mardi 2 octobre 2012

La culture du redressement.


 La rédaction de ce billet remonte à plusieurs mois. Je ne le publie qu'aujourd'hui.

Bien sûr, on peut et l'on doit se réjouir de ce que l'on évoque la culture comme fondement d'un éventuel redressement de la France et donc de l'Europe, car quand bien même la France se redresserait, si elle le fait seule, à quoi bon? Rien de ce qui est en Europe ne se redresse ou ne s'abaisse sans que le même mouvement ne se répercute, tôt ou tard, sur d'autres. C'est une des facettes du mimétisme global.

Cela dit, une question se pose tout d'abord. Redressement? Mais redressement de quoi, au juste? Si redressement il doit y avoir c'est donc qu'abaissement il y a eu, et que probablement il y a encore. Mais alors quel est cet abaissement non évoqué, si ce n'est par antonymie ? Le mystère est épais. S'il venait, en effet, quelqu'un pour vous dire - et en vérité, on en trouve - qu'il y a eu, qu'il y a, abaissement, affaissement, et je ne sais quoi d'autre dans le même goût, ceux qui réclament le "redressement", s'écrieraient la main sur le cœur, qu'abaissement, il n'y a point, et que l'on se trouve là, à la limite du catastrophisme, de l'insulte, voire du trop fameux "dérapage". Cependant, ceux-là même peuvent parler, eux, de redressement et donc, logiquement, évoquer, sans le nommer - mais ils procèdent toujours ainsi- l'abaissement.
A moins, et cela est possible, que le redressement soit exclusivement un redressement économique et donc social, puisque l'un ne va pas sans l'autre. Mais alors, le mystère s'épaissit plus encore, car que peut la culture dans un tel redressement : s'agit-il de vendre plus de livre? plus de cd? plus de place de concerts? de faire exploser les entrées au cinéma? d'allonger les files d'attentes lors des grandes expositions cycliques, cultes tragiques que l'on rend aux derniers dieux? d'augmenter les manifestations nocturnes en tout genre? de saturer les musées? d'en exporter la marque et les produits dériver? de vendre plus de t-shirt marqués "I love Le Louvre" ou "I Love Versailles"? Allez savoir.

Ces considérations culturelles et économiques nous conduisent à nous poser la question suivante "qu'est ce que la culture?" Un livre serait nécessaire pour répondre à cette question, et d'ailleurs il en existe pas mal déjà qui tentent de cerner le sujet. Restreignons le champ de la question : quelle culture est susceptible de redresser la France - je n'aime pas cette rhétorique, je l'empreinte seulement- , si l'on met de côté les conséquences économiques?
Avant d'en venir à une ébauche de réponse, qui sera d'ailleurs une non-réponse. Donnons deux exemples d'inculture ordinaire. Un de ses derniers jours j'allai, cherchant une théière, dans un magasin bien connu où l'on vend du thé. Je vis sur les présentoirs, un "Guide du théophile". Surpris, je me dit "mais que fait donc une indroduction à la Vie dévote chez un marchand de thé?" Les infusions auraient-elle quelque chose à voir avec Dieu? Il est vrai que l'on parlait jadis de "grâce infuse"... mais tout de même. En vérité,  le livre n'était qu'un guide pour amateur de thé. Comme chacun sait, aimer en grec ce dit, entre autres, "philein" qui donne le préfixe ou siffixe philo- comme dans philosophie ou francophile. Mais, visiblement, ce que chacun ne sait plus, c'est que "théo" en grec veut dire "dieu" comme dans "théologie" et donc en toute logique "théophile" signifie "aimant Dieu", comme "théodore" "don de Dieu". Le Palais des Thés, propose donc, à l'amateur de Thé, de considérer son sachet comme une image de Dieu, qui répand ses vertus, par infusion, dans son âme, comme dans une eau chaude. Voilà bien l'exemple même de la bêtise élevée en culture par le truchement d'un terme qui se veut savant : "théo-phile" ne veut pas dire "qui aime le thé". On me dira que je suis radical, un puriste, un des dernier en ces temps où les puristes ne sont plus, que même l'Académie, blablabla. Mais cela commence par un jeu et fini toujours le plus sérieusement du monde ; je parie que tripotée de gens, bien sous tous rapports, croient le plus ingénument du monde que "théophile" veut dire "amateur de thé" : "Ah, tu sais je suis un grand théophile, j'en bois des litres !" Permettez que je comprenne que Dieu est un liquide.

