mardi 11 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde. Méditations sur l'Apoclypse, I

A l'issue de la Bible, livre du fondement, quoi qu'on en dise, quoi qu'il advienne - le futur est déjà tout entier mort pour ainsi dire - en suffixe biblique, donc, demeure l'Apocalypse, puisque c'est avec ce nom que le livre est parvenu jusqu'à nous. L’Apocalypse ferme la partie chrétienne de la Bible et donc la Bible toute entière, puisqu'il n'y a d'autre révélation après cette fermeture et que tout est dit. Ce n'est pas les quelques élucubrations mahométanes, aussi belles, aussi violentes, aussi sophistiquées soient-elles qui nous font penser le contraire : depuis la clôture du Livre aucun autre livre ne fut donné aux hommes, et les bouches qui ont prophétisées l'on fait par un mimétisme parfois pathologique et vengeur. 

L’Apocalypse est l'écrit de l'après tous les écrits, vieux ou nouveaux, il est donc le méta-écrit, le métagraphe ou le métascript si l'on préfère. Ce qui nous donne comme fil, pour la partie Nouvelle de l'Alliance : les quatre versions de la "Bonne Nouvelle", les "Faits des Envoyés", les "Lettres de Paul" et les "Lettres Universelles" et enfin le livre ultime celui de la "Révélation". "Révélation" c'est ce que veut dire "apocalypse" et la révélation est essentiellement "dévoilement", enlèvement du voile, mise au jour de ce qui est recouvert, mise à la lumière de ce qui était enveloppé dans la ténèbre. Tout voile ôté est une apocalypse, tout masque qui tombe une autre, une autre encore tout secret hurlé. 

Ainsi la Bible s'achève par se voile enlevé, par ce métascript qui n'est autre chose qu'un masque que l'on arrache, enfin, ultimement, une bonne fois pour toutes. Le latin a ce mot très beau pour parler des choses qui viennent en dernier, il les appelle "novissima". Les "novissima" sont les choses ultimes, les fins dernières. Évidemment, l'on voit tout de suite l'assonance - et plus que l'assonance, à vrai dire -  avec "nova", nouvelle. De nouvelle nouvelle, il y avait celle qui était désignée comme "Bonne", l’Évangile, la Belle Annonce. Aussi le Testament Nouveau s'ouvre sur la Bonne Nouvelle et s'achève sur les "Novissima", sur des choses "très nouvelles", surnouvelles. Elles le sont de deux façons. Tout d'abord parce que l'Apocalypse - dévoilement - est une nouvelle et, ensuite, parce que ces choses de l'Apocalypse si elles sont ultimes, dernières, sont premières, cependant. 

Selon l'adage évangélique "les premiers seront les derniers et les derniers premiers" - peu importe donc l'heure à laquelle on arrive, l'important n'est pas là. En conséquence, les derniers écrits, le métascript, ce retrait du voile, est, dans une certaine mesure, premier. Cet ordre révèle précisément l'ordre des fins. Dans l'ordre des fins, en téléologie donc, l'Apocalypse est premier car il dévoile la substance du monde, celle du réel, il somme à comparution les choses cachées depuis la fondation du monde.
En bonne et parfaite théologie - elle qui est aussi une lecture du monde - l'eschatologie éclaire, dévoile, la protologie et à son tour la protologie dévoile, éclaire l'eschatologie. Sans outrance, la Genèse est une apocalypse et l'Apocalypse une genèse. Que dévoile la Genèse, si ce n'est le premier mot, "Fiat Lux" ? Que dévoile l'Apocalypse, si ce n'est le cri ultime "Viens"? Et si l'on veut jouer : que dévoile la Genèse si ce n'est le premier des maux, le mal spermatique, l'invincible mal, tellement séminal qu'il est indicible sinon par une mythologie? Que dévoile l'Apocalypse si ce n'est le mal ultime, ce mal tellement méconnaissable, tellement ovulaire qu'il ne peut se dire que par la débauche des images chiffrées. Mais retirant le voile du mal premier, la Genèse dévoile simultanément le remède : l'exil du Paradis et de même, l'Apocalypse en dévoilant le fonctionnement du mal ultime révèle le remède : la Jérusalem Céleste. Paradis perdu et Jérusalem céleste étant parties de la Fable, mais la Fable ayant acquis un statut qu'elle ne possédait pas par elle-même. 

Désormais, ce qui travaille la fable c'est la chair et ce qui travail la chair, c'est la chair du Verbe, littéralement, en Personne. Aussi Fable - chair - Verbe, font partie, désormais et jusqu'à la fin du monde, même résiduellement, intégrante de n'importe quelle explication du monde; de n'importe quel dévoilement. Et c'est ne pas ôter le voile, ou pire, voiler par dessus voile, que de feindre de l'ignorer ou de ne pas vouloir le voir.

Ainsi donc, l'Apocalypse, ce voile que l'on ôte, cette Fable frémissante, comme frémit une chair, aussi vraie que vraie est ma chair, est pleine du Verbe, pleine de la vérité de la chair du Verbe, puisqu'il n'est d'autre vérité, en christianisme, que toute entière entée sur la chair du Verbe. Cette vérité de la chair frémissante du Verbe repose dans le corps des mots et celui des images.




Si l'Apocalypse est une fin, un eschaton, elle l'est en rapport à la chair du Verbe. Cette chair manifestée dans l'abaissement et l'exaltation, dans la forme de l'esclave et dans celle du Seigneur, est l'eschaton final, le novissimus des novivissima.

Feu, soufre, vents, étoiles cadentes, mer et terre en spasmes, tout cela donc appartient à la Fable, au déchiffrement, et tout cela se ramène à l'apocalypse antérieur : la manifestation du Verbe dans la chair. Aussi tout homme qui voyant le signe du Fils de l'Homme - signe contradictoire, signe paradoxal de division - et s'écrie "vraiment cet homme est le Fils de Dieu" entre dans l'apocalypse une fois pour toutes. Ses yeux se décillent et s'ouvrent et c'est son cœur qui est le théâtre d'une violence pire que toutes le convulsions telluriques et océanes : avènement de la fable de sa propre mort, autrement dit sa mort et sa narration. Aussi que lui importe, à cet homme-là, les secousses, le bouillonnement des eaux, qui lui importe même l'idolâtrie des États de la terre, le fourvoiement des Nations, la grande Fête que fait la Prostituée se moquant des choses saintes et des innocents, que lui importe l'infernale tournure du monde et ses machineries grinçantes !
Cet homme-là est mort une fois déjà et est vivant tout de bon, libre sur la terre libre. Libre comme Lazare, revenu du pays des ombres, et à qui le Christ demanda qu'on lui ôte ses bandelettes pour le laisser aller où il voulait.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire