mardi 27 mars 2012

Paix, amour et tolérance entre Croix et Croissant.

L'amour toujours l'amour. Voilà encore la belle rengaine. Mais l'amour, ces temps-ci, a subi quelques transformations. Aussi bien, dire "amour" revient à ne plus trop savoir de quoi on parle : Blanche Neige parle d'amour, Carmen aussi, les homosexuels qui veulent se marier eux-aussi en parlent, le plus trivial des coïts est toujours "faire l'amour" et l'Évangile, lui-aussi, nous en touche un mot. Alors au pays de l'amour, les vessies de porc sont reines.

Curieusement d'ailleurs, il est à remarquer que le vocabulaire de l'amour n'est pas si utilisé en matière religieuse. On lui préfère celui de la paix et de la tolérance, comme si l'homme lambda avait deviné que la religion a quelque chose à voir avec la violence. Ainsi on dira, on redira, à qui mieux mieux, que l'islam est (aussi) une religion de paix et de tolérance. Jamais on entend dire que l'islam est une religion d'amour. On fait bien de ne pas l'entendre d'ailleurs parce que l"amour" en islam n'a été porté, comme valeur religieuse, que par quelques mystiques, parfaitement hérétiques aux yeux de l'islam orthodoxe.
On parle donc de religion de paix et de tolérance, comme si la seule fonction du religieux était de pacifier les rapports humains. On le dit à l'envi de l'islam, comme s'il fallait s'en persuader, et on nous adjoint, en annexe, devant le constat que le Coran comporte tout de même une kyrielle d'appels à la violence directe et non feinte, que les autres religions elles-aussi, appellent ou ont appelé à la violence. Cela est certes on ne peut plus vrai.
Cependant demeure une différence notable. Si l'Ancien Testament contient lui-aussi des scènes de violences, des appels à la guerre ou à d'autres types d'actes violents, son statut, pour les juifs et les chrétiens, n'est pas le même que celui du Coran, pour le musulman. L'Ancien Testament n'est pas, au sens strict, la Parole de Dieu, mais un ensemble de livres de styles différents ( poèmes, contes, chroniques "historiques). Le juif l'interprète et le chrétien plus encore à la lumière de la révélation évangélique. Cette dernière ne comporte pas une once de violence, aucun appel au meurtre, rien de cet ordre, et pour tout dire, c'est le seul et unique cas, dans l'univers des religions, où la violence, toute la violence, et la racine même de la violence, le désir mimétique, est rejeté avec une force incroyable, puisqu'elle conduit son fondateur jusqu'à préférer donner sa vie pour démasquer la violence que d'y prendre part. Aussi, aucun chrétien ne peut, ni n'aurait pu, se justifier de sa violence en prenant appui sur l'Ancien Testament, car c'est tout le Nouveau Testament qui la condamne. Le chrétien violent est condamné, remis en cause, sommé de changer, de se convertir à la non-violence, ce sont ses textes qui le lui demandent. Et il ne s'agit pas d'une non-violence béate avec pancarte et panneaux, une non-violence ambulomaniaque, non,  il s'agit d'une position radicale, fondatrice, qui porte le nom, précisément, d'amour. Un amour qui ne doit rien à Carmen, rien à Blanche-Neige, rien aux Grecs, qui est, au sens strict, inouï, qui pas plus ne tient du "faire",  mais de l' "être" et à la vie surabondante de l'Esprit. Pour tout dire, le christianisme est la seule - soyons fous - religion à parler d'amour. Le judaïsme posait des jalons, mais il manquait une chair. Avec le christianisme, la chair est venue.

Le Coran, quant à lui, pour les adeptes du prophète de Médine, est la Parole articulée de Dieu. Si donc il en est ainsi, c'est Dieu lui-même qui appelle à la violence dans le Livre. Tant que l'islam n'aura pas changé son herméneutique - comment la changera-t-il? - nous en sommes-là : un texte aporétique qui critique si peu, un refrain en forme d'espérance : l'islam religion de paix et de tolérance.

Un moment mettons-nous dans la situation suivante. Dieu existe. Le chrétien paraît devant lui, il sera jugé sur l'amour, sur ce qu'il aura fait de la révélation évangélique. Aurait-il été violent, on lui demandera où donc on lui a dit d'être violent, on lui mettra sous les yeux, comme d'ailleurs c'était déjà le cas durant sa vie, la Croix et il s'entendra dire ceci "Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimé". Un Dieu qui accepte de se laisser mettre en croix pour refuser toute violence, ça court pas les rues.
Le musulman, quand à lui, sera jugé sur sa fidélité aux observances prescrites, sur le caractère de sa nourriture, sur la direction de sa prière et son rythme, sur son engagement dans le dijhad (petit ou grand dijhad). S'il se retrouve devant Dieu après s'être fait sauter en compagnie de personnes qui ne demandaient rien (ce qui n'est le cas que de très peu de musulmans, disons-le) que lui dira-t-on? - Où as-tu trouver cette violence?  - Dans le Coran ! - Pourtant ne savais-tu pas que l'islam est religion de paix et de tolérance? - C'était ta parole Seigneur. Elle n'était donc pas claire et je n'ai pas eu le crible, je n'ai pas eu les clefs de l'interprétation.

