jeudi 29 novembre 2012

Le champ des signes : une mystique facebookienne


Qu'est-ce que facebook? Un réseau social. Nous voilà bien avancés, "réseau social" étant encore de ses fameuses notions dont on use et abuse sans savoir ce qu'elles recouvrent exactement. Mon lieu de travail, ma famille, les amis, mes connaissances, voire les livres que je fréquente, sont aussi des réseaux sociaux.
La figure qui se rapproche le plus de ce qu'est facebook, est celle du forum antique. Place publique bordée de bâtiments officiels, de temples, de lieux de délassement, le forum était l'espace d'échanges par excellence, on y apprenait tout de la vie de la cité, tout et n'importe quoi. Chacun devait y retrouver ses amis, ses connaissances, devait y avoir ses coins préférés, soit au soleil, soit à l'ombre. Facebook c'est cela, un forum; ce que n'est ni le milieu professionnel, ni la famille, ni le maillage amical.

Mais si facebook est un forum, un espace libre - le forum c'est cela -  il ne l'est pas à la manière antique, l'analogie mettant les différences en valeur. Le forum facebook n'est pas un espace réel, il est virtuel, en puissance, mais une puissance qui n'est que puissance puisqu'elle ne s'actualise jamais en un vrai espace. L'espace facebookien est imaginaire et domestique, en ce sens, il est tout l'inverse du forum. 
Aucune voix ne s'y fait entendre, sauf celles venant d'ailleurs, malgré tout, par dessus le marché, à proprement dit, puisque le forum était aussi la place du marché. Quand une voix, dans cet espace fantasmatique, se fait entendre par le truchement d'une vidéo, on comprend, un peu, ce que Jeanne d'Arc aura pu vivre : le ciel facebookien s'entrouvre et une voix se fait entendre qui à chaque fois me surprend dans son intrusion : qui parle? qui donc chante? Pas loin s'en faut que je ne boute l'anglais hors de France. Mais c'est fait me dit-on.
Ce qui règne sur facebook ce sont les apparitions et le silence. Un silence intersidéral où les mots seuls fusent, comme étoiles cadentes. Sans voix, sans émotions, sans rien sinon les smileys et les lol, ou mrd ou ptdr que l'on se doit d'ajouter à telle phrase que l'on jugerait peut-être susceptible de choquer, lol !

ce qu'il reste d'un forum


Si seules les apparitions et le silence règnent sur facebook, c'est donc que facebook est une figure de la mystique, ou plutôt du champ mystique, l'un n'étant pas l'autre. Apparition? Voici. Une photo, et puis une autre, une image donc qui survient sans mon avis, sans que je la choisisse, qui s'impose à moi, qui vient tandis que je me promenais tranquille dans le forum, le cœur ouvert à l'inconnu. Paf ! Cette fois, c'est une œuvre d'art que j'aime et je suis ravi, exactement, ravi comme le santon qui voit la Vierge et le petit Jésus. Pouf ! Oh non : vision d'horreur, cette fois c'est la souffrance animale ou humaine que je vois, comme ses visionnaires qui voient des scènes d'apocalypse et qui - fermer les yeux ne leur sert à rien - secouent la tête pour ne plus les voir. Si la torture dure trop longtemps, si elle se répète trop souvent, je peux toujours supprimer la cause de mes visions. 

C'est proprement le surgissement de l'image apparitionnaire ; facebook fait de nous des voyants, et des voyeurs parfois. Le silence donne plus d'impact à ce flot d'images, puisque si elles sont accompagnées de mots, ses mots sont sans voix,  facebook étant la grande muette publique, l'immense et arachnéen champ du signe, car le champ mystique c'est cela : l'extension du champ du signe, ou pour être plus précis de la trace du signe, de son empreinte. La mystique en ce sens, à l'instar de facebook, est une virtualité. Non point au sens qu'elle n'a pas lieu, où qu'elle n'aurait lieu que dans un ici et maintenant toujours et sans cesse repoussé, mais, plutôt, comme on l'a déjà dit, comme la puissance l'est par rapport à l'acte. La virtualité n'est pas quelque chose qui ne se réalise pas, en ce sens elle n'est pas le contraire de "réel", mais elle est ce quelque chose qui déjà existe comme non actuel : la virtualité est une rétention.
Le signe est d'abord écrit, ou désécrit, il est ensuite imaginal. Le signe écrit étant l'amoncellement des caractères constituants les messages. Des messages relativement brefs, et parfois aussi sibyllins que les oracles de la Pythie. Ils arrivent sans tenants ni aboutissants, sans considérants et sans conclusions. Le message facebookien est proprement de l'ordre de la prophétie, non pas qu'il délivrerait la figure de l'avenir, mais parce qu'il est agit par un esprit d'ailleurs. Le message est ici, mais sa clef est ailleurs, et non seulement sa clef mais aussi sa substance et d'une manière telle que l'on peut dire que les messages sur les "murs" du forum facebook - des graffitis donc - sont sans intelligence absolument. Ils n'ont qu'une intelligence relative, comme manifestation d'un possible, comme survenue d'un sujet que l'on voudrait, lui, absolu.

