mardi 7 mai 2013

Le peillonisme ou le prophète du socialisme hermétique.

L'une des thèses principales, si ce n'est l'unique, de "Le XIXe siècle à travers les âges" de Philippe Muray est celle-ci, répétée à satiété : le socialisme et l'occultisme ont partie liée, tant et si bien que le socialisme est un occultisme et, réciproquement, l'occultisme un socialisme. C'est cette thèse, quelque peu surprenante, que Muray va s'évertuer à démontrer. "Démontrer" est d'ailleurs trop dire car rien, en toute rigueur, n'est strictement démontré. Muray accumule les noms, les titres, les citations, les liaisons, les configurations, les lieux en une  fastidieuse exposition, marquée du sceau de la mort ou, pour mieux dire, du Panthéon. C'est cette théorie spectrale de personnages, de faits, de livres, qui est censé montrer le lien inextricable entre le socialisme et l'occultisme, la chaîne dixneuvièmiste.


Il faut bien avouer, traiter de l'éon dixneuviémiste, comme Eugenio d'Ors avait traité de l'éon baroque, n'est pas chose aisée. S'attaquer à un éon, n'est jamais chose facile, et ce malgré tout le génie que l'un et l'autre avaient. Une grande partie de ce génie résidait d'ailleurs dans une intuition fondamentale, une intuition qui permettait de reprendre l'étude avec d'autres perspectives. Il est évident que l'intuition de Muray concernant le socialisme permet de voir la chose socialiste radicalement autrement, au rayon-X pour ainsi dire. Elle apparaît alors dépouillée de ses habits "humanistes" pour se manifester dans sa dimension essentiellement religieuse, dimension qui, en générale, est occultée, occulte, mais qui parfois, à la faveur d'une possession se manifeste.
La généalogie du socialisme, telle que Muray la signale, fait apparaître avec netteté le caractère fondamentalement hermétique de cette idéologie.

C'est avec ce caractère religieux occulte que l'on peut relire, logiquement, les déclarations de Vincent Peillon concernant l'école, ou devrais-je dire, l’École : 

« La révolution française est l'irruption dans le temps de quelque chose qui n'appartient pas au temps, c'est un commencement absolu, c'est la présence et l'incarnation d'un sens, d'une régénération et d'une expiation du peuple français. 1789, l'année sans pareille, est celle de l'engendrement par un brusque saut de l'histoire d'un homme nouveau.
La révolution est un événement méta-historique, c'est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l'oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l'école a un rôle fondamental, puisque l'école doit dépouiller l'enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l'élever jusqu’à devenir citoyen. Et c'est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l'école et par l'école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi."




 Ce petit bout de texte est proprement délirant. Peillon donc, commence par une invocation à la révolution française "irruption dans le temps de quelque chose qui n'appartient pas au temps." La seule chose - si tant est qu'elle existe - qui n'appartienne pas au temps, c'est l'éternité. Et l'éternité se confond toute entière avec Dieu, avec un principe absolu, de telle sorte que Dieu seul est éternel et que l'éternité n'est rien d'autre que Dieu. Si Dieu fait irruption dans le temps, c'est toujours à sa manière, à la manière de l'éternité : ni vu, ni connu. Car quoi de commun entre le temps et l'éternité ? Rien. Strictement rien ! Aussi "quelque chose qui n'appartient pas au temps et qui fait irruption dans le temps" est impossible sauf à en faire une théologie, autrement dit à "inventer" un récit performatif. 
"Un commencement absolu" ? Que vaut cette proposition ? Le seul commencement absolu serait celui qui de rien fait advenir quelque chose. Or, il appert que la révolution française ne part pas de rien, elle est en réaction contre quelque chose, elle n'est donc pas un commencement absolu. 

Voici que maintenant Peillon agite des notions christologiques : "incarnation", "expiation". Il les agite mais mal. On voit où il veut en venir. Pour lui, confusément, la révolution serait du côté du Verbe. Lui qui fait tout par sa parole, qui s'incarne, pâtit et rédime,  ce faisant, permet l'avènement d'un homme nouveau. C'est exactement ce que ferait la révolution. Elle est donc un événement qui transcende l'histoire, un événement religieux. Si cela peut être compris de façon acceptable, pour Peillon, la révolution n'est un événement religieux qu'en raison de sa nature, de son essence et non pas pour des raisons sociologiques. Venant de nulle part, transcendant l'histoire, fermant l'histoire, inaugurant du neuf de façon absolue, elle n'est pas seulement religieuse, elle est du côté du logos, elle est transcendante. 