L'Evangile somme celui qui y adhère de changer radicalement et de laisser tomber toute forme de violence, ça met du temps du reste. Le Coran ne fait rien de pareil. On pourra venir me chanter tout ce que l'on voudra. Le constat est là. La seule issue pour l'islam serait d'abandonner le concept de révélation qui est le sien. Et d'accéder à une lecture analogique et symbolique des textes. Mais comment faire avec des passages qui appellent à la mort des juifs et des chrétiens? C'est historiques? Oui, certes, un contexte historique peut expliquer cela, mais en attendant on bute toujours sur le fait que c'est Dieu, et vraiment Dieu qui parle.  Dés lors, il semble plus que difficile de changer, à moins que de changer son idée de Dieu, et là, la confrontation avec le christianisme est peut-être, pour l'islam, une chance. Je me surprends à rêver parfois.

dimanche 4 mars 2012

Dieu à la bouche.

Les rapports que nous tissons avec la  nourriture, ce que nous mangeons et la façon dont nous le mangeons, sont loin d’être sans significations. L’on sait que les religions, mais pas seulement elles, entretiennent avec  les aliments des relations complexes. Certaines les totémisent, d’autres les frappent d’interdit. Ainsi du judaïsme qui discrimine le monde en aliments « purs » et « impurs », et établit des règles de consommation pour les aliments déclarés purs. L’islam, quand à lui ,déclare impurs certains aliments, dont le porc reste l'emblème, et demande, pour les aliments « purs » une consommation halal. Le judaïsme par les règles complexes de la Kasherout  entend conserver l’ordre de la création tel que Dieu l’aurait instauré, et ne pas sombrer dans la confusion, péché suprême. L’islam, imitant à perte le judaïsme, ne veut que manifester la suprématie de Dieu, par l’invocation de son Nom, au moment suprême de la prise de la vie à l’animal ; faisant de l’acte d’abattage une espèce de sacrifice.

Le christianisme se démarque nettement de l’une et l’autre de ses façons de faire. Non seulement Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur ce n’est pas ce qui entre en lui, mais ce qui sort de lui, de son cœur, faisant que le cœur soit  la nouvelle ligne de démarcation entre le pur et l’impur  - le cœur, c’est-à-dire l’intériorité, l’espace intime où combattent à la fois Dieu et la confusion - mais, plus encore, l’apôtre Pierre est lui-même conduit à porter un nouveau regard sur la création, où désormais, pour l’esprit chrétien, tout est pur. En effet, si le pur et l’impur se jouent en moi, de moi parfois, le reste, ce qui m’est extérieur ne peut être que pur, surtout si on le réfère à la création : comment Dieu qui est pur aurait-il pu créer de l’impur ? Aussi les disciplines alimentaires – très changeantes- dans le christianisme n’ont strictement rien à voir avec les catégories du pur et de l’impur, il s’agit uniquement d’une discipline ascétique, comparable à celle d’un sportif. 

Le christianisme nous a débarrassé non seulement du sacrifice, mais aussi des catégories de pureté rituelle et de tabous alimentaires.  Le monde est à nous et nous en faisons – hélas – ce que nous en voulons. Cependant, la tradition chrétienne, béni Dieu avant le repas, la bénédiction suprême étant celle de l'Eucharistie.
Évacuées les notions de pureté et de sacrifice alimentaires, le christianisme, cependant, fait d’un repas son rite superessentiel. Un repas qui est aussi un sacrifice et un pur sacrifice. L’ Eucharistie, en effet, renouvelle par la voie des signes, l’offrande vitale de celui qui par le don de lui nous a libéré de tous les liens rituels archaïques. Son sacrifice unique, offert une fois pour toutes, rend caduques tous les sacrifices et toutes les figures sacrificielles. L’Eucharistie « contemporanise » ce don par la voie des signes du pain et du vin qui deviennent présence véridique  de celui qui restaure l’homme intérieur.
L’Eucharistie par une certaine pauvreté du signe (du pain du vin), pas l’absence de pathos (pas d’effusion de sang), par la simplification du rite de la manducation (est-ce encore un repas?), nous autorise à avoir un rapport dégagé avec le reste de ce que nous mangeons ou ne mangeons pas. Nous sommes  devenus des hommes libres et au royaume de la liberté des enfants de Dieu, le porc est aussi bon, beau et pur que l’agneau, que la vache ou le poulet, que nous en mangions ou non.