mercredi 21 novembre 2012

Le loup, la religieuse et le diable.

"On ne frappe pas une femme". Cette proposition pourrait être vraie. Mais, et sans aucune mauvaise foi, elle ne l'est plus. Primo, parce que l'on sait ce qu'est une femme depuis que la théorie du genre nous l'enseigne : un résultat culturel. Secundo, parce que la proposition, au regard du féminisme, est sexiste. Elle voudrait dire, en effet, en creux, "on peut frapper un homme". Pourquoi donc pourrait-on frapper un homme et pas une femme? Il est évident que la proposition fait preuve de sexisme et de discrimination en raison d'une construction culturelle tout relative. Si on maintient la proposition initiale, ce serait en souvenir de je ne sais quelle galanterie bourgeoise, de quel esprit chevaleresque où il était coutume de défendre la veuve et l'orphelin. 

"On ne frappe pas une femme" est donc, pour nous qui sommes éclairés, et qui savons ce qui nous trame, une proposition irrecevable. L'égalité elle-même nous oblige à ne pas la recevoir. L'égalité comme traitement uniformisant pour tous, sans distinction de sexe, de préférences sexuelles, d'origine, etc. Selon cette conception égalitariste l'équation est très simple : femme = homme. 

Donc si "on ne frappe pas une femme", cela veut dire que l' "on ne frappe pas un homme" non plus. Et dans ce cas, il faut s'insurger de ce que les fameuse Femen aient été battues non pas parce qu'elles étaient des femmes, mais parce qu'elles ont été battues tout simplement. Un "elles" qui auraient pu être un "ils". Si on continue à s'insurger du fait que ce sont bien des "elles" qui ont été malmenées, dans ce cas, on se doit d'être logique et de renier, l'égalité uniformisante, l'anti-sexisme et la théorie du genre, entre autres choses. Soit encore, et c'est le plus terrible, on sous-entend que s'il ce fut agit d'hommes, cela aurait été moins grave, alors on dit du même coup - si on peut dire -, si on ne renie pas toute l'idéologie mentionnée, que l'on pouvait battre aussi ces femmes, puisque une femme = un homme.

Ces femmes-là sont donc les dupes de leur idéologie et elles nous dupent aussi. Voulant chatouiller le loup tandis qu'il mange ou dort, elles s'étonnent d'avoir été mordues.  Je suis enclin à penser que d'être mordues leur sert, et qu'au final leur étonnement n'était que surfait. Pourtant elles savaient lire, c'était écrit "chien méchant". Les atermoiements de M. Fourest (le M étant ce qu'il y a de mieux désormais pour dire Monsieur ou Madame -Mademoiselle a été relégué au placard - chacun met donc ce qu'il veut dans ce M) sont des postures, de celles dont elle a le secret. L'Infinie Insurgée, la Grande Outragée, la Divine Affligée, sait parfaitement d'un détail faire un roman-photo. Elle vous prend une citation tirée de son contexte et ça lui fait son carburant pour un an. Elle qui a tout lu, tout vu, tout su, tout compris, elle qui devine tout, ne pouvait-elle pas prévoir ce qui allait se passer? Si bien sûr, cette fille intelligente le savait parfaitement, et c'est même pour cela qu'elle avait une caméra, qu'elle hurlait avec les autres, et qu'elle levait, elle-aussi le poing. Journaliste ? Soit, mais militante avant tout, journaliste parce que militante. Elle court, elle court la Fourest, mais pour sa boutique.

Exactement comme ceux qui marchaient ce jour-là - avec autorisation des autorités légitimes - qui marchaient pacifiquement jusqu'au happening des hystériques. Ils marchaient pour leur boutique. Drapeaux nationaux estampillés du Sacré-Coeur - faudrait se pencher une bonne fois sur les "révélations" qui ont donné naissance à ce drapeau-là, et l'on verrait que l'on ne peut donner sa foi, ni sa raison, à ce théâtre d'ombre, mais passons - banderole ( une en vérité) aussi bête que les body paintings des amazones. Ils avaient poussettes et marmots, cela valaient bien les seins, qui comme dit Lacan, ne sont pas des organes sexuels - il dit ça quelque part, je ne sais plus où, dans le séminaire "Encore", je crois. Le sein est à l'enfant ce que le nuage est à la graine. Un enfant voit un sein, il voit un nuage. Pas de quoi en faire de la ricotta. Ce que je me demande, c'est ce que font des marmots à une manif, qu'elle soit de CIVITAS, ou d'ailleurs, de gauche ou de droite. Un enfant n'a rien à faire dans ce genre de performance. Mais ça c'était avant, aujourd'hui on sait que l'avenir de l'homme, c'est l'enfant.  

Venons-en à la violence. En toute justice, il faut bien admettre que la première violence est celle de ces femmes. Ce sont elles qui et par le geste et par le slogan ont donné le premier coup. Elles débarquent sans crier gare, avec un accoutrement merdique et des extincteurs dont on ignorait le contenu... par les temps qui courent, on est vite paniqué. Des catholiques voient le diable, et l'on voudrait quoi ? qu'ils  dansent avec lui?  Donc début de la rencontre 1 pour Femen, O pour Civitas. Et puis quelques membres de la manifestation répliquent  (des excités de groupes de jeunesse brune, semble -t-il ) : 1 Femen 1 Civitas. A la fin, les activistes de Femen sont mises dans un fourgon de police. Fin de la rencontre : 2 Civitas, 1 Femen. Mais on joue les prolongations : la presse, Fourest, etc : 2 Civitas, 2 Femen.   