Les signes imaginaux n'ont pas plus de consistance. Leur surgissement est parfois celui du rêve. Nous sommes ainsi comme ce personnage de 'Orange Mécanique' a qui l'on maintient les yeux ouvert tandis que l'on fait défilé devant lui une flot d'image, de visions. Il en va de même chez les mystiques qui, même les yeux fermés, voient ce qui n'est pas à voir, ce que l'on ne peut pas voir. Et leur œil n'a plus rien d'un œil, tenu qu'il est a rester ouvert. Ce regard, qu'il n'en est plus un, n'est que la toile sur laquelle vient s'exprimer le signe d'un Autre.
Et c'est pour cela que facebook est un forum imaginaire bâti de murs qui n'en sont pas, ni réellement, ni virtuellement, fantasmé, fantastique, caractérisé par la fulgurance. C'est bref et donc sans nuance, cela s'impose, les seuls choix qui me restent étant de détruire le forum, d'en sortir, d'établir une espèce de parcours codifié du forum, ou de "supprimer" celui ou celle qui m'importune. Clic clac, c'est fini, voilà l"ami" jeté dans les ténèbres extérieures, mdr !
Mais qu'était donc cet "ami"? Pas un assurément. On devrait toujours sur facebook, avoir au maximum de la sympathie pour la personne que l'on accepte dans sa liste de contacts. Parce que, les images, les mots, le reste, proviennent bien de quelqu'un, quelqu'un qui dit quelque chose sur lui, sur le monde tel qu'il le voit. Les images qui surgissent ne sont pas le fait du Saint-Esprit, quelqu'un appuie sur des touches, manipule une souris, trouve ceci beau, cela moche, s'émeut de ceci ou de cela. La sympathie - je ne parle pas d'amitié, facebook n'est pas une histoire d'amitié - devrait être un préalable, une promesse, un possible, elle serait ce qui détruirait le théâtre mystique de facebook. La sympathie serait le chant du cygne de la fantasmagorie informatique.  Mais facebook ne permet même pas cela, tant nous tenons à n'importe quelle fantasmagorie.  Son temps n'est pas celui de l'amitié, on le savait, mais pas plus celui de la sympathie, dans le sens profond, unique, du terme. Facebook n'est que "sympa", je "like" donc, clic clic clic, ou pas ! Et là, je suis frustré parce que je ne peux pas "déliker", alors quand j'en ai vraiment marre, je "supprime", c'est sans conséquence et cela m'apporte une paix, la pax facebookia, ouf je ne vois plus ce réac, ce beauf, ce facho, cet anar, ce ci, ce la !

Facebook, forum imaginaire et fantasmé, nous conduit à avoir un comportement fantasque ou nos "likages" sont aussi prompts que nos "suppressions" d'amis, où les uns et les autres réduisent notre champ émotif et affectif à la pure réactivité. Au final, il se pourrait qu'un jour facebook ne soit plus sympa du tout, ptdr ! Et à défaut d'être un réseau social, devienne un vrai zéro humain.

Foi de facebookien.

PS . En tapant facebook, le correcteur me propose Boniface, c'est amusant sémantiquement parlant.

jeudi 22 novembre 2012

Et la famille? Elle va mal, merci.

La famille, n'en déplaise aux catholiques new-age, et aux autres espèces, n'est pas l'un de mes thèmes favoris. J'ai toujours eu un peu de mal avec ce concept fumeux de  "famille de Dieu",  comme il m'est arrivé d'entendre parler de la Trinité, mais aussi avec la sainte Famille, que l'on voudrait nous faire passer pour la famille modèle, et avec la famille naturelle. J'ai du mal avec la première parce qu'il s'agit d'une élucubration théologique, avec la seconde, si elle est proposer en exemple de la famille chrétienne et avec la troisième quand elle est idolâtrée. J'ai sans doute plus lu les évangiles que les documents pontificaux émanés des derniers papes,  car le thème, en tout cas sa forte occurrence, de la famille est, tout compte fait,  assez récent dans le magistère, sans doute à proportion inverse de la faillite moderne de ce "premier noyau" de la société, de cette "église domestique".

Il n'empêche que l'évangile, documents pontificaux ou non, comporte une sérieuse critique de la famille.  On pourrait ici aligner les péricopes les unes derrières les autres. On pourrait ici aussi évoquer le cas de nombreux saints qui ont méprisé - n'ayons pas peur des mots - pères, mères, enfants - suivant ainsi le modèle évangélique - et cela pour poursuivre un idéal qui, selon eux, et selon nous, n'est plus de ce monde, et ne l'a jamais été. Mais là n'est pas le propos de cette publication.  Un chrétien authentique, un chrétien qui veut vivre selon l'esprit de l'évangile, selon cette sagesse qu'est l'évangile, ne peut purement et simplement chanter les louanges de la famille, au risque d'en chanter d'autres, je cite en pagaille : celle du code napoléonien, celle de la bourgeoisie, et d'une évolution très XIXe de la bourgeoisie, celle de l'ordre naturel, qui tout de même porte un coup dans l'aile depuis qu'Eve s'approcha d'un peu trop prés d'un certain arbres, celle d'une certaine société qui n'est plus, celle d'un âge d'or qui n'a jamais été, celle, encore, de fantasmes de tous ordres.

