mercredi 19 juin 2013

Rhyzomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Première partie.

Il n'y a pas de théorie du genre. C'est du moins, depuis peu de temps, ce que les esprits très en phase avec les problématiques soulevées par le "gender", ou le "genre", ne cessent de proclamer. Il n'y a pas de théorie du genre, il n'y aurait que les "études sur le genre" - "gender studies" en anglais. Le message se veut clair : aucune idéologie théorique, que des hypothèses de travail scientifique qui concernent au premier chef, l'Université et tout ce que l'on peut compter de Hautes Ecoles. Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas de théorie sur le genre, vous ne trouverez que des écrits, incompréhensibles, avec force notes en bas de pages ; autrement rien de rien, rien qui puisse troubler la fameuse ménagère de moins de cinquante ans - que devient-elle celle-là ?

Partant ainsi avec ce propos -"il n'y a pas", "il n'y a que" - nous pouvons dire que nous sommes mal engagés dans la problématique générale sur le genre. Il s'agit là d'une véritable pétition de principe : on nie l'existence d'une théorie alors qu'il s'agirait précisément de nous prouver qu'elle n'existe pas. Car - la logique est simple - s'il y a des études sur le genre, autrement dit si des hypothèses "scientifiques" sont élaborées - et personne ne  nie qu'ils s'en trouvent - c'est donc bien qu'il existe une théorie - au moins inchoative - qui sous-tend les hypothèses de travail. Sans cette théorie, si embryonnaire soit telle, il n'y aurait pas d'études, pas de problématique, aucune attention portée au "genre" ( ce "genre" est équivoque et a l'équivocité entretenue. En français, nous savons tous que la grammaire lie le genre et le sexe. Ainsi le mâle est du genre masculin et la femelle du genre féminin. En posant le "genre" du côté du rôle social, la théorie opère une coupure du lien genre/sexe, elle rompt le rapport de constat visuel et de rôle social.) Car qu'est-ce qu'une théorie ? Il s'agit avant toute chose d'un  ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier. Or, force est de constater, que le "genre" possède bien un ensemble de notions connexes, d'idées apparentées, et utilise des concepts abstraits. Et que sont des études ? Quelles soient conduites sur le genre ou sur les pois ? Ce sont un ensemble hypothèses, de modèles, de notions, d'outils conceptuels ; toutes choses qui contribuent à l'élaboration d'une théorie. Il y a donc bien une théorie du genre et sans elle il n'y aurait tout simplement pas d'études. Ceux qui disent qu'elle n'existe pas, sont soit dans le déni, soit dans l'illusion ou dans  le mensonge. Pourquoi en seraient-ils là? Parce que ça les arrangent tout simplement. Cela irait dans le sens de la confusion fondamentale qui règne dans cette affaire du "genre". Et la confusion ici profite aux théoriciens radicaux de ces idées.  Un des visages de la théorie du genre est d'être, précisément, l'éminence grise des toutes les études sur le genre. Elle est le fil conducteur de plusieurs recherches et de plusieurs thèses. Un des autres visages de la même théorie est d'être la vulgarisation en vue d'une application pratique de ce que les études sont censées mettre en lumière. Il s'agit, pour cette théorie, d'être désormais le Janus de tout ce qui est concerné, de près ou de loin, par la différentiation sexuelle, par les pratiques sexuelles, par la sexuation, la sexualité, les questions touchant au rôle spécifique de la femme, ou à celui de l'homme, mais aussi par le vêtement, l'art, la façon de faire l'histoire, la philosophie et la politique. La théorie du genre est universelle, rien n'échappe, ou n'est censé échapper, à son emprise, dès lors que nous pouvons tout lire ou interpréter sous l'angle du rapport de sexe ou de leur(s) rôle(s) soci -al (aux). En définitive, s'il n'existe qu'une chose c'est bien la théorie du genre, les études ne devenant, quant à elles, que la justification scientifique ou pseudo-scientifique de postulats a priori. 