Eloïse Bouton, l’une des "chefes" de Femen en France, déclarait à Libération : « En tant que féministes, nous considérons que nous devons avoir un avis sur tout, pas seulement sur les sujets qui ne concernent que les femmes. Sur la mondialisation, sur le réchauffement climatique, sur tout. » Et plus loin : « Bien sûr, nous voulons attaquer les catholiques intégristes. Le mariage gay est une affaire laïque et on ne comprend pas pourquoi ils s’en mêlent ». Je pense que l'on peut enlever le "intégriste" qui n'est qu'une précaution oratoire puisque en tout état de cause, ce sont elles qui jugent ce qui est intégriste ou ne l'est pas.  On pourrait se dire, que n'importe quel adjectif peut remplacer le "féministes" et le "femmes", je ne sais pas, par exemple, cul-de-jatte, ou jardinier, ou catholique. Mais le raisonnement se construit ainsi : la religion est de l'ordre privé, strictement privé, le mariage-gay c'est laïque, strictement laïque et donc out ! Le raisonnement bien que sans nuance, pourrait se tenir, à ceci près que le "féminisme" de Femen tient du religieux aussi, c'est-à-dire, de la construction mythologique, de l'invention littéraire, d'une lecture philosophique. Et que ces femmes ne sont pas loin, d'être une espèce nouvelle d'inquisiteur. Toujours l'histoire de la paille et de la poutre.


On voit comment le mimétisme agit et comment, de nos jours, la violence mimétique devient vite judiciaire, juridique et médiatique. Si la violence première a été objectivement portée par Femen, qu'en est-il de la violence originelle, celle-ci n'étant pas celle-là? La violence originelle est à chercher dans la politique, dans le débat politique où plutôt dans la comédie politique, au sens très noble du terme "comédie". Le mariage-pour-tous qui déchaîne - littéralement- les passions : est d'abord une proposition politique et donc symbolique. La violence originelle est de cet ordre, de l'ordre symbolique appliqué à la vie publique, autrement dit du politique. Un symbole qui divise, ce n'est plus un symbole, c'est un diabole. Le diabolique donc est la figure du politique. On ne saurait, pratiquement, en politique faire autre chose que du diabolique, que de l'usage de diaboles. Le mariage-pour-tous, malgré sa philanthropie évidente, est de cet ordre. Il l'est non pas tant en soi, mais dans ses présupposés philosophiques et dans, précisément, sa volonté, tacite, méconnue, inconsciente, de muter le symbole, de déclarer que le symbole après tout ce n'est qu'un jeu de signes, qui ne porte pas à conséquence, avec lesquels on peut, tout à son aise jouer, et peut-être en est-il ainsi. Mais les altercations récentes laisseraient croire qu'il n'en est rien,  que jouer avec les symboles est explosif. 

Il fut dans la première moitié du XVIIe une affaire qui, mutatis mutandis, a quelques similitudes, du moins dia-sym-boliques, avec celle-ci. Je veux parler de celle qui secoua la petite ville poitevine de Loudun. Tout un couvent de religieuses ursulines se trouva possédé du démon. Cela commença par la supérieure et très vite l'épidémie gagna toute la communauté. L'affaire fit grand bruit. On chercha, bien sûr, un coupable, et le sort - pas par hasard, il n'y a pas de hasard dans le choix d'un bouc émissaire - tomba sur le curé. C'était lui la cause de ce déchaînement de diableries. On le jugea, on le brûla. Mais les possessions, les convulsions, les cris, bref l'hystérie reparti de plus belle. On fit venir exorcistes et médecins, et le public put venir assister, comme au théâtre, aux séances d'exorcisme. Car c'était cela : un théâtre, un happening nous dirons, une performance qui n'avait pas encore été inventée. L'affaire ne fut pas que religieuse, elle était politique aussi. Loudun fut le précipité d'une crise mimétique sans équivalent dans sa théâtralité. 

Aujourd'hui, que la possession est reléguée au Moyen-Age, il faut bien que l'hystérie se dise autrement. Mais elle conserve presque les mêmes signes : religiosité, théâtralité, démesure, convulsionnisme, extrémisme, mensongerie et violence. Loudun ou Femen, après tout nous ne sommes pas loin, l'exorcisme étant remplacé par la procédure juridico-judiciaire. Dans l'un et l'autre cas, ça possédait, ça se faisait posséder : des religieuses qui ne pouvait être possédées par aucun homme -Urbain Grandier, le curé en était un - et des féministes qui n'aiment pas beaucoup les hommes.  Et sur la scène du théâtre, c'est toujours le même combat qui est mimé celui de la liberté fondamentale qui récuse l'aspect contraignant du symbole et de la  Morale qui impose l'existence de l'instance symbolique. Ce théâtre-là avant de se trouver à Loudun ou dans la rue, plante ses tréteaux au cœur de chaque individu. Et le grand drame de toute crise mimétique, c'est d'ignorer cela. Extérioriser ce conflit permet de donner visage au "diable" qui nous agite et, illusoirement, de le tuer.

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