Que dire maintenant du mariage, antique porte d'entrée de la famille ? Si pour la famille mon chant défaille, pour le mariage je deviens muet. Oh, je ne nie pas la beauté de la chose et son romantisme qui ses derniers temps a repris  du poil de la bête, mais d'une bête morte : qui ne rêverait d'une candeur matrimoniale, des serments rose-poudré, des mains que l'on demande en tremblant, des promesses d'éternité ? Je porte cela bien trop haut pour nier sa valeur, valeur quelque peu vaine, mais valeur tout de même. J'ai gardé un pied dans un temps qui échappe au temps, où l'amour est éternel et où l'éternité est ici et maintenant dans la parole donnée. Hélas, trois fois hélas, force est de constater que le mariage est l'antichambre du fiasco conjugal. Il devient presque normal, presque convenu, presque nécessaire que tout ce déballage de blancs serments froufrouteux se soldent par un divorce. Et qu'est-ce qu'un divorce si ce n'est un anti-mariage,  le constat juridique de la faillite du lien matrimonial, de l'obsolescence de la parole, de la vanité des serments, du fameux bas-les-masques dont Mireille, tout un temps, nous rebattait les oreilles ?
Le mariage aujourd'hui est devenu la fête antérieure de l'impossibilité de conjuguer vraiment. Certains, grands idéalistes, recommenceront, encore et encore, et parfois, il faut le reconnaître parviennent au mariage ultime, soit faute de temps d'en trouver un meilleur, soit que le pied, un peu difficile à chausser, a trouvé sa chaussure, après en avoir essayé dix paires.  Est-ce l'âge qui rend sage? Est-ce la lassitude qui rend moins exigent? Est-ce la peur d'avoir froid en hiver qui fait que l'on ferme les yeux sur un idéal? Ou alors, je ne le nie pas, est-ce tout simplement que la maturité vient tard, de plus en plus tard. Je ne chanterai donc pas le mariage, qui, pour le catholique que je suis est un sacrement, autrement dit un signe, un signe qui réalise ici et maintenant la promesse d'aimer, celui-là ou celle-là, contre vents et marées. Je crois à cela et j'y crois trop, je pense,  c'est pour cela que je suis un défaitiste conjugal, sachant, d'expérience ce que valent les serments et les agitations d'un cœur humain qu'aucune grâce ne vient soutenir, qu'aucune transcendance ne vient fortifier. Un cœur livré à lui-même et rien qu'à lui-même c'est de la barba papa, à la première pluie, elle fond !

Le "mariage-pour-tous" - que j'écris avec des tirets de liaison, car plus qu'un nouveau slogan il s'agit d'une notion, et comme toute notion, elle tient de la philosophie - reconnait la suprématie du mariage hétérosexuel et bourgeois, et même celle de la famille, puisque loin d'en être une critique, il veut, au contraire, en étendre l'empire à des territoires non encore conquis.. Il reçoit le modèle normé - le mariage et la famille tels qu'ils sont - le reconnaît pour aussitôt lui dénier son rôle de modèle et nous faire croire que tout cela est spontané : c'est la loi du mimétisme. Sous couvert d'un droit à l'égalité - droit qui en soi n'est pas à discuter, il va de soi que nous sommes tous égaux en droits, et en droit - mais fallacieux, il ne s'agit pas tant de transformer les normes sociales - ils ne savent pas ce qu'ils font - que de signifier qu'ils n'y a pas de normes sociales que celles que l'on veut bien s'imposer, au nom d'une manie, d'une fantasme, d'une tocade, d'un soupir, d'un orgasme, d'un battement de cil, d'un courant d'air.. Ce droit est fallacieux, parce que si l'égalité est universelle, elle n'est pas un absolu. L'égalité, comme n'importe qu'elle relation, est, précisément un relatif. Ainsi par exemple, je peux m'égosiller à revendiquer le droit de mesurer 1m80, d'avoir des yeux bleus, et d'être une femme - droit que personne ne saurait, en toute justice, me refuser - il se trouve que  - sauf intervention violente - qu'il me manquera toujours 10 centimètres environ, que mes yeux seront toujours noisettes et que je serais, probablement, toujours un homme. Il y a dans la revendication à l'égalité, parfois, un refus des limites qui flirte avec la dictature et la tyrannie. Je disais que je serai toujours inscrit dans mes limites, sauf violence. Or, il se trouve, que ce qui se passe en ce moment au sujet du mariage-pour-tous, qui n'est que le mariage pour les gays - parce que de fait le mariage est déjà pour tous - est une violence. Une violence anthropologique, philosophique, religieuse aussi, qui se cristallise dans le juridique, comme pas mal de violences dans nos sociétés modernes : le juridique, le droit positif, est devenu le nouveau terrain du mimétisme victimaire, le lieu où se livre les batailles du désir, le lieu de la célébration de l'humanité nouvelle.

Toute violence n'est pas mauvaise, loin de là. Celle qui arrive, qui va arriver n'en doutons pas, est-elle souhaitable, utile, requise ? Autrement dit, qu'est-ce qui la provoque ? Quelle en est sa cause? Il y a plusieurs réponses à ces questions. Mais aucune ne saurait évacuer, dans un domaine qui touche à la sexualité - et pas uniquement au droit - l'importance du désir inconscient, l'importance de la méconnaissance mimétique. Que demandent les lobbys gays en demandant le mariage ? Que veulent les autres en défendant la famille? Les premiers demandent-ils uniquement une égalité exorbitante? Les seconds défendent-ils  uniquement les cadres normés de la société? Ce qui est sûr, c'est que les premiers sont tenant d'un naturel égalitariste, les seconds d'un culturel normatif. Ce qui est certain aussi, c'est que la nature n'existe, pour nous hommes et hommesses (sic), que par le truchement d'une culture donnée, et que la culture n'est jamais bien loin de la nature qui nous agite. Aussi, un égalitarisme naturaliste ne vaut guère mieux qu'un culturalisme a-critique.