Il faudrait faire la généalogie de cette théorie qui postule que l'être humain n'est pas sexuellement déterminé, ou pas essentiellement déterminé, par son sexe biologique, ou naturel, mais par un cadre arbitrairement produit par telle ou telle société historique ou par telles ou telles normes culturelles. Pour le dire simplement, le "genre" n'est pas donné uniquement - un uniquement qui va progressivement s'estomper - par le sexe naturel, il est le produit, pour le meilleur ou pour le pire, d'une pression sociale et culturelle. Si je suis un homme ou un femme, ce n'est pas, uniquement, en raison du fait que je possède des testicules ou des ovaires, mais c'est, surtout, en raison des pressions culturelles ou sociales qui me font être "homme" ou "femme" (les guillemets servent à signifier qu'il ne s'agit plus d'hommes ou de femmes déterminés par le naturel). On sent bien qu'il y a là quelque chose d'assez vrai et même d'une confondante naïveté. Le problème est que la théorie du genre partant de ce constat, somme toute banal, va plus loin et affirme que le sexe naturel n'est en rien, ou vraiment pour si peu, dans la construction du genre, qu'il n'intervient que comme le constat primordial, l'observation première qui justifie ensuite la pression culturelle. Autrement dit, c'est parce que je constate que cet enfant est une fille, et je le constate au vu de son sexe, que moi parent, moi école, moi société, je vais le construire, l'édifier comme un "la", comme une femme, la faisant entrer dans un rôle préétabli par une société, forcément patriarco-machiste hétérosexiste, selon la norme - "naïve" dirait la théorie du genre - qu'une femme, par exemple,  s'emboîte forcément à un homme. La théorie du genre, dénonçant, parfois avec raison, des pressions sociales sexistes, en vient - sans rendre compte de manière satisfaisante de ses pressions (elles en est tout bonnement incapable) - à sombrer dans le négationnisme naturel. Le "je ne suis pas uniquement déterminé par mon sexe naturel", devient, très vite, "je ne suis pas déterminé par mon sexe naturel" et l'on voit des parents ne plus mentionner le sexe de l'enfant, se refusant à le nommer - le sexe - pour ne pas contraindre l'enfant à adopter un genre. 

A ce postulat de la négation, plus ou moins radicale, de la nature, il faut joindre un absolutisme culturel. Cet absolutisme culturel peut être libellé comme suit : je ne suis en définitive que ce qu'une société donnée veut que je sois, que ce qu'elle me contraire à être ; je ne joue que le ou les rôles, et les rôles sexués, qu'elle tient à ce que je joue pour qu'elle puisse fonctionner. Mais s'il en est ainsi, si ce que je suis, sexuellement parlant notamment, peut être modelé par une société et sa culture, je peux aussi, en le dénonçant, m'affranchir de ce cadre culturel contraignant et devenir autre chose, qui correspondrait plus à mon désir, et endosser un rôle plus en phase avec ce dernier. ( En mettant en avant les cadres supposés contraignants dans l'avènement d'un genre pour que celui-ci corresponde au sexe biologique, la théorie du genre suppose que la société a des idées a priori, non critiques, qui détermineraient ensuite sa contrainte sur les individus. Mais la théorie ne prouve rien de cela, elle se contente de critiquer une espèce de naturalisme sans pour autant expliquer comment il serait à l'origine des contraintes sociales. Les rôles sociaux liées au sexe semblent donc une construction a priori aucunement démontrée. Dans ce domaine, les études de genre sont souvent anachroniques, onéreuses dans leur argumentation, expliquant sans expliquer et souvent en projetant une préoccupation contemporaine largement dominée par le champ LGBT sur des sociétés qui sont à mille lieux de parler la même langue. Évidemment, cela ne peut conduire qu'à des procès d'intention.)   Au final donc, pour être ce que je veux être, ce que je sens devoir être, je n'ai besoin ni de la nature, ni des cadres culturels de la société. Si celle-ci m'impose des cadres normés pré-construits, je peux tout aussi bien, dans une attitude de critique, recouvrer une liberté et me donner mes propres cadres. La négation du naturel, de l'ordre biologique, joint au tout culturel, conduisent immanquablement au relativisme : la nature et la société sont liguées dans leur dictature patriarcale,  machiste, et hétéronormée et m'empêchent d'être ce que je voudrais être spontanément. 




