mercredi 19 juin 2013

Rhizomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Deuxième partie.

La dispute entre "nature" et "culture", qu'exploite à frais nouveaux la théorie du genre, se cristallise autour des présupposés philosophiques idéalistes.
Il est difficile d'admettre, et le faire serait réducteur, qu'une théorie toute entière repose uniquement sur une pathologie individuelle. Si la pathologie individuelle, ou plus simplement une problématique strictement personnelle, peut s'épanouir en théorie universelle,  c'est en raison de son ancrage à des prémisses philosophiques. Si donc une pathologie individuelle prend une part à la construction d'une théorie, c'est que le système de représentations - puisque la théorie du genre n'est que cela : une représentation - induit par la pathologie se coulent dans les cadres conceptuels philosophiques de représentations justement (Schopenhauer, entre autres, fait son fond de commerce avec la "représentation" ou la "présentation").  En l'occurrence,  la théorie représentative du genre repose sur une vision idéaliste ; elle nie le réel le plus directement observable pour fonder son "orthopraxie" sur des vues de l'esprit souvent postulées a priori.
L'idéalisme est largement diffusé dans l'opinion qui, la plus part du temps, n'en a ni vent ni cure ; pour le dire trivialement la théorie du genre fait son beurre grâce aux idéalismes dont la société occidentale est farcie. 
L'idéalisme est un relativisme en béton armé. Ce qu'il nie, il le fait : il nie l'objectivité, l'essence, qu'une quelconque vérité puisse résider dans l'objet perçu, dans la chose en soi, mais il construit une nouvelle objectivité, pour ainsi dire, une vérité vraie non objectale et résidant toute entière sur le sujet percevant. L'idéalisme possède,  par sa haine déclarée, ou secrète, du réel, les germes du totalitarisme : s'affranchissant du réel, de l'observation de ce qui apparaît de fait, déniant au réel une quelconque fonction normative, il crée des catégories forcées,  relatives et cependant féroces, et fait tout entrer dans celles-ci, quittent à en créer d'autres afin d'élaborer une nouvelle représentation, un nouveau paradigme, si l'esprit lui en dit. Le malheur est qu'il y a autant de représentations pouvant avoir force de loi que de sujets, et que, sans base commune objectales, il est difficile de se rendre compte de la bonté ou de la justesse des représentations proposées. Le réel congédié cède la place à l' idéal arbitraire et à la force subjective.
Critiquant la nature d'une part, et les cadres sociaux, réputés fondés sur elle, d'autre part, la théorie du genre ramène tout, idéalement, à la spontanéité du sujet. Cette spontanéité, déjà signalée, apparaît dans un système culturel dont elle subira soit la contrainte, soit l'encouragement. Aussi la théorie du genre propose un nouveau système de représentations, de nouveaux cadres culturels supposés non contraignants. Assurément, cette nouvelle représentation devrait elle aussi être frappée par la même critique, mais, pour les tenants du genre, elle y échappe en cela même qu'elle n'est pas fondée en nature. La représentation du monde fondée sur le genre n'est pas critiquable parce que précisément elle n'est pas fondée sur l'observation de la nature, observation de la nature qui est seule soumise à critique : une nouvelle fois nous sommes face à une pétition de principe, puisque la théorie prétend que la représentation non fondée sur le réel n'est pas critiquable et que seul le réel l'est. Les études sur le genre sont imprégnée du même a priori : aucune représentation idéale n'est critiquable dés lors qu'elle est issue d'une critique du réel. Aussi il devient possible de choisir, dans une espèce de saut métaphysique, un sexe, un genre et je ne sais quoi, une espèce pourquoi pas, une couleur de peau ou en tout cas les comportements sociaux liés à la couleur de peau, rien ni personne ne saurait m'opposer une loi, une norme, pas même la nature, elle qui m’inflige le stigmate d'un sexe, d'une couleur du derme, par exemple. Tout est dans le sujet et hors de lui rien n'existe. Lui seul sait, sent, veut. La société n'est qu'une somme de sujets voulant et désirant, absolus, dans l'espace et le temps, interconnectés par les liens d' intérêts. Je ne suis le semblable de personne,  je suis seul à avoir raison contre tous, contre tous, puisque tout le monde devient potentiellement un empêcheur de tourner en rond, l'élément qui va troubler ma spontanéité. La communion - notion théologique - ou même la communauté est un leurre, le "social" que fonde l'idéalisme n'est qu'une notion catégorielle, un groupement d'intérêts - sans raisons supérieures - l'unique chose à laquelle tout le monde communie dans cet orgueil de solitaires est l'hybris. 
La confusion est totale. Ici on nie la nature et on la trouve abjecte, là on l'exalte allant même à réduire l'homme à n'être qu'un animal parmi d'autre, une espèce parmi les espèces. La vérité est que l'homme est ancré dans la nature,  qu'il est de sa nature, justement, de sa nature spirituelle, de transcender la nature. De la transcender pas simplement en la niant, mais en l'assumant, en l'élevant. L'homme est cet animal qui dans la nature donne à la nature une raison supplémentaire. Il est l'animal qui dans la nature, explique la nature, l'interprète au sens où un musicien interprète un morceau. Il est cet animal social et interdividuel (sic) 
par qui la nature passe et repasse sans jamais s'y enfermer. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'en rester à la nature brute, comme il n'est pas dans sa nature de la quitter entièrement : le ferait-il, elle le rattraperait tôt ou tard. 




