mercredi 19 juin 2013

Rhizomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Deuxième partie.

La dispute entre "nature" et "culture", qu'exploite à frais nouveaux la théorie du genre, se cristallise autour des présupposés philosophiques idéalistes.
Il est difficile d'admettre, et le faire serait réducteur, qu'une théorie toute entière repose uniquement sur une pathologie individuelle. Si la pathologie individuelle, ou plus simplement une problématique strictement personnelle, peut s'épanouir en théorie universelle,  c'est en raison de son ancrage à des prémisses philosophiques. Si donc une pathologie individuelle prend une part à la construction d'une théorie, c'est que le système de représentations - puisque la théorie du genre n'est que cela : une représentation - induit par la pathologie se coulent dans les cadres conceptuels philosophiques de représentations justement (Schopenhauer, entre autres, fait son fond de commerce avec la "représentation" ou la "présentation").  En l'occurrence,  la théorie représentative du genre repose sur une vision idéaliste ; elle nie le réel le plus directement observable pour fonder son "orthopraxie" sur des vues de l'esprit souvent postulées a priori.
L'idéalisme est largement diffusé dans l'opinion qui, la plus part du temps, n'en a ni vent ni cure ; pour le dire trivialement la théorie du genre fait son beurre grâce aux idéalismes dont la société occidentale est farcie. 
L'idéalisme est un relativisme en béton armé. Ce qu'il nie, il le fait : il nie l'objectivité, l'essence, qu'une quelconque vérité puisse résider dans l'objet perçu, dans la chose en soi, mais il construit une nouvelle objectivité, pour ainsi dire, une vérité vraie non objectale et résidant toute entière sur le sujet percevant. L'idéalisme possède,  par sa haine déclarée, ou secrète, du réel, les germes du totalitarisme : s'affranchissant du réel, de l'observation de ce qui apparaît de fait, déniant au réel une quelconque fonction normative, il crée des catégories forcées,  relatives et cependant féroces, et fait tout entrer dans celles-ci, quittent à en créer d'autres afin d'élaborer une nouvelle représentation, un nouveau paradigme, si l'esprit lui en dit. Le malheur est qu'il y a autant de représentations pouvant avoir force de loi que de sujets, et que, sans base commune objectales, il est difficile de se rendre compte de la bonté ou de la justesse des représentations proposées. Le réel congédié cède la place à l' idéal arbitraire et à la force subjective.
Critiquant la nature d'une part, et les cadres sociaux, réputés fondés sur elle, d'autre part, la théorie du genre ramène tout, idéalement, à la spontanéité du sujet. Cette spontanéité, déjà signalée, apparaît dans un système culturel dont elle subira soit la contrainte, soit l'encouragement. Aussi la théorie du genre propose un nouveau système de représentations, de nouveaux cadres culturels supposés non contraignants. Assurément, cette nouvelle représentation devrait elle aussi être frappée par la même critique, mais, pour les tenants du genre, elle y échappe en cela même qu'elle n'est pas fondée en nature. La représentation du monde fondée sur le genre n'est pas critiquable parce que précisément elle n'est pas fondée sur l'observation de la nature, observation de la nature qui est seule soumise à critique : une nouvelle fois nous sommes face à une pétition de principe, puisque la théorie prétend que la représentation non fondée sur le réel n'est pas critiquable et que seul le réel l'est. Les études sur le genre sont imprégnée du même a priori : aucune représentation idéale n'est critiquable dés lors qu'elle est issue d'une critique du réel. Aussi il devient possible de choisir, dans une espèce de saut métaphysique, un sexe, un genre et je ne sais quoi, une espèce pourquoi pas, une couleur de peau ou en tout cas les comportements sociaux liés à la couleur de peau, rien ni personne ne saurait m'opposer une loi, une norme, pas même la nature, elle qui m’inflige le stigmate d'un sexe, d'une couleur du derme, par exemple. Tout est dans le sujet et hors de lui rien n'existe. Lui seul sait, sent, veut. La société n'est qu'une somme de sujets voulant et désirant, absolus, dans l'espace et le temps, interconnectés par les liens d' intérêts. Je ne suis le semblable de personne,  je suis seul à avoir raison contre tous, contre tous, puisque tout le monde devient potentiellement un empêcheur de tourner en rond, l'élément qui va troubler ma spontanéité. La communion - notion théologique - ou même la communauté est un leurre, le "social" que fonde l'idéalisme n'est qu'une notion catégorielle, un groupement d'intérêts - sans raisons supérieures - l'unique chose à laquelle tout le monde communie dans cet orgueil de solitaires est l'hybris. 
La confusion est totale. Ici on nie la nature et on la trouve abjecte, là on l'exalte allant même à réduire l'homme à n'être qu'un animal parmi d'autre, une espèce parmi les espèces. La vérité est que l'homme est ancré dans la nature,  qu'il est de sa nature, justement, de sa nature spirituelle, de transcender la nature. De la transcender pas simplement en la niant, mais en l'assumant, en l'élevant. L'homme est cet animal qui dans la nature donne à la nature une raison supplémentaire. Il est l'animal qui dans la nature, explique la nature, l'interprète au sens où un musicien interprète un morceau. Il est cet animal social et interdividuel (sic) 
par qui la nature passe et repasse sans jamais s'y enfermer. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'en rester à la nature brute, comme il n'est pas dans sa nature de la quitter entièrement : le ferait-il, elle le rattraperait tôt ou tard. 