La revendication égalitariste n'aura pas tous les effets escomptés, et il est fort à parier, qu'elle se poursuivra autrement tant elle puise profondément son ressort dans un malaise global que le droit ne peut résoudre. Après le mariage gay viendra autre chose, et puis encore autre chose, jusqu'à ce que le fantasme ou, qui sait, la réalité, des limites ne s'impose plus. La revendication des cadres "traditionnels" du social peut elle aussi virer au bourgeoisisme frigide, s'il n'est pas pensé. Or dans le "débat" en cours, on pense peu. Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, quelques arguments de raison ont été avancés ici et là, mais la raison est la chose la moins bien partagée au monde, et ils ont été balayés d'un revers de mains : on préfère la passion, les seins nus, les banderoles, les croix et le reste; chacun son folklore. Il n'empêche que demeurent les questions : qu'est-ce qu'une limite? Est-ce forcément un mal? Le mariage, après tout, c'est quoi? La différence sexuelle est-elle ou non normante? Veut-elle encore dire quelque chose?




Il faudrait que la "communauté-gay" - ce néant de la pensée, cet artifice sociologique -  sorte un peu de ses fêtes - pauvres fêtes -, ses rangeots, ses baskets, ses cuirs, ses befores et ses afters, ses tralalas sexuels, ses backrooms et ses vapeurs et  propose autre chose -se reporter à Têtu - que des pectoraux, des fesses et des paquets bien remplis. Non pas que cela soit mauvais en soi, loin de là, mais il faudrait tout de même penser autrement qu'avec deux boules : nous avons aussi des hémisphères cérébraux, et mieux, puisqu'on ne pense pas qu'avec son cerveau, on pense aussi avec un cœur - je ne parle pas du cœur romantique, cette viande infecte - et un esprit, un esprit surtout !
Pour ceux qui tiennent pour des normes, il faudrait tout de même mettre un peu d'eau dans son vin. La famille et le mariage ne sont pas des panacées. Combien de mariages ratés - et pas seulement parce que le traiteur était mauvais ou la robe, au final, vulgaire - de familles décomposées -parce que une famille recomposée, est d'abord une famille décomposée, on a jamais autant aimé la conjugaison !- combien d'enfants aux liens familiaux de plus en plus vastes : je connais des tontons et des tatas - des tontons tatas, aussi - qui ne sont ni le frère, ni la sœur, d'un des parents. On peut pleurer sur cet état de fait, mais c'est un état de fait, et rien ne laisse présager que nous sommes en train de rétablir l'ordre moral, normal, si tant est qu'il ait existé un jour.

 Très franchement, je ne vois pas ce qui empêche, un Etat, une collectivité démocratique, athée, agnostique, non-confessionnelle, anti-confessionnelle, laïque, a-religieuse, irréligieuse, d'élaborer une morale, qui ne soit que le résultat d'un consensus entre les forces en jeux, autrement dit, qui ne soit qu'une pax mimetica. Dans cette paix morale-là,  non-contraignante - si ce n'est dans un ici et maintenant, toujours à rediscuter - non-définitive - puisqu'elle est consensuelle, autrement dit fondée sur une dynamique forcément mouvante, et donc relative - je ne vois pas, ce qui empêche, d'unir deux personnes de même sexe. Au contraire, je pense que l'on ne va pas assez loi et que rien - si ce n'est des attachements viscéraux, névrotiques ou non à des conventions bourgeoises et religieuses ( un autre consensus, mais plus celui-ci) - n'empêche en définitive d'unir les membres d'une même fratrie, d'une même famille, et non seulement dans une union exclusive, mais aussi dans une union plurielle. Plus encore, on peut très bien unir deux entités d'espèces différentes : un homme et un chien par exemple. Il suffit que la dynamique consensuelle ailleurs dans ce sens, avec force arguments anthropologiques, sociologiques, philosophiques, etc. Car, je vous le demande, qui aurait pu prévoir un instant, je ne parle pas du XVIIIe, ni même du XIX, mais disons dans les années 1930, qu'un jour deux hommes, deux femmes, puissent se marier. Qui? Si ce n'est un obscur individu délirant en chambre. Il suffisait d'une étincelle pour que la machine de la morale consensuelle se mit en route et nous y voilà. Il n'y a rien d'étonnant et en soi, c'est un progrès. Le progrès se déroule sans conscience, sans atermoiements, sans émotions, il va se déployant toujours, et le progrès tue, parce que le progrès mime.

L'amour existe. L'amour entre hommes existe. L'amour entre femmes existe. Que certains homosexuels  puissent élever des enfant mieux que certains hétérosexuels, pas de doute. Que cela fonde un droit? Aucunement. Que cela impose une modification substantielle des structures normatives de la société? Pas davantage. Homosexuels ou hétérosexuels, nous sommes tous nés entre les cuisses d'une femme et tous issus de gamètes mâles, d'un manière ou d'une autre. Faut-il évacuer cela aussi? Je suis persuadé qu'on y viendra. L'hétérosexualité est donc au fondement même de notre imaginaire culturelle et psychique, parce qu'elle est, en définitive, la chose la plus spontanément naturelle, et je ne suis pas loin de penser que c'est l'homosexualité qui est du côté de la culture. Il n'y aurait pas d'homosexuels sans différence sexuelle, sans mâles et sans femelles. Davantage, il  n'y aurait pas d'homosexualité sans, dans le même mouvement, option pour le même sexe et refus du sexe différent. L'homosexualité n'est pas seulement une pulsion inversée, elle est un "choix" d'objet qui évacue l'autre objet possible. Elle n'est pas purement et simplement l'inverse de l'hétérosexualité. L'homosexualité pose des question que l'hétérosexualité ne pose pas, et il est bien qu'il en soit ainsi. Il est bon que cela soit ainsi parce que c'est l'humain qui interroge l'humain. C'est l'humain qui demande des comptes à l'humain, c'est l'humain qui critique l'humain, dans un dialogue des différences sans qu'elles passent au rouleau compresseurs des égalités lissantes.

