible, civilisé, mais, étrangement, ce n'est pas le cas du tout. Sans l'iconographie chrétienne, la croix en tête, et bien on devrait avoir un monde de confiance et d'amour s'ouvrir devant nous. Pourtant, il ne semble pas que ce soit cela précisément qui advient. Les iconoclasmes se sont toujours accompagnés de violence, et la pièce incriminée en est une, en quelque sorte. Un monde sans image, c'est-à-dire sans la possibilité d'une réflexivité, d'une médiation, conduit à la violence. L'image chrétienne qui met au cœur de son réseau  iconographique la mort d'une victime innocente dans le don maîtrisé de sa vie, dévoile la caducité de toutes les violences, de tous les bous émissaires, et l'innocence de toutes les victimes. La croix, aux yeux chrétiens, n'est pas la représentation d'une torture, mais le signe du don et du par-don. Bien sûr, une telle lecture demande la conversion de la foi, mais cela est une autre histoire, mais que cela soit une autre histoire n'invalide pas l'interprétation chrétienne.
Si "Golgota Picnic" démontre quelque chose c'est que la négation de l'aspect anthropologique de l'image - dont Rodrigo Gracia se moque comme de son premier burger- révélé par l'iconographie chrétienne (cette science de l'image que le christianisme a élaboré, depuis plus de 1100 ans,  avec la participation d'artistes de tous bords et de toutes sensibilité, science de l'image qui est aussi une science de l'homme et sur l'homme) entraîne une espèce rare de  barbarie. L'image, et l'image chrétienne en particulier, si on sait la lire, nous apprend quelque chose sur ce que nous sommes en tant qu'homme, et cette image est gardienne d'humanité.

A Rodrigo Garcia et à ses orgies mcdonaldiennes, je préfère de loin la lecture que fait René Girard des récits de la passion, y apportant sans doute moins de visuel provocateur, mais plus d'intelligence et de largeurs de vues. Rodrigo Garcia, c'est facile après tout !

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