vendredi 28 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde III. Fin.

La question fondamentale que pose l'apocalypse chrétienne ( il sera dit plus bas ce qu'il faut peut-être entendre par "apocalypse chrétienne"), est celle de la fin de l'Histoire.
La coutume graphique veut que désormais on distingue l'histoire de l'Histoire ; la première n'étant qu'un ensemble de faits, leur récit, et l'interprétation des uns et de l'autre, tandis que la seconde commencerait où la première abandonne l'interprétation et se poursuivrait pas une réflexion philosophique non plus sur des faits mais sur le mouvement général qui permet les faits, qui autorise les faits à apparaître, qui autorise leur récit et leurs interprétations, qui autorise, enfin, la réflexion elle-même. L’Histoire serait donc un mouvement auto-reflexif, le seul sans doute, qui advient phénoménologiquement et qui se distingue de la somme des individualités et d'un quelque chose que l'on pourrait appeler, faute de mieux, la nature. L'Histoire en ce sens est accomplissement, et même révélation, elle est donc apocalypse. Alors donc, parler d'apocalypse comme fin de l'Histoire revient à dire que l'apocalypse se résorbe sur elle-même ou, pour être plus positif, que l'apocalypse c'est hic et nunc : déjà il fait nuit et déjà l'aurore pointe, simultanément, conjointement voici l'épaisseur des ténèbres et la palpitation de l'aube.



Mais on aurait pu écrire aussi que la question fondamentale posée par l'apocalypse est celle de la fin de l'histoire, en tenant compte de la remarque qui a été faite au sujet de l'initiale, minuscule ou majuscule. L'histoire semblerait maîtrisable, ou du moins pouvant être appréhendée, tandis que l'Histoire resterait, principalement, hors de portée, de portée empirique. Envisager la fin de quelque chose de constatable, de perceptible donc, et de quelque chose qui est hors de portée, n'est évidemment pas la même chose. On peut même se poser la question de savoir comment quelque chose qui est hors de portée peut-il finir? Ou qu'est-ce que finir pour ce quelque chose-là? Habituellement, l'apocalypse est perçue comme la fin de l'histoire, le point final de l'enchaînement des faits, le dernier fait. Il est dernier au point - cela n'est que tacite dans cette compréhension de l'apocalypse - qu'il échappe du coup à l'histoire elle-même, mais comme il est tout de même encore quelque chose, il semble précisément dans son caractère ultime rejoindre l'Histoire. Et nous en revenons donc, à la même compréhension de l'Histoire comme apocalypse.

 La fin du monde n'a pas eu lieu. C'était à prévoir. Le monde en rêvait, histoire de se donner quelques frissons supplémentaires, le monde en a rit à se faire peur. Ce qui est a noter tout de même dans cette affaire calendaire et médiatique, c'est la fureur dictatoriale de l'information. Enfin, de ce qu'il faut bien appeler, faute de mieux, information : si vous n'étiez pas au courant d'une fin du monde, vous passiez pour le plus ringard des ermites asociaux, pour le moins cool des badauds. Ce monde pourtant dans sa stupidité, devenue une de ses valeurs phares, en était à découvrir, il semblait, cette annonce catastrophique comme si c'était la première du genre. Il est vrai que cette dernière était sensée émaner des Mayas et l'on sait que les Mayas se piquaient de sciences dures. Pourtant la prophétie n'était que la énième du genre, le dernier avatar d'une longue série de spasmes oraculaires, de convulsions hallucinées, la dernière éructation sibylline. C'est que le monde en a vu d'autres des oracles et des promesses de grand black out, mais le monde oublie tout. Et dans sa grande amnésie, il communia stupidement, enfantinement, festivement à cette fin du monde décevante.