La théorie du genre existe bel et bien : polymorphe et rhizomateuse. Elle conditionne des attitudes "réformatrices", des programmes et des dispositifs qui dépassent de loin le pur cadre de sages et tranquilles études. Celles-ci ne sont que le paravent et le vivier de la théorie, son magasin, et son laissez-passer. La théorie entretient, contrairement à ce qu'elle prétend, une confusion et, à rebours, là aussi de ce qu'elle dit vouloir faire ( à savoir réduire les inégalités entre les sexes, inégalités étendues aux pratiques sexuelles ) fini par effacer non seulement les différences structurantes mais aussi le différentiel lui-même. Tout se vaut donc aux yeux de cette théorie, tout, on l'aura compris, sauf ce qui passe pour une norme fondée en nature. Aussi, il n'est pas étonnant de voir de ses adeptes défendre toutes les formes de sexuation, parfois avec une complexité toute byzantine, toutes les formes de sexualité : fétichisme, sado-masochisme, zoophilie, pédophilie, tout pouvant être le terme d'un choix justifié a posteriori par des arguments spécieux reposants sur une vision du réel très idéaliste. 

L'effacement des différences structurantes est une occasion de violence et d'une violence plus grande que celle que ces différences sont supposées produire. L'effacement de ses différences conduisent, parfois au nom de l'égalité, à un état de confusion généralisé, à la production de ce que Girard appelle les "doubles monstrueux", dans une ressemblance dominée par la rivalité mimétique. L’indifférenciation et l'état de confusion conséquent, sont le creuset de violences futures dont l'une des fonctions sera précisément le rétablissement de structures différenciée. La violence est souvent différante.
L'idéal démocratique universel appliqué non seulement au politique mais aussi à d'autres secteurs de la vie publique, de sorte que l'on puisse désormais dire que tout est politique, cet idéal développé tout au long du XXe siècle a engendré une véritable manie égalitariste. Celle-ci tend par la force des choses, par les nivellements des désirs, l'universalisme des modèles et, simultanément, leur restriction numérique, vers l'indifférenciation. La démocratie, paradoxalement, à force, est devenue la tyrannie de la confusion, le laboratoire de l'indistinct, le boudoir du chaos. Aussi, il n'est pas étonnant que l'on ai vu apparaître des attitudes et des théories qui soit dans leur genèse soit dans leurs développements tendent vers l'effacement des frontières, des limites, de la différence, du différencié et promeuvent une forme plus ou moins radicale d'indistinction au nom de l'égalité. La théorie du genre est de celles-là. Au bout de sa chaîne logique, se trouve la résorption de la différence naturelle des sexes estimant que celle-ci est insignifiante. La théorie du genre promeut l' interchangeabilité des rôles sexuels mais aussi des sexes biologiques eux-même qui ne sont plus rien qu'une trace laissée-là par on ne sait quel coquin de sort.
La récente adoption du mariage euphémiquement dit "pour tous" - appellation bonassière  symptomatique - contribue à l'entretien d'une confusion puisque désormais l'équation logique est celle-ci  : si homme + femme, égal homme + homme ou femme+femme, donc homme = femme et l'un vaut pour l'autre. C'est cette simple et crypto-logique qui est appliquée ensuite à la procréation et à la filiation. Gommant la nature, que l'on ne saurait voir, un enfant est désormais réputé conçu et né de deux hommes ou de deux femmes. L'enfant est donc "réellement" désormais le fils ou la fille d'une dyade dont la sexuation ne représente plus rien, est sans importance et insignifiante dans son lien à la procréation biologique. On ne voit pas dans ce cas, ce qui empêcherait un jour qu'un petit d'homme puisse être réputé né d'une louve et d'un homme, par exemple. Pour ce qui concerne le mariage-pour-tous, l'argument égalitariste démocratique n'a cessé d'accompagner la confusion du débat. Or cet argument occultait volontairement que l'égalité, pour qu'il s'agisse réellement d'égalité, doit tenir compte des différences premières et fondamentales. On ne peut revendiquer l'égalité que pour des situations comparables, or dans le cas du mariage pour tous, les situations ne sont pas exactement comparables.