La théorie du genre existe bel et bien : polymorphe et rhizomateuse. Elle conditionne des attitudes "réformatrices", des programmes et des dispositifs qui dépassent de loin le pur cadre de sages et tranquilles études. Celles-ci ne sont que le paravent et le vivier de la théorie, son magasin, et son laissez-passer. La théorie entretient, contrairement à ce qu'elle prétend, une confusion et, à rebours, là aussi de ce qu'elle dit vouloir faire ( à savoir réduire les inégalités entre les sexes, inégalités étendues aux pratiques sexuelles ) fini par effacer non seulement les différences structurantes mais aussi le différentiel lui-même. Tout se vaut donc aux yeux de cette théorie, tout, on l'aura compris, sauf ce qui passe pour une norme fondée en nature. Aussi, il n'est pas étonnant de voir de ses adeptes défendre toutes les formes de sexuation, parfois avec une complexité toute byzantine, toutes les formes de sexualité : fétichisme, sado-masochisme, zoophilie, pédophilie, tout pouvant être le terme d'un choix justifié a posteriori par des arguments spécieux reposants sur une vision du réel très idéaliste. 

L'effacement des différences structurantes est une occasion de violence et d'une violence plus grande que celle que ces différences sont supposées produire. L'effacement de ses différences conduisent, parfois au nom de l'égalité, à un état de confusion généralisé, à la production de ce que Girard appelle les "doubles monstrueux", dans une ressemblance dominée par la rivalité mimétique. L’indifférenciation et l'état de confusion conséquent, sont le creuset de violences futures dont l'une des fonctions sera précisément le rétablissement de structures différenciée. La violence est souvent différante.
L'idéal démocratique universel appliqué non seulement au politique mais aussi à d'autres secteurs de la vie publique, de sorte que l'on puisse désormais dire que tout est politique, cet idéal développé tout au long du XXe siècle a engendré une véritable manie égalitariste. Celle-ci tend par la force des choses, par les nivellements des désirs, l'universalisme des modèles et, simultanément, leur restriction numérique, vers l'indifférenciation. La démocratie, paradoxalement, à force, est devenue la tyrannie de la confusion, le laboratoire de l'indistinct, le boudoir du chaos. Aussi, il n'est pas étonnant que l'on ai vu apparaître des attitudes et des théories qui soit dans leur genèse soit dans leurs développements tendent vers l'effacement des frontières, des limites, de la différence, du différencié et promeuvent une forme plus ou moins radicale d'indistinction au nom de l'égalité. La théorie du genre est de celles-là. Au bout de sa chaîne logique, se trouve la résorption de la différence naturelle des sexes estimant que celle-ci est insignifiante. La théorie du genre promeut l' interchangeabilité des rôles sexuels mais aussi des sexes biologiques eux-même qui ne sont plus rien qu'une trace laissée-là par on ne sait quel coquin de sort.