 " En ces jours qui sont les derniers, Dieu  nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, et par lequel aussi il a fait les siècles." Voilà comme parle l’Épître aux Hébreux - un texte écrit au premier siècle de notre ère - dans ses tous premiers versets. "En ces jours qui sont les derniers", nous sommes en droit de nous étonner que la lettre au Hébreux déclare benoitement que les jours de sa rédaction sont les derniers. Nous savons pertinemment que c'est faux puisque nous sommes là pour la lire, cette lettre, et nous lisons quoi? "En ces jours qui sont les derniers." Alors voici l'alternative, soit l'auteur était une espèce de prophète maya, soit ses fameux jours derniers le sont vraiment mais alors comment les comprendre.
Il est certain que l'épître par cette formule vise une certaine appréhension du temps, une compréhension de celui-là qui n'est pas la compréhension ordinaire, vulgaire et trivialement chronologique. Cette compréhension du temps semble avoir été modifiée par ce "Fils" qui parle. Depuis que le Fils a parlé, la compréhension du temps s'en trouve modifiée. Ce qui est remarquable dans la phrase citée c'est, à nouveau, la relation faite entre eschatologie ( En ces jours qui sont les derniers) et la protologie ( par lequel il a fait les siècles). Le Fils qui parle en ces jours qui sont derniers est aussi celui par lequel les siècles ont été faits. L'apocalypse a donc déjà eu lieu : c'est la manifestation du Fils dans la chair, c'est l'Incarnation du Verbe entendue non seulement comme le moment "t" du temps où le Verbe s'unit une humanité totale, mais aussi et surtout, comme dynamisme de vie, déploiement continu d'une chair individuée jusqu'à la Passion et la Résurrection.

L'histoire se poursuit dés lors collectionnant ses petits et hauts faits. Elle progresse l'histoire, elle va de l'avant, elle donne au passé ce qui appartenait au futur mais désormais marquée par excès de la chair du Verbe. D'un certain point de vue, l'Incarnation est un événement faisant partie de l'histoire, mais selon un autre, bien plus fécond, elle lui échappe par excès.  La manifestation de la chair du Verbe n'est à proprement parler ni un fait, ni un événement, elle advient, elle surabonde, elle frappe l'histoire d'obsolescence et l'Histoire de folie furieuse. Elle oblige désormais à considérer que le temps est fini, que les jours où parle le Fils sont les derniers effectivement, parce que, strictement parlé, aucune nouveauté ne saurait désormais survenir ni advenir.

Désormais, par la chair du Verbe et sa parole, l'une et l'autre intimement liées, ma propre chair transcende l'Histoire. Certes, mon corps a bien son histoire, ses faits et gestes, mais ma chair déborde de l'histoire de mon corps de tous côtés. Les raisons du Verbe sont désormais les raisons de la chair de n'importe quel homme qu'il adhère ou non aux paroles dites par le Fils. Ce Fils par qui les siècles ont été faits rend raison de la chair de l'homme. Et c'est pour cette raison que ces jours, dans une bonne et saine apocalyptique chrétienne, sont toujours les derniers, fin du monde ou non.

mercredi 19 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde, II.

A quelques heures de la fin du monde ( on aurait aimé laisser de côté ce tas d'inepties, ne pas s'en soucier, ne pas y venir, ne rien dire, ne rien faire, et laisser les prophéties mayatesques, rejoindre ses sœurs aînées dans le placard noir de l'oubli, mais le monde tourne et tourne aussi à se faire peur), fin du monde largement promue par les médias de tous horizons, revenons à l'apocalypse.

René Girard, que l'on gagne toujours à lire et relire, un peu par défaut, tout d'abord, considère la fin du temps présent - et non pas de l'histoire - comme une apocalypse ou, plutôt, une apocalypse marque la fin des temps présents. Le déroulement des crises mimétiques, en jeu actuellement et, ce qu'il appelle, "la montée aux extrêmes" ne peuvent que conduire à une apocalypse. Qu'entendre dans cette "apocalypse" annoncée ? Pour être tout à fait clair, il ne s'agit aucunement de comprendre cette notion dans le sens vulgaire, commun, trivial, et si peu étymologique, de cataclysme général et ultime. L'apocalypse n'est pas, nous l'avions déjà vu, l’anéantissement commandité par je ne sais quelle supra-puissance intersidérale ; l'apocalypse est révélation, dévoilement des mécanismes dia-boliques du monde.