L'autre exemple est sans doute plus parlant encore. A Rouen, sous le Grand-Horloge, près de la Cathédrale, se trouve une représentation très belle de saint Jean-Baptiste parmi les moutons. J'étais en train d'admirer la sculpture monumentale, quand arrive une bande de gamins conduit pas une institutrice ou une "maman-accompagnatrice". Les gosses étaient en train de faire un rallye-découverte de la ville, j'imagine, puisque, papiers à la main, arrivant sous la tour de l'horloge, ils lisent la question et tentent d'y répondre. "Quels sont les animaux représentés et à quoi servent-ils?" On notera au passable l'aspect pratique de la question, un animal soit ça sert à quelque chose, soit ça sert à rien, et si ça sert à rien, et bien, cela ne sert à rien et donc ouste ! Donc on répond : "des moutons" et "à faire de la laine". Mais soudain un des enfants demande : "Madame, c'est qui le monsieur avec les moutons", puis un autre "oui c'est qui?" Et la dame, la maman ou l'institutrice "Allons, les enfants, on passe à l'autre question" autre question dont la réponse se trouvait cent mètres plus loin. "C'est qui alors?" fut la dernière chose que j'entendis du groupe qui s'éloignait prestement. Non, seulement, on ne répondit pas à la seule question intelligente fasse à l’œuvre d'art, celle de son sens, mais ceux qui avaient préparé le rallye, n'avaient, face à cette oeuvre-là, pas trouvé mieux que de parler d'utilité animale, rendant l'oeuvre inintelligible, presque inexistante. Hélas, l'ignorance dans cette manière est de plus en plus crasse et, même, nous avons atteint un point de non retour, en matière d'art qualifié d'ancien et de religion comme terreau culturel, le pire c'est que bien souvent les deux allaient de paire.

Alors quand nous parlons de "culture" de quoi parlons-nous? De savoir qui était Jean-Baptiste? Même si cela devrait en faire partie, nous n'entendons pas réduire la culture à ce genre de "savoirs", comme nous n'entendons pas la réduire aux multiples manifestations, fêtes, festivals, nuits, performances, installations, etc. qui jalonnent l'année civile. Nous n'entendons pas la faire commencer non plus en 1950 ou à la fameuse fontaine inaugurale. La culture ne commence pas après la guerre, elle ne commence pas à une date précise. Elle n'est pas un pot que l'on ouvre pour en tartiner les temps morts et les jours d'ennuis. La culture n'est pas cette petite curiosité du badaud qui, durant des heures, fait la queue - c'est son devoir- pour "faire" la dernière expo donc parle Télérama, autrement dit dont tout le monde parle. La culture est une inquiétude prioritaire qui a l'oisiveté - l'ostium des Latins - efficace. Une efficacité qui n'est pas de ce monde, qui ne l'est plus. Elle n'est poétique qu'au sens des Grecs, et non au sens des romantiques, qui mentent toujours. La culture ce n'est pas des amusettes pour bourgeois en goguette - et nous sommes tous des prolo-bourgeois, à l'heure qu'il est : il y en  a qui le savent et d'autres qui s'illusionnent. Est-ce cette culture qui redressera la France? Soyons sérieux ! Bien sûr que non. Alors autant dire, que les carottes sont cuites, c'est-à-dire qu'elles sont molles - redressement, tu parles !- et quand c'est comme cela nous ne sommes plus très loin de la purée : la purée de culture, bien sûr.

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