La récente adoption du mariage euphémiquement dit "pour tous" - appellation bonassière  symptomatique - contribue à l'entretien d'une confusion puisque désormais l'équation logique est celle-ci  : si homme + femme, égal homme + homme ou femme+femme, donc homme = femme et l'un vaut pour l'autre. C'est cette simple et crypto-logique qui est appliquée ensuite à la procréation et à la filiation. Gommant la nature, que l'on ne saurait voir, un enfant est désormais réputé conçu et né de deux hommes ou de deux femmes. L'enfant est donc "réellement" désormais le fils ou la fille d'une dyade dont la sexuation ne représente plus rien, est sans importance et insignifiante dans son lien à la procréation biologique. On ne voit pas dans ce cas, ce qui empêcherait un jour qu'un petit d'homme puisse être réputé né d'une louve et d'un homme, par exemple. Pour ce qui concerne le mariage-pour-tous, l'argument égalitariste démocratique n'a cessé d'accompagner la confusion du débat. Or cet argument occultait volontairement que l'égalité, pour qu'il s'agisse réellement d'égalité, doit tenir compte des différences premières et fondamentales. On ne peut revendiquer l'égalité que pour des situations comparables, or dans le cas du mariage pour tous, les situations ne sont pas exactement comparables.
Les raisonnements issus de la théorie du genre, ou connectés à elle, accumulent volontairement des occultations de la même espèce. Une mythologie violente prend ainsi la place de ce qui constituait naguère une anthropologie "naturelle". 
Si la culture est toujours le résultat d'une violence première, elle l'est pour mettre en forme, canaliser la violence, et elle le fait en mettant en place des cadres différenciés ; la violence est alors "différante". Détruire ces cadres, c'est partir à rebours, revenir au chaos qui prélude à la contagion violente. La théorie du genre participe à cet esprit du saumon culturel, remonte le courant des normes, fait fi des différences et réinstaure l'indistinct. Avec la théorie du genre, c'est la fête perpétuelle, le carnaval, cet événement où les codes, les genres, les sexes, les rôles, les hiérarchies, l'ordre, les convenances, sont inversés, où disparaissent toutes formes de différences, ou de distances, pour laisser la place au jeu des masques, à l'indifférenciation, aux orgies, aux bacchanales. Le carnaval se termine par un meurtre : l'holocauste de Monsieur Carnaval, les bacchanales par un lynchage rituel. La théorie du genre, destructrice de l'intériorité, porte en elle, le lynchage futur et la victime émissaire. 
Si le mécanisme émissaire était, à l'origine, générateur de symbolicité, il faut bien avoir à l'esprit qu'avec la théorie du genre et ses prolongements rhizomiques, nous sommes dans une inversion du mécanisme émissaire. Autrement dit, nous assistons pour le moment à la destruction du symbolique, avant de passer, inévitablement  par une crise violente qui, au frais d'une nouvelle victime, ou de nouvelles victimes - elles  sont prochaines, et les enfants sont en première ligne - créera à nouveau du symbolique. En attendant, l'humain souffre dans ses existences individuelles et personnelles, dans ses plus faibles représentants. Il souffre inutilement. 
 

Rhyzomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Première partie.