Pour René Girard, le dévoilement est chose essentielle. Ce dévoilement est l'inverse de la méconnaissance, celle-ci étant l'état habituel de l'individu qui non seulement ignore tout de la source de son désir, mais croit dur comme fer que son désir est spontané, autonome, individuel, bien à lui, personnel. Or, le dévoilement, selon René Girard, consiste à prendre conscience, de façon démythologisée, que notre désir vient d'un autre, que notre désir nous est indiqué par un autre, un autre donc qui est le "médiateur", pour nous, du désir. Celui-ci a donc une portée interdividuelle pour reprendre une notion girardienne. Ce qui est valable pour les individus l'est aussi, mais avec quelle différence !, pour les groupes, les sociétés où non seulement fonctionne, entre les individus, dans la méconnaissance la plus profonde, la mécanique mimétique, mais où une mécanique plus formidable encore, plongée elle-aussi dans une méconnaissance entretenue involontairement,  règle le comportements des groupes mimétisés. Ces deux dynamiques mimétiques - celle qui règlement les rapports du désir entre deux individus et celle qui gère ceux des rapports des groupes humains entre eux - dans notre monde "globalisé", hyper médiatisé, où le temps n'a, pour ainsi dire, plus de temps, où l'espace est concentré, où la technique et les technologies elles-mêmes concourent à l'accroissement du désir mimétique, où elles en font une valeur économique, commerciale, mercantile, écologique, juridique, culturelle, religieuse, ces deux dynamiques conjointes dis-je ne peuvent que nous conduire à une exacerbation du désir qui ne peut se résoudre que dans un dévoilement, une prise de conscience vive et violente de ce qui régit la "tournure" du monde.



Ce dévoilement, cette apocalypse, résultat inévitable de la "montée aux extrêmes", nous n'en connaissons pas la forme précise et concrète. Elle a lieu déjà individuellement lorsque je prends conscience de ce qui m'agite.  Lorsque,  je me déboulonne de mon socle romantique fait de spontanéité et d'autonomie supposées, lorsque le fameux "être soi", tout d'un coup, semble creux, infiniment creux, insignifiant, pire, où il apparaît, avec une évidente fulgurance,  qu' "être soi" c'est toujours vouloir être un autre, comme le suggère cette publicité vendant les mérites d'un parfum avec le slogan "be different"  : un produit de grande diffusion ordonne  l'unicité, c'est ce que l'on appelle l'injonction contradictoire. Cette schizophrénie ordinaire est l'un des fondement du désir mimétique qui nous possède aussi parfaitement que les Ursulines de Loudun ou celles d'Auxonne étaient possédées par le diable.
Après tout entre cette société-là où le dia-bolique se manifestait par le mimétisme posséssionnaire, et la nôtre où nous sommes posséder par le mimétisme, toujours dia-bolique, les codes ont changés, les médiums, les cadres, les formes ont changés, mais demeure le grand agitement, la puissance incroyable du désir de l'autre, qui toujours, littéralement, prend possession de nous. Cette possession alors vue comme néfaste, est aujourd'hui non-dite, camouflée, recouverte du voile du "Be different" ou du "Be your self" et c'est précisément cela qui la rend plus terrible. Aucun exorcisme ne peut plus contraindre les démons de s'en aller, aucun langage corporel n'est adéquat, tant la médiation technique règne, tant l'empire de l'image, tue irrémédiablement l'imaginaire et même, et surtout, l'imaginaire corporel. Nous sommes, dès lors, conduits, aujourd'hui, en ce temps, à une violence du déchirement du voile à laquelle les Mayas sont parfaitement étrangers.