La forme d'homosexualité advenue dans les années 80 - 90 en France, et ailleurs, est, globalement, une homosexualité du politiquement correct, du moins en façade - on ne se défait pas de la clandestinité comme ça. Ce façadisme de bon ton n'est, dans ses phénomènes en tout cas,  qu'une imitation kitsch de l'hétérosexualité et de ses rites alors que celle-ci les tournait en dérision.  L'hétérosexualité qui ne sait plus à quel saint se vouer, rend bien la monnaie de sa pièce à cette forme d'homosexualité policée en en adoptant certains de ses codes. Le modèle imite l'imitateur qui à son tour repart de plus belle dans une imitation en abyme.  Il y a dans la façon de vivre  l'homosexualité, aujourd'hui et ici, quelque chose de la revendication petite-bourgeoise au nom d'une “égalité” hystérique élevée au rang d'idole. Cette transe toute en ivresse à signé la mort de l'homosexuel qui interrogeait la société dans laquelle il vivait. Il lui demandait des comptes sans même à avoir à lui en demander, sa seule présence suffisait à poser question. Aujourd'hui dans le bal de l'égalité et de l'in-différenciation est advenu le gay, et le gay-festif, qui n'a d'autre préoccupation que de se fondre dans le paysage morose des sociétés post-post-modernes, ou tout se confond, ou tout se dé-vaut. Ce gay-là aimerait aimer concilier son errance charnelle et un modèle de stabilité que lui ouvrirait le mariage. Il veut déconnecte une bonne fois pour toutes l'acte sexuel de la filiation, et il est, c'est une évidence, bien placé pour cela.








mercredi 21 novembre 2012

Le loup, la religieuse et le diable.

"On ne frappe pas une femme". Cette proposition pourrait être vraie. Mais, et sans aucune mauvaise foi, elle ne l'est plus. Primo, parce que l'on sait ce qu'est une femme depuis que la théorie du genre nous l'enseigne : un résultat culturel. Secundo, parce que la proposition, au regard du féminisme, est sexiste. Elle voudrait dire, en effet, en creux, "on peut frapper un homme". Pourquoi donc pourrait-on frapper un homme et pas une femme? Il est évident que la proposition fait preuve de sexisme et de discrimination en raison d'une construction culturelle tout relative. Si on maintient la proposition initiale, ce serait en souvenir de je ne sais quelle galanterie bourgeoise, de quel esprit chevaleresque où il était coutume de défendre la veuve et l'orphelin. 

"On ne frappe pas une femme" est donc, pour nous qui sommes éclairés, et qui savons ce qui nous trame, une proposition irrecevable. L'égalité elle-même nous oblige à ne pas la recevoir. L'égalité comme traitement uniformisant pour tous, sans distinction de sexe, de préférences sexuelles, d'origine, etc. Selon cette conception égalitariste l'équation est très simple : femme = homme. 

Donc si "on ne frappe pas une femme", cela veut dire que l' "on ne frappe pas un homme" non plus. Et dans ce cas, il faut s'insurger de ce que les fameuse Femen aient été battues non pas parce qu'elles étaient des femmes, mais parce qu'elles ont été battues tout simplement. Un "elles" qui auraient pu être un "ils". Si on continue à s'insurger du fait que ce sont bien des "elles" qui ont été malmenées, dans ce cas, on se doit d'être logique et de renier, l'égalité uniformisante, l'anti-sexisme et la théorie du genre, entre autres choses. Soit encore, et c'est le plus terrible, on sous-entend que s'il ce fut agit d'hommes, cela aurait été moins grave, alors on dit du même coup - si on peut dire -, si on ne renie pas toute l'idéologie mentionnée, que l'on pouvait battre aussi ces femmes, puisque une femme = un homme.

Ces femmes-là sont donc les dupes de leur idéologie et elles nous dupent aussi. Voulant chatouiller le loup tandis qu'il mange ou dort, elles s'étonnent d'avoir été mordues.  Je suis enclin à penser que d'être mordues leur sert, et qu'au final leur étonnement n'était que surfait. Pourtant elles savaient lire, c'était écrit "chien méchant". Les atermoiements de M. Fourest (le M étant ce qu'il y a de mieux désormais pour dire Monsieur ou Madame -Mademoiselle a été relégué au placard - chacun met donc ce qu'il veut dans ce M) sont des postures, de celles dont elle a le secret. L'Infinie Insurgée, la Grande Outragée, la Divine Affligée, sait parfaitement d'un détail faire un roman-photo. Elle vous prend une citation tirée de son contexte et ça lui fait son carburant pour un an. Elle qui a tout lu, tout vu, tout su, tout compris, elle qui devine tout, ne pouvait-elle pas prévoir ce qui allait se passer? Si bien sûr, cette fille intelligente le savait parfaitement, et c'est même pour cela qu'elle avait une caméra, qu'elle hurlait avec les autres, et qu'elle levait, elle-aussi le poing. Journaliste ? Soit, mais militante avant tout, journaliste parce que militante. Elle court, elle court la Fourest, mais pour sa boutique.