Il n'y a pas de théorie du genre. C'est du moins, depuis peu de temps, ce que les esprits très en phase avec les problématiques soulevées par le "gender", ou le "genre", ne cessent de proclamer. Il n'y a pas de théorie du genre, il n'y aurait que les "études sur le genre" - "gender studies" en anglais. Le message se veut clair : aucune idéologie théorique, que des hypothèses de travail scientifique qui concernent au premier chef, l'Université et tout ce que l'on peut compter de Hautes Ecoles. Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas de théorie sur le genre, vous ne trouverez que des écrits, incompréhensibles, avec force notes en bas de pages ; autrement rien de rien, rien qui puisse troubler la fameuse ménagère de moins de cinquante ans - que devient-elle celle-là ?

Partant ainsi avec ce propos -"il n'y a pas", "il n'y a que" - nous pouvons dire que nous sommes mal engagés dans la problématique générale sur le genre. Il s'agit là d'une véritable pétition de principe : on nie l'existence d'une théorie alors qu'il s'agirait précisément de nous prouver qu'elle n'existe pas. Car - la logique est simple - s'il y a des études sur le genre, autrement dit si des hypothèses "scientifiques" sont élaborées - et personne ne  nie qu'ils s'en trouvent - c'est donc bien qu'il existe une théorie - au moins inchoative - qui sous-tend les hypothèses de travail. Sans cette théorie, si embryonnaire soit telle, il n'y aurait pas d'études, pas de problématique, aucune attention portée au "genre" ( ce "genre" est équivoque et a l'équivocité entretenue. En français, nous savons tous que la grammaire lie le genre et le sexe. Ainsi le mâle est du genre masculin et la femelle du genre féminin. En posant le "genre" du côté du rôle social, la théorie opère une coupure du lien genre/sexe, elle rompt le rapport de constat visuel et de rôle social.) Car qu'est-ce qu'une théorie ? Il s'agit avant toute chose d'un  ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier. Or, force est de constater, que le "genre" possède bien un ensemble de notions connexes, d'idées apparentées, et utilise des concepts abstraits. Et que sont des études ? Quelles soient conduites sur le genre ou sur les pois ? Ce sont un ensemble hypothèses, de modèles, de notions, d'outils conceptuels ; toutes choses qui contribuent à l'élaboration d'une théorie. Il y a donc bien une théorie du genre et sans elle il n'y aurait tout simplement pas d'études. Ceux qui disent qu'elle n'existe pas, sont soit dans le déni, soit dans l'illusion ou dans  le mensonge. Pourquoi en seraient-ils là? Parce que ça les arrangent tout simplement. Cela irait dans le sens de la confusion fondamentale qui règne dans cette affaire du "genre". Et la confusion ici profite aux théoriciens radicaux de ces idées.  Un des visages de la théorie du genre est d'être, précisément, l'éminence grise des toutes les études sur le genre. Elle est le fil conducteur de plusieurs recherches et de plusieurs thèses. Un des autres visages de la même théorie est d'être la vulgarisation en vue d'une application pratique de ce que les études sont censées mettre en lumière. Il s'agit, pour cette théorie, d'être désormais le Janus de tout ce qui est concerné, de près ou de loin, par la différentiation sexuelle, par les pratiques sexuelles, par la sexuation, la sexualité, les questions touchant au rôle spécifique de la femme, ou à celui de l'homme, mais aussi par le vêtement, l'art, la façon de faire l'histoire, la philosophie et la politique. La théorie du genre est universelle, rien n'échappe, ou n'est censé échapper, à son emprise, dès lors que nous pouvons tout lire ou interpréter sous l'angle du rapport de sexe ou de leur(s) rôle(s) soci -al (aux). En définitive, s'il n'existe qu'une chose c'est bien la théorie du genre, les études ne devenant, quant à elles, que la justification scientifique ou pseudo-scientifique de postulats a priori. 