L'apocalypse ce n'est pas demain, ni même après demain, c'est aujourd'hui, en des temps qui, depuis la survenue de la Nouveauté inouïe, je veux parler de la Révélation Chrétienne - qui on l'aura compris est autre chose qu'un courrier qui arrive pour nous donner des nouvelles de Dieu et nous enjoindre de respecter les aliénas prescriptifs stipulés en post-scriptum -  depuis donc, cette manifestation de la Chair du Verbe, depuis le dévoilement de l'innocence radicale de la victime, depuis l'avènement de la possibilité d'une chair nouvelle, le redressement de l'homme courbé sous le joug des religions violentes, depuis lors, l'apocalypse passe par mon cœur, qui est la scène première et dernière de toute fin du monde réelle.

"Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure."  Apocalypse 8, 1.


mardi 11 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde. Méditations sur l'Apoclypse, I

A l'issue de la Bible, livre du fondement, quoi qu'on en dise, quoi qu'il advienne - le futur est déjà tout entier mort pour ainsi dire - en suffixe biblique, donc, demeure l'Apocalypse, puisque c'est avec ce nom que le livre est parvenu jusqu'à nous. L’Apocalypse ferme la partie chrétienne de la Bible et donc la Bible toute entière, puisqu'il n'y a d'autre révélation après cette fermeture et que tout est dit. Ce n'est pas les quelques élucubrations mahométanes, aussi belles, aussi violentes, aussi sophistiquées soient-elles qui nous font penser le contraire : depuis la clôture du Livre aucun autre livre ne fut donné aux hommes, et les bouches qui ont prophétisées l'on fait par un mimétisme parfois pathologique et vengeur. 

L’Apocalypse est l'écrit de l'après tous les écrits, vieux ou nouveaux, il est donc le méta-écrit, le métagraphe ou le métascript si l'on préfère. Ce qui nous donne comme fil, pour la partie Nouvelle de l'Alliance : les quatre versions de la "Bonne Nouvelle", les "Faits des Envoyés", les "Lettres de Paul" et les "Lettres Universelles" et enfin le livre ultime celui de la "Révélation". "Révélation" c'est ce que veut dire "apocalypse" et la révélation est essentiellement "dévoilement", enlèvement du voile, mise au jour de ce qui est recouvert, mise à la lumière de ce qui était enveloppé dans la ténèbre. Tout voile ôté est une apocalypse, tout masque qui tombe une autre, une autre encore tout secret hurlé. 

Ainsi la Bible s'achève par se voile enlevé, par ce métascript qui n'est autre chose qu'un masque que l'on arrache, enfin, ultimement, une bonne fois pour toutes. Le latin a ce mot très beau pour parler des choses qui viennent en dernier, il les appelle "novissima". Les "novissima" sont les choses ultimes, les fins dernières. Évidemment, l'on voit tout de suite l'assonance - et plus que l'assonance, à vrai dire -  avec "nova", nouvelle. De nouvelle nouvelle, il y avait celle qui était désignée comme "Bonne", l’Évangile, la Belle Annonce. Aussi le Testament Nouveau s'ouvre sur la Bonne Nouvelle et s'achève sur les "Novissima", sur des choses "très nouvelles", surnouvelles. Elles le sont de deux façons. Tout d'abord parce que l'Apocalypse - dévoilement - est une nouvelle et, ensuite, parce que ces choses de l'Apocalypse si elles sont ultimes, dernières, sont premières, cependant. 