Exactement comme ceux qui marchaient ce jour-là - avec autorisation des autorités légitimes - qui marchaient pacifiquement jusqu'au happening des hystériques. Ils marchaient pour leur boutique. Drapeaux nationaux estampillés du Sacré-Coeur - faudrait se pencher une bonne fois sur les "révélations" qui ont donné naissance à ce drapeau-là, et l'on verrait que l'on ne peut donner sa foi, ni sa raison, à ce théâtre d'ombre, mais passons - banderole ( une en vérité) aussi bête que les body paintings des amazones. Ils avaient poussettes et marmots, cela valaient bien les seins, qui comme dit Lacan, ne sont pas des organes sexuels - il dit ça quelque part, je ne sais plus où, dans le séminaire "Encore", je crois. Le sein est à l'enfant ce que le nuage est à la graine. Un enfant voit un sein, il voit un nuage. Pas de quoi en faire de la ricotta. Ce que je me demande, c'est ce que font des marmots à une manif, qu'elle soit de CIVITAS, ou d'ailleurs, de gauche ou de droite. Un enfant n'a rien à faire dans ce genre de performance. Mais ça c'était avant, aujourd'hui on sait que l'avenir de l'homme, c'est l'enfant.  

Venons-en à la violence. En toute justice, il faut bien admettre que la première violence est celle de ces femmes. Ce sont elles qui et par le geste et par le slogan ont donné le premier coup. Elles débarquent sans crier gare, avec un accoutrement merdique et des extincteurs dont on ignorait le contenu... par les temps qui courent, on est vite paniqué. Des catholiques voient le diable, et l'on voudrait quoi ? qu'ils  dansent avec lui?  Donc début de la rencontre 1 pour Femen, O pour Civitas. Et puis quelques membres de la manifestation répliquent  (des excités de groupes de jeunesse brune, semble -t-il ) : 1 Femen 1 Civitas. A la fin, les activistes de Femen sont mises dans un fourgon de police. Fin de la rencontre : 2 Civitas, 1 Femen. Mais on joue les prolongations : la presse, Fourest, etc : 2 Civitas, 2 Femen.   




Eloïse Bouton, l’une des "chefes" de Femen en France, déclarait à Libération : « En tant que féministes, nous considérons que nous devons avoir un avis sur tout, pas seulement sur les sujets qui ne concernent que les femmes. Sur la mondialisation, sur le réchauffement climatique, sur tout. » Et plus loin : « Bien sûr, nous voulons attaquer les catholiques intégristes. Le mariage gay est une affaire laïque et on ne comprend pas pourquoi ils s’en mêlent ». Je pense que l'on peut enlever le "intégriste" qui n'est qu'une précaution oratoire puisque en tout état de cause, ce sont elles qui jugent ce qui est intégriste ou ne l'est pas.  On pourrait se dire, que n'importe quel adjectif peut remplacer le "féministes" et le "femmes", je ne sais pas, par exemple, cul-de-jatte, ou jardinier, ou catholique. Mais le raisonnement se construit ainsi : la religion est de l'ordre privé, strictement privé, le mariage-gay c'est laïque, strictement laïque et donc out ! Le raisonnement bien que sans nuance, pourrait se tenir, à ceci près que le "féminisme" de Femen tient du religieux aussi, c'est-à-dire, de la construction mythologique, de l'invention littéraire, d'une lecture philosophique. Et que ces femmes ne sont pas loin, d'être une espèce nouvelle d'inquisiteur. Toujours l'histoire de la paille et de la poutre.


On voit comment le mimétisme agit et comment, de nos jours, la violence mimétique devient vite judiciaire, juridique et médiatique. Si la violence première a été objectivement portée par Femen, qu'en est-il de la violence originelle, celle-ci n'étant pas celle-là? La violence originelle est à chercher dans la politique, dans le débat politique où plutôt dans la comédie politique, au sens très noble du terme "comédie". Le mariage-pour-tous qui déchaîne - littéralement- les passions : est d'abord une proposition politique et donc symbolique. La violence originelle est de cet ordre, de l'ordre symbolique appliqué à la vie publique, autrement dit du politique. Un symbole qui divise, ce n'est plus un symbole, c'est un diabole. Le diabolique donc est la figure du politique. On ne saurait, pratiquement, en politique faire autre chose que du diabolique, que de l'usage de diaboles. Le mariage-pour-tous, malgré sa philanthropie évidente, est de cet ordre. Il l'est non pas tant en soi, mais dans ses présupposés philosophiques et dans, précisément, sa volonté, tacite, méconnue, inconsciente, de muter le symbole, de déclarer que le symbole après tout ce n'est qu'un jeu de signes, qui ne porte pas à conséquence, avec lesquels on peut, tout à son aise jouer, et peut-être en est-il ainsi. Mais les altercations récentes laisseraient croire qu'il n'en est rien,  que jouer avec les symboles est explosif. 

Il fut dans la première moitié du XVIIe une affaire qui, mutatis mutandis, a quelques similitudes, du moins dia-sym-boliques, avec celle-ci. Je veux parler de celle qui secoua la petite ville poitevine de Loudun. Tout un couvent de religieuses ursulines se trouva possédé du démon. Cela commença par la supérieure et très vite l'épidémie gagna toute la communauté. L'affaire fit grand bruit. On chercha, bien sûr, un coupable, et le sort - pas par hasard, il n'y a pas de hasard dans le choix d'un bouc émissaire - tomba sur le curé. C'était lui la cause de ce déchaînement de diableries. On le jugea, on le brûla. Mais les possessions, les convulsions, les cris, bref l'hystérie reparti de plus belle. On fit venir exorcistes et médecins, et le public put venir assister, comme au théâtre, aux séances d'exorcisme. Car c'était cela : un théâtre, un happening nous dirons, une performance qui n'avait pas encore été inventée. L'affaire ne fut pas que religieuse, elle était politique aussi. Loudun fut le précipité d'une crise mimétique sans équivalent dans sa théâtralité. 