La spontanéité du désir est ici une illusion qu'il ne faut pas manquer de mettre en évidence. La théorie du genre suppose souvent qu'il existerait un désir spontané, autonome, du sujet dans son rapport au sexuel, à la sexuation et au rôle social sexué. Or tout ceci n'est qu'une illusion romantique. Le désir, et surtout ceux dont nous parlons, est le fruit d'un mimétisme méconnu. Un petit garçon qui désirerait être une fille, n'acquiert pas ce désir spontanément, il ne le possède pas de manière infuse, sans passer par un ou des médiateurs qui font naître, à son insu, à leur insu, ce désir-là. La spontanéité, pour la théorie du genre, est ce qui va contre les aspects naturel ou normatifs, ou réputés tels. La spontanéité aurait donc toujours un caractère contestataire. Mais ici encore nous sommes dans une pétition de principe : on attend la preuve que la contestation soit bien toujours un signe de spontanéité. De même l'exception à la norme, l'anomalie dans le système ou l'ensemble, est regardé comme spontané tandis que pour le reste du système, ou de l'ensemble, il n'y aurait que contrainte. Une femme qui se prend pour un homme serait spontané, une femme qui se prend pour une femme supposerait la contrainte. Ce qui échappe à un cadre, déclaré violent, est spontané, ce qui y demeure est contraint : la preuve ? on l'attend !
 Postuler que ce type de désirs est autonome et spontané, c'est méconnaître qu'un désir est toujours précédé d'un réseau de relations qui le porte. La théorie du genre dénonçant la tyrannie d'un ordre des choses fondé sur un certain primat naturel, tombe dans le dictat culturel relativiste entretenu par la méconnaissance de la nature exacte du désir. Si en matière d'identité sexuée, je nie unilatéralement le fondement naturel, si je critique unilatéralement les cadres sociaux, réputés fondés sur la dite nature, il ne me reste qu'a me replier sur un désir purement égotique que je fantasme spontané, souverain, libre, autonome, presque me préexistant , mais qui, en vérité, lui aussi, reste à la remorque de critères culturels à la tyrannie bien plus perverse parce que cachée. 

A l'observation sereine de l'impact de la doctrine du genre, on constate une disproportion tout à fait intéressante entre sa relative nouveauté et l'importance qui lui est donnée.  On peut se demander, à juste titre, de savoir comment une théorie aussi récente a-t-elle pu gagner aussi vite les milieux intellectuels les plus influents et occuper tous les champs des sciences humaines ? Une autre théorie, celle du désir mimétique, justement, élaborée par René Girard, dans le même laps de temps, n'a pas eu la moitié de la répercussion que celle qu'a eue la théorie du genre. La question devient plus aiguë encore lorsque l'on connait les origines troubles de la dite théorie, indubitablement marquée, au berceau, par des caractères pathologiques personnels. Et pourtant cette ascendance fortement tarée ne semble pas avoir freiné son expansion. Ce phénomène est très curieux et inquiétant. Nées des recherches "médicales" d'un psychiatre pédophile (Money) lui-même disciple d'un sexologue pansexuel (Kinsey) les bases de la théorie du genre sont reprises par des mouvements militants, activistes, constitués en majorité de féministes dans un premier temps, de lesbiennes radicales, dans un second temps, et enfin d'idéologues Queer dans un dernier temps.  Tous ses groupes ont vu dans les constructions psychiatriques, sociologiques ou historiques liées au genre l'occasion de justifier intellectuellement un combat. Or quand, pour un groupe donné, à la cohésion fondée sur des particularismes sexuels, une hypothèse prend la valeur d'une théorie démontrée et irréfutable et que ce groupe a un intérêt à ce qu'elle le soit, on est en droit de tenir la théorie en question et même les hypothèses qui la sous-tendent comme suspectes a priori. Or toute la théorie du genre dans sa généalogie repose sur ce type de constructions intellectuelles liées à des intérêts sexués, sexuels, de sexuation, à des particularismes de pulsions libidinales. Le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes, que l'on oppose souvent comme vademecum à la théorie, est lui-même doublé par les mêmes préoccupations sexuelles qui ont marquées les débuts inchoatifs des théories sur le genre. Le même Dr. Money défendait, par un intérêt tout personnel, la légitimité de la pédophilie avec des arguments qui auraient pu - qui pourront peut-être - faire une carrière aussi faste.