Selon l'adage évangélique "les premiers seront les derniers et les derniers premiers" - peu importe donc l'heure à laquelle on arrive, l'important n'est pas là. En conséquence, les derniers écrits, le métascript, ce retrait du voile, est, dans une certaine mesure, premier. Cet ordre révèle précisément l'ordre des fins. Dans l'ordre des fins, en téléologie donc, l'Apocalypse est premier car il dévoile la substance du monde, celle du réel, il somme à comparution les choses cachées depuis la fondation du monde.
En bonne et parfaite théologie - elle qui est aussi une lecture du monde - l'eschatologie éclaire, dévoile, la protologie et à son tour la protologie dévoile, éclaire l'eschatologie. Sans outrance, la Genèse est une apocalypse et l'Apocalypse une genèse. Que dévoile la Genèse, si ce n'est le premier mot, "Fiat Lux" ? Que dévoile l'Apocalypse, si ce n'est le cri ultime "Viens"? Et si l'on veut jouer : que dévoile la Genèse si ce n'est le premier des maux, le mal spermatique, l'invincible mal, tellement séminal qu'il est indicible sinon par une mythologie? Que dévoile l'Apocalypse si ce n'est le mal ultime, ce mal tellement méconnaissable, tellement ovulaire qu'il ne peut se dire que par la débauche des images chiffrées. Mais retirant le voile du mal premier, la Genèse dévoile simultanément le remède : l'exil du Paradis et de même, l'Apocalypse en dévoilant le fonctionnement du mal ultime révèle le remède : la Jérusalem Céleste. Paradis perdu et Jérusalem céleste étant parties de la Fable, mais la Fable ayant acquis un statut qu'elle ne possédait pas par elle-même. 

Désormais, ce qui travaille la fable c'est la chair et ce qui travail la chair, c'est la chair du Verbe, littéralement, en Personne. Aussi Fable - chair - Verbe, font partie, désormais et jusqu'à la fin du monde, même résiduellement, intégrante de n'importe quelle explication du monde; de n'importe quel dévoilement. Et c'est ne pas ôter le voile, ou pire, voiler par dessus voile, que de feindre de l'ignorer ou de ne pas vouloir le voir.

Ainsi donc, l'Apocalypse, ce voile que l'on ôte, cette Fable frémissante, comme frémit une chair, aussi vraie que vraie est ma chair, est pleine du Verbe, pleine de la vérité de la chair du Verbe, puisqu'il n'est d'autre vérité, en christianisme, que toute entière entée sur la chair du Verbe. Cette vérité de la chair frémissante du Verbe repose dans le corps des mots et celui des images.




Si l'Apocalypse est une fin, un eschaton, elle l'est en rapport à la chair du Verbe. Cette chair manifestée dans l'abaissement et l'exaltation, dans la forme de l'esclave et dans celle du Seigneur, est l'eschaton final, le novissimus des novivissima.

Feu, soufre, vents, étoiles cadentes, mer et terre en spasmes, tout cela donc appartient à la Fable, au déchiffrement, et tout cela se ramène à l'apocalypse antérieur : la manifestation du Verbe dans la chair. Aussi tout homme qui voyant le signe du Fils de l'Homme - signe contradictoire, signe paradoxal de division - et s'écrie "vraiment cet homme est le Fils de Dieu" entre dans l'apocalypse une fois pour toutes. Ses yeux se décillent et s'ouvrent et c'est son cœur qui est le théâtre d'une violence pire que toutes le convulsions telluriques et océanes : avènement de la fable de sa propre mort, autrement dit sa mort et sa narration. Aussi que lui importe, à cet homme-là, les secousses, le bouillonnement des eaux, qui lui importe même l'idolâtrie des États de la terre, le fourvoiement des Nations, la grande Fête que fait la Prostituée se moquant des choses saintes et des innocents, que lui importe l'infernale tournure du monde et ses machineries grinçantes !
Cet homme-là est mort une fois déjà et est vivant tout de bon, libre sur la terre libre. Libre comme Lazare, revenu du pays des ombres, et à qui le Christ demanda qu'on lui ôte ses bandelettes pour le laisser aller où il voulait.

