mercredi 19 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde, II.

A quelques heures de la fin du monde ( on aurait aimé laisser de côté ce tas d'inepties, ne pas s'en soucier, ne pas y venir, ne rien dire, ne rien faire, et laisser les prophéties mayatesques, rejoindre ses sœurs aînées dans le placard noir de l'oubli, mais le monde tourne et tourne aussi à se faire peur), fin du monde largement promue par les médias de tous horizons, revenons à l'apocalypse.

René Girard, que l'on gagne toujours à lire et relire, un peu par défaut, tout d'abord, considère la fin du temps présent - et non pas de l'histoire - comme une apocalypse ou, plutôt, une apocalypse marque la fin des temps présents. Le déroulement des crises mimétiques, en jeu actuellement et, ce qu'il appelle, "la montée aux extrêmes" ne peuvent que conduire à une apocalypse. Qu'entendre dans cette "apocalypse" annoncée ? Pour être tout à fait clair, il ne s'agit aucunement de comprendre cette notion dans le sens vulgaire, commun, trivial, et si peu étymologique, de cataclysme général et ultime. L'apocalypse n'est pas, nous l'avions déjà vu, l’anéantissement commandité par je ne sais quelle supra-puissance intersidérale ; l'apocalypse est révélation, dévoilement des mécanismes dia-boliques du monde.

Pour René Girard, le dévoilement est chose essentielle. Ce dévoilement est l'inverse de la méconnaissance, celle-ci étant l'état habituel de l'individu qui non seulement ignore tout de la source de son désir, mais croit dur comme fer que son désir est spontané, autonome, individuel, bien à lui, personnel. Or, le dévoilement, selon René Girard, consiste à prendre conscience, de façon démythologisée, que notre désir vient d'un autre, que notre désir nous est indiqué par un autre, un autre donc qui est le "médiateur", pour nous, du désir. Celui-ci a donc une portée interdividuelle pour reprendre une notion girardienne. Ce qui est valable pour les individus l'est aussi, mais avec quelle différence !, pour les groupes, les sociétés où non seulement fonctionne, entre les individus, dans la méconnaissance la plus profonde, la mécanique mimétique, mais où une mécanique plus formidable encore, plongée elle-aussi dans une méconnaissance entretenue involontairement,  règle le comportements des groupes mimétisés. Ces deux dynamiques mimétiques - celle qui règlement les rapports du désir entre deux individus et celle qui gère ceux des rapports des groupes humains entre eux - dans notre monde "globalisé", hyper médiatisé, où le temps n'a, pour ainsi dire, plus de temps, où l'espace est concentré, où la technique et les technologies elles-mêmes concourent à l'accroissement du désir mimétique, où elles en font une valeur économique, commerciale, mercantile, écologique, juridique, culturelle, religieuse, ces deux dynamiques conjointes dis-je ne peuvent que nous conduire à une exacerbation du désir qui ne peut se résoudre que dans un dévoilement, une prise de conscience vive et violente de ce qui régit la "tournure" du monde.



Ce dévoilement, cette apocalypse, résultat inévitable de la "montée aux extrêmes", nous n'en connaissons pas la forme précise et concrète. Elle a lieu déjà individuellement lorsque je prends conscience de ce qui m'agite.  Lorsque,  je me déboulonne de mon socle romantique fait de spontanéité et d'autonomie supposées, lorsque le fameux "être soi", tout d'un coup, semble creux, infiniment creux, insignifiant, pire, où il apparaît, avec une évidente fulgurance,  qu' "être soi" c'est toujours vouloir être un autre, comme le suggère cette publicité vendant les mérites d'un parfum avec le slogan "be different"  : un produit de grande diffusion ordonne  l'unicité, c'est ce que l'on appelle l'injonction contradictoire. Cette schizophrénie ordinaire est l'un des fondement du désir mimétique qui nous possède aussi parfaitement que les Ursulines de Loudun ou celles d'Auxonne étaient possédées par le diable.
Après tout entre cette société-là où le dia-bolique se manifestait par le mimétisme posséssionnaire, et la nôtre où nous sommes posséder par le mimétisme, toujours dia-bolique, les codes ont changés, les médiums, les cadres, les formes ont changés, mais demeure le grand agitement, la puissance incroyable du désir de l'autre, qui toujours, littéralement, prend possession de nous. Cette possession alors vue comme néfaste, est aujourd'hui non-dite, camouflée, recouverte du voile du "Be different" ou du "Be your self" et c'est précisément cela qui la rend plus terrible. Aucun exorcisme ne peut plus contraindre les démons de s'en aller, aucun langage corporel n'est adéquat, tant la médiation technique règne, tant l'empire de l'image, tue irrémédiablement l'imaginaire et même, et surtout, l'imaginaire corporel. Nous sommes, dès lors, conduits, aujourd'hui, en ce temps, à une violence du déchirement du voile à laquelle les Mayas sont parfaitement étrangers.

L'apocalypse ce n'est pas demain, ni même après demain, c'est aujourd'hui, en des temps qui, depuis la survenue de la Nouveauté inouïe, je veux parler de la Révélation Chrétienne - qui on l'aura compris est autre chose qu'un courrier qui arrive pour nous donner des nouvelles de Dieu et nous enjoindre de respecter les aliénas prescriptifs stipulés en post-scriptum -  depuis donc, cette manifestation de la Chair du Verbe, depuis le dévoilement de l'innocence radicale de la victime, depuis l'avènement de la possibilité d'une chair nouvelle, le redressement de l'homme courbé sous le joug des religions violentes, depuis lors, l'apocalypse passe par mon cœur, qui est la scène première et dernière de toute fin du monde réelle.

"Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure."  Apocalypse 8, 1.


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