lundi 4 février 2013

La nuit de la chair et celle de l'esprit. Sur l'évangile de Nicodème.

La nuit venue. La nuit étant enfin arrivée, il sort de chez lui recouvert sans doute d'un voile. La nuit venue, il va trouver le maître : Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit : " Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n'est pas avec lui. " 

L'homme donc sort de nuit parce qu'il a vu des signes. Il les a vu de jour. Il les a vu à la lumière, mais c'est la nuit venue qu'il va trouver le Rabbi. L'homme a vu les signes, mais ne voit pas où il met les pieds. Il a vu à la lumière du jour les signes que le Rabbi fait, et maintenant il s'en va de nuit chercher la lumière : Jésus lui répondit : " En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. " Et l'homme s'entend dire, dans la nuit, que pour voir il faut naître. Pour voir il faut sortir de la nuit par cette naissance d'en-haut. 

La nuit venue. La nuit étant installée. L'homme qui avait vu les signes, vint trouver la lumière et se fait dire qu'il lui faut naître. Mais la nuit est lourde et pesante : Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? Il ne comprend pas. Il appartient tout entier à la nuit. Le Rabbi n'éclaire encore rien, mais rend la nuit plus profonde encore : En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu.  
Il disait naître d'en-haut, et maintenant il dit : naître d'eau et d'Esprit. Forcément, l'homme, ce juif, ce juif pieux, ce juif érudit, fait le lien, forcément, il sait que dans le premier livre de la Torah, il y a ce verset : "Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait les ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. " Nuit. Eau. Esprit. Au commencement. Dans l'acte créateur ; la nuit était profonde et tout était baptisé dans l'eau et l'Esprit. Et allait venir au jour; tout allait naître. 




Le Maître poursuit tandis que l'homme pense à tout cela  : Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit. L'homme né de la femme est chair, comme la femme était la chair de la chair d'Adam et les os de ses os. Mais ce qui naît de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas, si je t'ai dit : Il vous fait naître d'en haut. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit. L'homme pourtant est étonné. Tout se mêle dans sa tête. Il était venu pour avoir la lumière, mais il se trouve plongé dans une dialectique qui le dépasse de toutes parts. Il comprend sans doute qu'il n'a pas à re-naître en entrant dans le sein de sa mère. Il comprend qu'il doit re-naître, naître tout court, mais comment? Qu'est-ce que ce "d'en-haut" peut bien vouloir dire ?  Et naître d'eau et d'esprit, littéralement être engendré par l'eau et pas le souffle ? Ce souffle qui souffle où il veut, dont on ne voit que les signes sans que l'on sache d'où il vient et où il va. Et celui qui est engendré du souffle est de la nature du souffle : il souffle où il veut, on voit les signes, mais on ne sait pas où il va et d'où il vient. 

Comprend-il l'homme de la nuit qu'on lui parle des signes, ceux-là même qui l'avaient fait sortir de chez lui pour parler au Maître? Or donc s'il voit les signes du Maître, c'est que le Maître est lui aussi de la nature du souffle, c'est que le Maître est Esprit né de l'Esprit. C'est que le Maître est le premier engendré non pas d'un vouloir d'homme, non pas d'un vouloir de chair, mais de l'Esprit. On ne sait pas où il va - lui le sait - on ne sait pas d'où il vient - lui le sait. L'homme entend la voix du Maître, il ne sait pas encore que c'est la voix du Verbe, que celui qui lui parle dans la nuit, était au commencement engendré éternellement. Que celui qui lui parle dans cette nuit temporelle soufflait éternellement l'Esprit et que l'Esprit qui rend toutes choses esprit vient de lui. Mais l'homme ne sait pas d'où vient le maître. Il ne sait pas encore où il va. La nuit est encore longue et l'heure la plus sombre est à venir. L'heure des ténèbres. Quand s'élèvera la croix, quand le Verbe engendré de Dieu, remettra l'Esprit, quand tout sera accompli et que son flanc ouvert donnera le sang et l'eau. De ce sang et de cette eau naîtront selon l'Esprit  ceux qui souffleront où ils veulent dans la même incompréhension que celle de l'homme qui est venu la nuit trouver le Maître.