mercredi 5 décembre 2012

Noël à la Toussaint, Pâque à la chandeleur

 Le calendrier s'accélère. Noël s'annonce dès le début novembre. Et c'est plus de deux mois qu'il nous faut vivre dans les boules, les résineux, la neige synthétique, les petites lucioles. La fête et l'esprit de la fête s'étalent sur l'ensemble de l'année comme une nappe de pétrole : grassement, lentement, mais inexorable. L’Épiphanie, dans cette dérive, est désormais mangée en pleine Avent et l'Avent se confond avec le carême, celui-ci avec le ramadan. Pâques commence à pondre ses œufs en même temps qu'on les casse pour faire deux ou trois crêpes : il faut bien sacrifier à ce qui reste de traditions. Puis, après tout, elles sont sympas ces traditions toutes teintées qu'elles sont de paganisme, c'est un retour aux sources non?   Puisque demain c'est la Saint-Nicolas, et que Nicolas, le bon évêque, est la matrice du Père Noël, qui n'a fait que prendre quelques kilos en mangeant des hamburgers, a troqué la mitre pour un bonnet de nuit, et la robe cléricale pour un complet de lutin, je me penche, une nouvelle fois, sur la fête de Noël.



Noël ! Les lumières, la bûche qui crépite, l'odeur du sapin, le scintillement des bougies; féérie de cette fête unique, tellement fête, si je puis dire, qu'elle est devenue la fête des fêtes, qu'elle est, a elle seule, l'hyperfête.

A n'en pas douter, Noël est bien la superfête, l'unique d'ailleurs, qui tiennent encore du calendrier chrétien, à être aussi universellement plébiscitée. Fête de l'enfant, fête de la famille, fête de la générosité, fête du don, fête de la solidarité, fête de la Chaleur humaine, fête de la bonasserie planétaire, j'en passe et des meilleures. Et pourtant, un truc me fait dire que rien de tout ça ne constitue l'essence de cette fête-la.



Noël, pour le dire simplement, est la célébration calendaire et arbitraire du dies natalis de Jésus de Nazareth, qu'une bonne partie de l'humanité tient pour un homme remarquable, si ce n'est le Verbe Incarné lui-même. La date - 24 décembre dans la nuit ou 25 comme on voudra- est tout à fait accidentelle, et symbolique, aucun registre n'ayant retenu la véritable date de naissance de Yeshoua. Symbolique donc, parce que choisie, assez tardivement (première mention écrite au milieu du IVeme siècle) , en raison de la fête romaine du Sol Invictis, du soleil invaincu, que l'on célébrait au solstice d'hiver. Les chrétiens, voyant dans le Christ le véritable Soleil Invaincu, quand il s'est agi de commémorer sa naissance, et bien, tout logiquement, ont choisi cette date-là. ("Quand il s'est agi", car avant cela la fête chrétienne par excellence, était - et demeure- Pâques. Fête de la Résurrection, qui est autre chose qu'un simple retour à la vie ; nous sommes loin de Blanche Neige ou de la Belle au Bois Dormant.)
Une autre fête romaine, se célébrait à la même période de l'année, les Saturnales. Fête exubérante pendant laquelle la coutume voulait que l'on s'offre des cadeaux. Nous avons donc là les racines de notre fête de Noël : un événement historique religieusement important pour beaucoup, une symbolique solaire païenne et une fête de l'excès avec présents.
Eu égard aux deux derniers éléments, cette nouvelle fête chrétienne se fit une place en hiver et au cœur de la nuit, c'est-à-dire, au moment astrologique et astronomique, où le Soleil est au plus mal de sa course et de ses fonctions symboliques. Cela ne devait mettre en valeur qu'une seule chose, la prééminence du Christ sur les ténèbres et la mort d'une part et, d'autre part,  sur le soleil lui-même. En définitive, cette fête de Noël n'était qu'une doublure, en hiver, de la fête de Pâques, qui disait en des termes quelque peu différents des choses proches : la prévalence de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres et la prévalence résolument définitive non mythologique ( nous ne sommes plus dans le cycle et des renouvellements perpétuels). Cette prévalence trouvait sa force et son caractère impératif dans le fait historique de la naissance, la vie et la mort de Jésus de Nazareth, pour le chrétiens : Dieu, l'Eternel, fait homme. )