Il faudrait faire la généalogie de cette théorie qui postule que l'être humain n'est pas sexuellement déterminé, ou pas essentiellement déterminé, par son sexe biologique, ou naturel, mais par un cadre arbitrairement produit par telle ou telle société historique ou par telles ou telles normes culturelles. Pour le dire simplement, le "genre" n'est pas donné uniquement - un uniquement qui va progressivement s'estomper - par le sexe naturel, il est le produit, pour le meilleur ou pour le pire, d'une pression sociale et culturelle. Si je suis un homme ou un femme, ce n'est pas, uniquement, en raison du fait que je possède des testicules ou des ovaires, mais c'est, surtout, en raison des pressions culturelles ou sociales qui me font être "homme" ou "femme" (les guillemets servent à signifier qu'il ne s'agit plus d'hommes ou de femmes déterminés par le naturel). On sent bien qu'il y a là quelque chose d'assez vrai et même d'une confondante naïveté. Le problème est que la théorie du genre partant de ce constat, somme toute banal, va plus loin et affirme que le sexe naturel n'est en rien, ou vraiment pour si peu, dans la construction du genre, qu'il n'intervient que comme le constat primordial, l'observation première qui justifie ensuite la pression culturelle. Autrement dit, c'est parce que je constate que cet enfant est une fille, et je le constate au vu de son sexe, que moi parent, moi école, moi société, je vais le construire, l'édifier comme un "la", comme une femme, la faisant entrer dans un rôle préétabli par une société, forcément patriarco-machiste hétérosexiste, selon la norme - "naïve" dirait la théorie du genre - qu'une femme, par exemple,  s'emboîte forcément à un homme. La théorie du genre, dénonçant, parfois avec raison, des pressions sociales sexistes, en vient - sans rendre compte de manière satisfaisante de ses pressions (elles en est tout bonnement incapable) - à sombrer dans le négationnisme naturel. Le "je ne suis pas uniquement déterminé par mon sexe naturel", devient, très vite, "je ne suis pas déterminé par mon sexe naturel" et l'on voit des parents ne plus mentionner le sexe de l'enfant, se refusant à le nommer - le sexe - pour ne pas contraindre l'enfant à adopter un genre. 

A ce postulat de la négation, plus ou moins radicale, de la nature, il faut joindre un absolutisme culturel. Cet absolutisme culturel peut être libellé comme suit : je ne suis en définitive que ce qu'une société donnée veut que je sois, que ce qu'elle me contraire à être ; je ne joue que le ou les rôles, et les rôles sexués, qu'elle tient à ce que je joue pour qu'elle puisse fonctionner. Mais s'il en est ainsi, si ce que je suis, sexuellement parlant notamment, peut être modelé par une société et sa culture, je peux aussi, en le dénonçant, m'affranchir de ce cadre culturel contraignant et devenir autre chose, qui correspondrait plus à mon désir, et endosser un rôle plus en phase avec ce dernier. ( En mettant en avant les cadres supposés contraignants dans l'avènement d'un genre pour que celui-ci corresponde au sexe biologique, la théorie du genre suppose que la société a des idées a priori, non critiques, qui détermineraient ensuite sa contrainte sur les individus. Mais la théorie ne prouve rien de cela, elle se contente de critiquer une espèce de naturalisme sans pour autant expliquer comment il serait à l'origine des contraintes sociales. Les rôles sociaux liées au sexe semblent donc une construction a priori aucunement démontrée. Dans ce domaine, les études de genre sont souvent anachroniques, onéreuses dans leur argumentation, expliquant sans expliquer et souvent en projetant une préoccupation contemporaine largement dominée par le champ LGBT sur des sociétés qui sont à mille lieux de parler la même langue. Évidemment, cela ne peut conduire qu'à des procès d'intention.)   Au final donc, pour être ce que je veux être, ce que je sens devoir être, je n'ai besoin ni de la nature, ni des cadres culturels de la société. Si celle-ci m'impose des cadres normés pré-construits, je peux tout aussi bien, dans une attitude de critique, recouvrer une liberté et me donner mes propres cadres. La négation du naturel, de l'ordre biologique, joint au tout culturel, conduisent immanquablement au relativisme : la nature et la société sont liguées dans leur dictature patriarcale,  machiste, et hétéronormée et m'empêchent d'être ce que je voudrais être spontanément. 