Passant de la révolution, qui instaure l'homme nouveau - par le sang, ne l'oublions pas et en décapitant nombres d'hommes anciens - Peillon, en vient à l’École, Église de la révolution. Cette Église a pour but de faire oublier. De faire oublier tout ce qui précède la révolution, et tout ce qui est précèdant dans la vie de l'individu. Avant la révolution, avant l’École, il n'y a pas de citoyen, il n'y a pas de sujet, puisqu'il ni a de sujet que citoyen ? Le socialisme n'est pas un personnalisme.  Et qu'est-ce qu'un citoyen ? Un individu enté sur le sarment révolutionnaire. Un citoyen est un individu méta-historique, sans mémoire, sans passé, sans avenir, sans référence sinon celle, absolue, de la révolution. L’École est le lieu de ce baptême d'amnésie, elle est le lieu de l'anamnèse révolutionnaire - seule mémoire désormais -  et à l'instar de l'Eucharistie chrétienne opère un changement de substance tout en maintenant sauves les espèces objectives ( transsubstantiation) . Ce qui est donné à manger, à boire, ce qui agrandit le corps social, qui n'est pas autre chose donc, qu'un corps mystique, remplaçant, l'autre, l'unique corps mystique qui jusqu'ici prévalait, c'est-à-dire l'Eglise, c'est le pain vivant révolutionnaire distribué par l’École. On peut même dire que désormais, toute la République est contenue dans l’École et que toute l’École est la Républiqu grâce à l'Incarnation révolutionnaire, grâce à l'événement Révolution français, événement non fini, qui ne fini par d'advenir. 

Vincent Peillon donc ne rejette pas le religieux. Il ne rejette que le religieux catholique, mais reprend ses schèmes de pensée pour en faire une salade gnostique. Peillon est le prophète d'une nouvelle religion. Nouvelle ? Absolument pas. Il ne s'agit là que d'un réchauffé néo-joachimite, gnostique donc, donnant au socialisme les ors de la théologie catholiques. Ce discours religieux est ainsi vraiment un hermétisme, puisque empruntant, volant même, à la théologie ses notions, il les dénature pour en faire des concepts vides, purement mis en boucle, des gris-gris, des amulettes, dont la seule prononciation aurait un effet magique. La transsubstantiation n'a de valeur, comme notion - et donc une valeur finie -, que dans le contexte de l'eucharistie catholique (et orthodoxe), où pour rendre raison de la permanence des espèces du pain et du vin, et cependant, simultanément de la foi en une "présence réelle" du Christ, le thomisme, s'appuyant sur la philosophie réaliste d'Aristote, forge ce concept. (On sait que la théologie protestante, pour rendre raison de la même chose, élabore, avec Luther la notion de consubstantiation, et ni parvenant plus avec Calvin, spiritualise la "présence réelle" qui devient une vraie présence spirituelle, ce qui n'est pas la foi de l’Église) Hors de ce contexte précis, le terme de "transsubstantiation" devient un terme magique, exactement comme "abracadabra", et c'est pour cela que le discours de Peillon est proprement abracadabrant. Imitant le discours catholique, il lui retire sa substance tout en escomptant encore récupéré ses effets supposés magiques. Ce que fait Peillon, c'est de la désubstantiation : abracadabra ! L'imitation n'est pas la chose imitée. Il y a entre eux pas simplement une différence de degré mais une différence de nature. Le mimétisme est du délire surtout quand on croit que l'imitation est non seulement exactement la chose imitée, mais la dépasse de partout. Le discours de Peillon, la pensée peilloniste est délirante. Exactement comme ceci  : " L'Esprit-Saint tient différentes langues suivant les temps et les lieux, il s'incarne maintenant dans le socialisme." ( Dr. Guépin, 1848. Cité par Philippe Muray). L’Esprit Saint ne s'incarne pas, il ne s'est jamais incarné. Ici aussi, les notions théologiques sont agitées de façon magiques, comme si elle avait en soi un pouvoir effectif. Comme si le mot, en tant qu'agencement de phonèmes,  visait réellement un signifié toujours caché, et rendait ce signifié réellement manifeste.  Cet "habitus" est proprement celui de l'hermétisme. Et tout le socialisme, quand on y regarde de près, le socialisme comme religion, puisqu'on l'a assez dit, s'en est une, est de la même veine. Cette phrase de Guépin est elle aussi joachimite : les lendemains qui chantent sous le soleil resplendissant du Saint-Esprit, en l’occurrence du Sain d'Esprit Socialiste. Être sain d'esprit pour le socialisme revient à adhérer, nolens volens, au délire hermétique. Un hermétisme si hermétique qu'en dehors de lui, point de salut.



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