Un petit mot sur le fameux "sapin de noël". Comme on ne prête qu'aux riches et que les vieux Celtes sont apparemment fort riches, on leur prêtent l'invention de ce fameux arbre. Ah, les Celtes ! Quoiqu'il en soit, il ne faut pas douter de l'origine païenne de ce symbole natalice. Mais qu'il fût païen n'est pas une raison pour qu'il le soit resté. Le christianisme dans son génie de considérer à frais nouveaux les symboles païens - sur lesquels il ne jetait pas systématiquement son opprobre, loin de là, considéra que ce fameux sapin, arbre toujours viride, était propre à signifié une vérité polymorphe de sa révélation. La bible fait une place considérable à l'arbre, et ce depuis la genèse jusqu'à l'Apocalypse, en passant par la Croix. Cette croix que la première génération de chrétiens appelait tout simplement  le "bois" et qui devint ensuite l' "arbre de vie" si magnifiquement illustré sur l'abside de la Basilique romaine de Saint-Clément. Aussi cet arbre décoré de couleurs, vert, dans le froid de l'hiver, pouvait merveilleusement signifier l'histoire du salut, puisqu'il était à la fois l'arbre du début, celui de la fin et la croix en préfiguration. Noël donc par la présence de ce sapin annonce déjà la Passion-Résurrection, ce qui nous reconduit à Pâques une nouvelles fois.

On le voit bien, il n'est ici question, ni de famille, ni de solidarité, ni de don, ni même d'enfants. Toutes ses notions, parasites, sont venues bien plus tard, et sont, somme toute, assez récentes. Le développement de l'intérêt porté à l'enfant a fait de cette fête une réjouissance purement enfantine, et par ricochet l'attention s'est portée sur la famille, cadre normal et habituel de l'enfant, son écrin pour ainsi dire. Ceux qui, parmi les catholiques, nous proposent la Sainte Famille comme famille exemplaire, feraient bien, de relire les évangiles, car quoi, nous voici en présence d'une Vierge qui ne connaît point d'homme, d'un homme qui ne connaît pas sa femme, d'un fils qui n'est pas le fils de son père, et qui ne sera que l'unique fils de sa mère. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette famille-là, n'a jamais été un exemple concret de la famille catholique traditionnelle, où le nombre d'enfant est plus élevé, et où les époux se doivent d'accomplir leur devoir conjugal. Bref, tenir noël pour une fête familiale en raison de la Sainte Famille de Bethléem dans son étable, tient du folklore pieux plus que de la théologie. Il en va de même pour l'enfant. Il n'est question ici que d'un enfant : le Christ. Mieux qu'un enfant : un fils. Ce n'est pas le fait qu'il y ait enfant qui est important, mais bien celui qu'il y ait fils dans la chair. Noël n'est en rien la fête de l'attendrissement devant l'enfant, mais la reconnaissance dans cet enfant-là : du Fils venu dans la chair. Après on peut broder, imaginer, supputer, tirer des analogies, mais tout ce qui viendra, viendra en sus et est accessoire.

Je passe sur le don, la solidarité, qui eux-aussi tiennent de l'analogie natalice. Je ne dirai absolument rien des mangeailles scandaleuses, ni des ripailles,ni de la magie, ni du luxe ostentatoire qui, à cette occasion, s'étale partout, et fruit, hélas, d'une hécatombe animale annuelle - je crois bien que la tradition place auprès de l'enfant-Dieu, un âne, un bœuf, et quelques moutons; on pourrait dès lors en faire une fête de l'humble condition animale. C'est là le destin d'une fête religieuse qui se vide progressivement de sa signification première pour devenir un moment annuel de célébration grégaire sociale. Noël, oui, est bien aujourd'hui, la fête profane de l'enfant, de la famille et des valeurs conséquentes, sous la tutelle bonasse du bonhomme en rouge.

Bonne saint-Nicolas.