Aujourd'hui, que la possession est reléguée au Moyen-Age, il faut bien que l'hystérie se dise autrement. Mais elle conserve presque les mêmes signes : religiosité, théâtralité, démesure, convulsionnisme, extrémisme, mensongerie et violence. Loudun ou Femen, après tout nous ne sommes pas loin, l'exorcisme étant remplacé par la procédure juridico-judiciaire. Dans l'un et l'autre cas, ça possédait, ça se faisait posséder : des religieuses qui ne pouvait être possédées par aucun homme -Urbain Grandier, le curé en était un - et des féministes qui n'aiment pas beaucoup les hommes.  Et sur la scène du théâtre, c'est toujours le même combat qui est mimé celui de la liberté fondamentale qui récuse l'aspect contraignant du symbole et de la  Morale qui impose l'existence de l'instance symbolique. Ce théâtre-là avant de se trouver à Loudun ou dans la rue, plante ses tréteaux au cœur de chaque individu. Et le grand drame de toute crise mimétique, c'est d'ignorer cela. Extérioriser ce conflit permet de donner visage au "diable" qui nous agite et, illusoirement, de le tuer.

mercredi 14 novembre 2012

L'entrée du Christ à Bruxelles où la religion qui vient.

La religion est polymorphe ou plutôt le religieux est polymorphe puisque la religion est une chose et le religieux une autre. On peut rapidement définir la religion comme un ensemble plus ou moins structuré de principes, de croyances et de rites, tandis que le religieux serait plutôt un sentiment, plus ou moins vague, plus ou moins conscient, ayant trait à des conceptions du monde ne relevant pas directement de l'empirisme positif.
Le religieux donc, en raison de sa nature extrêmement plastique, peut se manifester en dehors même des cadres stricts de la religion, des religions. Il y a un certain rapport au sport, à la mode, aux fêtes, à la musique, à la culture, à la politique, à la science même qui relève du religieux et ce même si les comportements signalés ne donnent pas forcément naissance à une religion. Un seul exemple lié à la nourriture : le sport et la mode font appel à un comportement ascétique proprement religieux, comportement largement manifesté dans un ensemble de religions. L'anorexie sportive ou celle des plateaux de modes ne peut pas ne pas faire penser à celle de la mystique. Si les deux premières sont acceptées culturellement par nos sociétés comme allant de soi, la troisième, quant à elle, semble pathologique et ce uniquement en raison de son objet de référence directement religieux.

Cet exemple, et il y en a d'autres, illustre clairement que ce qui "fait problème" pour les mentalités contemporaines, ce n'est pas tant un comportement spécifique que l'objet de référence qui motive le comportement. Or l'objet explicitement religieux fait problème. Davantage encore, c'est l'objet religieux transcendant, autrement dit celui qui est au dehors, qui est évacué; car, malgré le soin qu'elle met à évacuer tout ce qui est expressément religieux, notre société est incapable d'y parvenir vraiment et le religieux n'est en définitive que déplacé.



Ce déplacement est accompagné, à moins qu'il n'y participe, d'un changement de paradigme. Ce nouveau paradigme comporte l'amnésie générale d'un moment, pas si ancien, d'une religion structurante de la culture. Je veux parler du christianisme qui, il y a encore quelques années, était un donné que beaucoup partageaient sans même y adhérer par conviction.
Aujourd'hui, il semble que les choses aient changées et que toute référence au christianisme, qu'elles soient motivées par des convictions philosophiques ou simplement sociologiques, est le fait d'une arrière-garde désespérément attachée à un ancien ordre des choses. La rapidité du changement paradigmatique dont ce qui vient d'être dit n'est qu'un symptôme, ne peut avoir lieu sans un travail positif d'oubli, d'amnésie.
Cette amnésie draine avec elle la confusion des notions, et pour tout dire, l'indifférence aux notions elles-mêmes. Que nous importe donc les notions, l'histoire et le reste, puisque nous en inventons d'autres ! semblent dire nos contemporains. Le problème est que les fameuses notions dont on ne veut plus avaient été forgées dans une espèce de lenteur propre à l'humain, et que celles - les pauvres - qui les remplacent sont artificiellement fabriquées dans l'officine des jeux des influences politiques, économiques, sociologiques, et plaquées à grand renfort de communication sur des cadres tout aussi vite construits et qui sont censés rendre compte de l'évolution extrêmement rapide des mentalités. Les axiomes du nouveau paradigme sont ainsi induits, presque de force, avec une violence qui même si elle prend la télévision pour truchement n'en demeure pas moins une violence, inculqués dans la tête, l'esprit, le cœur des individus constitués en troupeau savant. La généralisation des études, de l'école, nous a rendu "savants", capables de réfléchir par nous-mêmes, mais, malheureux que nous sommes, nous voilà toujours constitués en troupeau où si l'un bêle, le voisin bêlera, et ainsi de suite. "Penser par nous-mêmes"? La belle illusion, ça pense et ça se passe bien de nous. Il faut une volonté d'airain pour échapper au poids du troupeau savant, s'extraire de la masse soi-disant pensante et suspendre son jugement autant qu'il le faut, jeter un anathème définitif sur la télévision, cette boîte de pandore, et faire son chemin sans l'aide de ce cerveau de remplacement.