La spontanéité du désir est ici une illusion qu'il ne faut pas manquer de mettre en évidence. La théorie du genre suppose souvent qu'il existerait un désir spontané, autonome, du sujet dans son rapport au sexuel, à la sexuation et au rôle social sexué. Or tout ceci n'est qu'une illusion romantique. Le désir, et surtout ceux dont nous parlons, est le fruit d'un mimétisme méconnu. Un petit garçon qui désirerait être une fille, n'acquiert pas ce désir spontanément, il ne le possède pas de manière infuse, sans passer par un ou des médiateurs qui font naître, à son insu, à leur insu, ce désir-là. La spontanéité, pour la théorie du genre, est ce qui va contre les aspects naturel ou normatifs, ou réputés tels. La spontanéité aurait donc toujours un caractère contestataire. Mais ici encore nous sommes dans une pétition de principe : on attend la preuve que la contestation soit bien toujours un signe de spontanéité. De même l'exception à la norme, l'anomalie dans le système ou l'ensemble, est regardé comme spontané tandis que pour le reste du système, ou de l'ensemble, il n'y aurait que contrainte. Une femme qui se prend pour un homme serait spontané, une femme qui se prend pour une femme supposerait la contrainte. Ce qui échappe à un cadre, déclaré violent, est spontané, ce qui y demeure est contraint : la preuve ? on l'attend !
 Postuler que ce type de désirs est autonome et spontané, c'est méconnaître qu'un désir est toujours précédé d'un réseau de relations qui le porte. La théorie du genre dénonçant la tyrannie d'un ordre des choses fondé sur un certain primat naturel, tombe dans le dictat culturel relativiste entretenu par la méconnaissance de la nature exacte du désir. Si en matière d'identité sexuée, je nie unilatéralement le fondement naturel, si je critique unilatéralement les cadres sociaux, réputés fondés sur la dite nature, il ne me reste qu'a me replier sur un désir purement égotique que je fantasme spontané, souverain, libre, autonome, presque me préexistant , mais qui, en vérité, lui aussi, reste à la remorque de critères culturels à la tyrannie bien plus perverse parce que cachée. 

A l'observation sereine de l'impact de la doctrine du genre, on constate une disproportion tout à fait intéressante entre sa relative nouveauté et l'importance qui lui est donnée.  On peut se demander, à juste titre, de savoir comment une théorie aussi récente a-t-elle pu gagner aussi vite les milieux intellectuels les plus influents et occuper tous les champs des sciences humaines ? Une autre théorie, celle du désir mimétique, justement, élaborée par René Girard, dans le même laps de temps, n'a pas eu la moitié de la répercussion que celle qu'a eue la théorie du genre. La question devient plus aiguë encore lorsque l'on connait les origines troubles de la dite théorie, indubitablement marquée, au berceau, par des caractères pathologiques personnels. Et pourtant cette ascendance fortement tarée ne semble pas avoir freiné son expansion. Ce phénomène est très curieux et inquiétant. Nées des recherches "médicales" d'un psychiatre pédophile (Money) lui-même disciple d'un sexologue pansexuel (Kinsey) les bases de la théorie du genre sont reprises par des mouvements militants, activistes, constitués en majorité de féministes dans un premier temps, de lesbiennes radicales, dans un second temps, et enfin d'idéologues Queer dans un dernier temps.  Tous ses groupes ont vu dans les constructions psychiatriques, sociologiques ou historiques liées au genre l'occasion de justifier intellectuellement un combat. Or quand, pour un groupe donné, à la cohésion fondée sur des particularismes sexuels, une hypothèse prend la valeur d'une théorie démontrée et irréfutable et que ce groupe a un intérêt à ce qu'elle le soit, on est en droit de tenir la théorie en question et même les hypothèses qui la sous-tendent comme suspectes a priori. Or toute la théorie du genre dans sa généalogie repose sur ce type de constructions intellectuelles liées à des intérêts sexués, sexuels, de sexuation, à des particularismes de pulsions libidinales. Le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes, que l'on oppose souvent comme vademecum à la théorie, est lui-même doublé par les mêmes préoccupations sexuelles qui ont marquées les débuts inchoatifs des théories sur le genre. Le même Dr. Money défendait, par un intérêt tout personnel, la légitimité de la pédophilie avec des arguments qui auraient pu - qui pourront peut-être - faire une carrière aussi faste.

