lundi 21 novembre 2011

Un escalier, un obélisque, et la Vierge.

La Présentation de la Vierge au Temple, épisode apocryphe de la vie de Marie, a fait quelques fois l'objet de représentation. Nous allons prendre ici deux exemples fameux. Tout d'abord, la peinture réalisée par Titien en 1539 et qui se trouve à  l'Accademia à Venise.




La scène est représentée de manière linéaire et, suivant le sens habituel de la lecture en occident, de gauche à droite, suit un schéma ascendant, qui du sol, va jusqu'aux prêtres à l'entrée du Temple, la Vierge enfant étant, seule, à mi-chemin sur un palier. Le schéma linéaire est ouvert cependant grâce à la perspective qui entraîne l'œil du spectateur à dépasser le groupe compacte des "figurants" pour fuir dans la nature à l'arrière plan. L'insertion de l'œuvre dans le décor général de la pièce, accentue l'effet théâtral de l'ensemble. Le spectateur assiste à la scène en quelque sorte, comme par une fenêtre, il y a une continuité entre la salle, espace réel, et l'espace du tableau, scène représentée.  Il faut remarquer l'obélisque à gauche. Il s'agit d'un symbole solaire, en réalité la matérialisation d'un rayon solaire, qui apparaît ici de manière assez étrange en réalité.
D'après l'histoire, le personnage jeune, situé en bas des escalier, est la fille du peintre.



Passons au second exemple, le même sujet mais cette fois peint par Le Tintoret en  1565 et que l'on peut voir à l'église de la Madonne dell'Orto à Venise.






Ce tableau a été peint pour décorer les panneaux de l'orgue. Il figure la scène de la Présentation, mais selon un schéma de lecture tout à fait différent du premier exemple. Si dans le premier cas, la perspective nous entrainait vers le lointain, selon les codes en place à la Renaissance, dans ce second cas la perspective nous conduit directement vers le haut, vers le ciel; le geste de la femme au premier plan entrainant sa fille et montrant la figure de la Vierge, accentue évidemment la perspective. Peut-être que Le Tintoret, en hommage à son maitre Titien, cite la première œuvre en racontant la scène depuis le point de vision du personnage du bas des escalier du tableau de Titien.  Les lignes de forces de ce tableau-ci conduisent toutes vers la figure du grand-prêtre, et confèrent à l'ensemble une étrange solennité. La Vierge, doucement auréolée, semble aimantée et fait une "assomption" anticipée. Enfin, on remarquera, à droite cette fois, en répétition presque de la silhouette de la Vierge, l'obélisque que nous avions déjà aperçu dans le premier tableau. On peut ici dés lors, tenter une interprétation de cet élément. Nous l'avons dit, il s'agit d'un symbole solaire, et plus précisément d'une représentation symbolique d'un rayon solaire. Souvent le sommet de l'obélisque était recouvert d'or, pour accentuer sa symbolique. Dans un contexte chrétien, l'obélisque, ce rayon solaire, devient le symbole du rayon du Saint Esprit, qui unit à la Vierge, manifeste l'Incarnation future du Verbe de Dieu. Cet obélisque est donc le signe du Saint Esprit qui "couvrira la Vierge de son ombre".

Enfin un mot sur l'élément architectural de toutes les représentations de la Présentation de la Vierge au Temple : l'escalier. C'est un élément majeur de la symbolique mystique. L'escalier est le signe de l'ascension de l'âme vers Dieu. Cette "montée" se fait pendant le pèlerinage terrestre. Le tableau dont nous parlons avait été peint pour l'orgue, or nous trouvons dans la bible quinze cantiques des montées que l'on chantait lorsqu'on allait en pèlerinage à Jérusalem. L'escalier du Tintoret comporte quinze marche dorées.
L'œuvre du Tintoret est baroque. Sa structure, sa composition (spirale, lignes ascendantes, perspective di sotto in sù, jeux des contraires) sa narration selon l'oxymore sont des marques d'un nouvel esprit. Les corps sont happés par le pouvoir attractif du transcendant, et sont sous l'action de la grâce plus qu'ils ne sont mus par leur volonté propre.


Je termine avec un dernier exemple, en contre-point.



DIPRE Nicolas - La Présentation de la Vierge au Temple, fin du XVe siècle.


L'ambiance est radicalement différente. Plus de foule, mais uniquement Sainte Anne et Saint Joachim. Plus de perspective manifeste, la scène est frontale. Cependant on retrouve la Vierge dans une position surélevée, qui est la position traditionnelle pour ce sujet. Marie n'est plus en terre et n'est pas encore au ciel, elle monte, la Présentation au Temple est ainsi le signe premier de l'ascension de son âme vers le divin. Divin qui ici, contrairement aux autres exemples, reste caché : le prêtre est dans le Temple et non sur le seuil. Marie fait un geste de la main - il s'agit d'une séparation - et Anne lui répond dans cet univers géométrique et étrange, où les ombres ( l'Esprit Saint te couvrira de son ombre) sont autant de volumes.
Il faut, bien sûr, signaler l'escalier, qui par son traitement en spirale, joue un rôle central dans ce tableau : les marches commencent du côté des parents de la Vierge pour ensuite opérer un virage, une conversion. On remarquera qu'il n'y a pas d'obélisque dans cette scène, mais une colonne qui n'a strictement aucune fonction, et qui aurait très bien pu ne pas y figurer. Mais comme l'a très bien montré Daniel Arasse, la colonne, dans la peinture renaissante, est un signe de l'Incarnation.

C'était, une nouvelle fois, une démonstration de la "terreur et de la barbarie" de l'iconographie chrétienne.

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