Parmi ce qu'il est convenu d'appeler, de façon somme toute assez conventionnelle, nos contemporains - car, après tout, qui m'est contemporain? - il en est, un bon nombre, qui refusant, parfois de manière arrogante - une arrogance qui tant elle tient du tic mimétique, confine à la bêtise, égrainant toujours les mêmes poncifs, les mêmes arguments ressassés -  et le religieux et la religion - toutes sont englobée dans ce "la" qui prend essentiellement la figure du christianisme, comme étant la quintessence de "la" religion, autrement dit de la perversion - exécutent, dans un même mouvement, le remplacement de l'une et de l'autre, par une "philosophie" et des références idéologiques qui tiennent du religieux et de la religion. Ils se font gloire d'être purifiés de la perversité religieuse mais, et c'est sans s'en rendre compte, tant ce qui est religieux est censément évacué, qu'ils réinstaurent des habitus et des manies proprement religieux. Les lendemains qui chantent, ceux du changement perpétuel - et ça change depuis toujours, l'Eglise elle-même ne se disait-elle pas "semper reformanda", sont pour ses bonnes âmes l'horizon de leur eschatologie immédiate. Ces bonne âmes toutes replètes d'une dévotion festive, toutes confiantes en une humanités idéale et bonne, pleine de romantisme social, tout sourire et le cœur sur la main tant que vous êtes d'accord avec elles, mais bien que  dévotes à la fête humaine, se transforment en assassines, sans pitié, sans compassion, sans même prendre la peine de vous comprendre dans ce que vous dites, en coupeuses de têtes, si vous avez le malheur de ne pas vous réjouir avec elles. Cette "Eglise" qui ne dit pas son nom, aux ramifications telles que je ne demande parfois si, à mon corps défendant, je n'en fait pas partie, propage - elle a ses missionnaires - ses idées, ses sentiment, ses impressions qu'elle prend pour des opinions, ses opinions qu'elle croit  mordicus être données d’en-haut, un en-haut qui est aussi un en-bas, car pour elle il n'est d’en-haut que très bas;ce nouveau paradigme, qui a besoin de la figure de l'autre soit pour l'aduler soit pour l'écraser.

L'évacuation spectaculaire d'un certain religieux, d'un religieux dont la référence est explicitement transcendante, d'un religieux entretenant des relations trop explicites avec la religion, fait place ainsi à une palette de réactions qui sont encore de type religieux et donc, à terme, à une religion au sens où on la définissait plus haut.
Cette religion qui vient - qui est déjà là - est à la fois politique et festive, l'un n'allant - désormais- jamais sans l'autre (Il n'est que de voir les émissions de télévision où hommes politiques - et femme, précisons- se mêlent aux comiques en tout genre, dont certains font profession, justement, de moquer le politique. Aussi le moqueur se trouve à la même place que le moqué, l'arroseur que l'arrosé, et l'un vaut l'autre, et l'un dit aussi vrai que l'autre, et l'on ne sait plus, au final, qui est l'un qui est l'autre, car de l'un à l'autre, il n'y a plus de différence. Et l'effacement de la différence est un premier pas vers la violence.)
La fête, et la fête politique, est la figure majeure de la religion nouvelle. Une religion qui impose à ses fidèles de se réjouir en tout temps et de trouver cause à sa réjouissance en tout. La ville - lieu du politique étymologiquement - devient le fastueux théâtre des amusements et l'on voit telle ou telle place occupée par des manifestations où les citoyens communient : c'est sympa ! Effectivement, c'est sympa ! Un slogan en forme de credo : sympa et on a tout dit. Un sympa qui réduit à rien les qualificatifs avec lesquels on pourrait nuancer la réalité. Nous sommes convier au banquet urbain du sympa, parce que Monsieur, Madame, il n'y a pas de souci. Il n'y a plus de soucis, c'est la promesse de ce nouveau culte. A y regarder de près, nous sommes encore et toujours dans le christianisme - dont nous sommes indécrottables- mais un christianisme de pacotille, une amusette bonasse pour cerveaux marketisés.

Indécrottables chrétiens nous le sommes à moins que les autres que nous chantons à longueur d'années, les autres, autres vraiment, ceux qu'après tout nous n'aimons pas, ceux avec lesquels nous ne vivons pas, ceux avec lesquels nous n'habitons pas, ceux pour lesquels nous avons une condescendance souriante, ceux dont nous faisons mine d'aimer la culture, ceux qui nous font pleurer de tendresse avec des larmes de crocodile, ceux-là même que nous avons mis au pinacle, comme étant les plus propres à nous représenter, parce qu'ils sont autres justement, sans que nous nous rendions compte que nous sommes là dans une schizophrénie acrobatique  : l'altérité comme figure de l'identité, je ne serais moi qu'en étant un autre; que ces autres, donc, pour lesquels je dois avoir cet amour sympa et mou - nous sommes loin du "aimez vous les uns les autres", cet amour-là avait la croix pour sceau, autrement dit le don suprême - nous lavent une bonne fois de ce qu'il nous reste de christianisme. Et alors, on remballe tout, les flons flons et les chants, fini la fête ! Parce que ces autres ne sont pas schizophrène eux, et n'ont rien d'adorateurs aveugles de l’altérité molle.



"L'entrée du Christ à Bruxelles" est un tableau du peintre belge James Ensor