Le fait que la théorie du genre fut largement assumée, développée, et propagée par des groupes radicaux explique, pour une part, son côté totalitaire : occuper tout le terrain et s'imposer avec force. Avec le temps, elle a étendu ses rhizomes et défenseurs de l'égalitarisme hommes /femmes, promoteurs de la libération de la femmes, féministes radicaux, LGTB, queer et autres se mêlent, dans le même opprobre jeté sur la nature, dans  le même constructivisme culturel, agités par la même obsession sexuelle. 

Faut-il cependant tout rejeter de cette théorie ? N'y aurait-il pas l'une ou l'autre chose à prendre tout de même?  Pour ce faire, il faudrait la débarrasser de ses fondements idéologiques et donc de la déchoir de son statut de théorie justement. Il faudrait la soumettre à la critique et ensuite la dépasser en ne retenant ce qui est probant pour en faire des hypothèses de travail. Cela supposerait de repenser le lien entre nature et culture, autrement que dans un conflit perpétuel, comme si, forcément, le deux instances étaient antinomiques.  Or ce travail de critique sereine est difficile à faire eu égard à la nature militante et intéressée, partisane donc, de la théorie sur le genre. De plus, un travail de critique supposerait de mettre un frein net à toutes les implications pratiques qu'elle engendre. En effet, elle produit des projets éducatifs qui sous le noble but de réduire les inégalités liées au sexe, entretiennent la confusion entre les sexes ou revendiquent la disparition pure et simple de la différence sexuelle. La même éducation, liée toujours au mythe de la spontanéité d'un désir préexistant, promeut des comportements sexuels présentés comme se valant tous, puisque ôtés de leur contexte naturel, et simplement mus par le désir fondateur de légitimité. L'éducation aux rôles sociaux sexués fondés sur la théorie du genre se signale par des comportements aberrants (ne pas signaler le sexe biologique de l'enfant, obliger les garçons à uriner assis, obliger à l'inversion sexuée des jeux, leçons faites sur la base d'histoires liées aux comportements sexuels - Tango a deux papas et Papa porte une robe, par exemple), pour le moment assez minoritaires et sans réel impact, mais qui, compte tenu de l'aspect foncièrement totalitaire et prosélyte de la doctrine sont, d'ores et déjà, dangereux. De plus, on notera la contradiction :  au nom de la lutte contre la contrainte sociale on impose aux enfants une nouvelle contrainte, un contrainte largement sexuelle, avec souvent des préoccupations qui ne sont pas de leur âge. Si la première revendiquait pour elle d'être fondée en nature, la seconde conteste le fait de pouvoir fonder quoi que ce soit en nature, d'où des impératifs catégoriques tirés du chapeau, facilement changeants, et donc plus directifs, puisque, logiquement, plus relatifs. On pourrait sans que cela soit abusif envisager un programme, très documenté, et largement justifié de castration afin que disparaisse effectivement la différence et le différent sexuel : l'égalitarisme est un rouleau compresseur. (La théorie du genre n'est qu'une castration idéologique en définitive).