Les raisonnements issus de la théorie du genre, ou connectés à elle, accumulent volontairement des occultations de la même espèce. Une mythologie violente prend ainsi la place de ce qui constituait naguère une anthropologie "naturelle". 
Si la culture est toujours le résultat d'une violence première, elle l'est pour mettre en forme, canaliser la violence, et elle le fait en mettant en place des cadres différenciés ; la violence est alors "différante". Détruire ces cadres, c'est partir à rebours, revenir au chaos qui prélude à la contagion violente. La théorie du genre participe à cet esprit du saumon culturel, remonte le courant des normes, fait fi des différences et réinstaure l'indistinct. Avec la théorie du genre, c'est la fête perpétuelle, le carnaval, cet événement où les codes, les genres, les sexes, les rôles, les hiérarchies, l'ordre, les convenances, sont inversés, où disparaissent toutes formes de différences, ou de distances, pour laisser la place au jeu des masques, à l'indifférenciation, aux orgies, aux bacchanales. Le carnaval se termine par un meurtre : l'holocauste de Monsieur Carnaval, les bacchanales par un lynchage rituel. La théorie du genre, destructrice de l'intériorité, porte en elle, le lynchage futur et la victime émissaire. 
Si le mécanisme émissaire était, à l'origine, générateur de symbolicité, il faut bien avoir à l'esprit qu'avec la théorie du genre et ses prolongements rhizomiques, nous sommes dans une inversion du mécanisme émissaire. Autrement dit, nous assistons pour le moment à la destruction du symbolique, avant de passer, inévitablement  par une crise violente qui, au frais d'une nouvelle victime, ou de nouvelles victimes - elles  sont prochaines, et les enfants sont en première ligne - créera à nouveau du symbolique. En attendant, l'humain souffre dans ses existences individuelles et personnelles, dans ses plus faibles représentants. Il souffre inutilement. 
 

2 commentaires:

  1. Bonjour, je m'intéresse à cette "theorie" mais ne trouve pas vraiment de sources d'information fiables qui m'aideraient à la cerner mieux.
    Vous avez l'air d'en être bien informé, pourriez-vous me communiquer des sources que je pourrais consulter ?
    Vous remerciant par avance

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  2. Je vous demande pardon de répondre aussi tard. Je n'ai vu votre message qu'aujourd'hui.

    Les références ne manquent pas.

    Butler, J., Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité. Paris : La Découverte, 2006. Il s'agit là de l'ouvrage princeps, celui qui a lancé le pavé dans la marre. Depuis Butler est revenue sur pas mal de ses présupposés (http://www.lavie.fr/hebdo/2013/3544/la-folle-polemique-sur-le-genre-30-07-2013-42965_524.php) Bien avant qu'elle ne se corrige, et malgré toutes les origines quelque peu troubles de sa pensée, elle reçut le titre de docteur honoris causa de l'une ou l'autre université.

    Éric Fassin avec Véronique Margron, Homme, femme, quelle différence ? La théorie du genre en débat, coll. controverses éditions Salvator, septembre 2011


    http://www.zenit.org/fr/articles/la-theorie-du-genre-et-l-origine-de-l-homosexualite-par-mgr-anatrella

    http://www.eglise.catholique.fr/getFile.php?ID=18366

    et vous avez ce blog qui vous donnera d'autres pistes.
    http://theoriedugenre.wordpress.com/

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