Le fait que la théorie du genre fut largement assumée, développée, et propagée par des groupes radicaux explique, pour une part, son côté totalitaire : occuper tout le terrain et s'imposer avec force. Avec le temps, elle a étendu ses rhizomes et défenseurs de l'égalitarisme hommes /femmes, promoteurs de la libération de la femmes, féministes radicaux, LGTB, queer et autres se mêlent, dans le même opprobre jeté sur la nature, dans  le même constructivisme culturel, agités par la même obsession sexuelle. 

Faut-il cependant tout rejeter de cette théorie ? N'y aurait-il pas l'une ou l'autre chose à prendre tout de même?  Pour ce faire, il faudrait la débarrasser de ses fondements idéologiques et donc de la déchoir de son statut de théorie justement. Il faudrait la soumettre à la critique et ensuite la dépasser en ne retenant ce qui est probant pour en faire des hypothèses de travail. Cela supposerait de repenser le lien entre nature et culture, autrement que dans un conflit perpétuel, comme si, forcément, le deux instances étaient antinomiques.  Or ce travail de critique sereine est difficile à faire eu égard à la nature militante et intéressée, partisane donc, de la théorie sur le genre. De plus, un travail de critique supposerait de mettre un frein net à toutes les implications pratiques qu'elle engendre. En effet, elle produit des projets éducatifs qui sous le noble but de réduire les inégalités liées au sexe, entretiennent la confusion entre les sexes ou revendiquent la disparition pure et simple de la différence sexuelle. La même éducation, liée toujours au mythe de la spontanéité d'un désir préexistant, promeut des comportements sexuels présentés comme se valant tous, puisque ôtés de leur contexte naturel, et simplement mus par le désir fondateur de légitimité. L'éducation aux rôles sociaux sexués fondés sur la théorie du genre se signale par des comportements aberrants (ne pas signaler le sexe biologique de l'enfant, obliger les garçons à uriner assis, obliger à l'inversion sexuée des jeux, leçons faites sur la base d'histoires liées aux comportements sexuels - Tango a deux papas et Papa porte une robe, par exemple), pour le moment assez minoritaires et sans réel impact, mais qui, compte tenu de l'aspect foncièrement totalitaire et prosélyte de la doctrine sont, d'ores et déjà, dangereux. De plus, on notera la contradiction :  au nom de la lutte contre la contrainte sociale on impose aux enfants une nouvelle contrainte, un contrainte largement sexuelle, avec souvent des préoccupations qui ne sont pas de leur âge. Si la première revendiquait pour elle d'être fondée en nature, la seconde conteste le fait de pouvoir fonder quoi que ce soit en nature, d'où des impératifs catégoriques tirés du chapeau, facilement changeants, et donc plus directifs, puisque, logiquement, plus relatifs. On pourrait sans que cela soit abusif envisager un programme, très documenté, et largement justifié de castration afin que disparaisse effectivement la différence et le différent sexuel : l'égalitarisme est un rouleau compresseur. (La théorie du genre n'est qu'une castration idéologique en définitive).

2 commentaires:

  1. Le genre n'est pas tout-à-fait une théorie, le bon mot serait un "paradigme". Un paradigme qui se répand à une vitesse incroyable, certes, mais avec le soutien de toutes les instances mondialistes néolibérales : OCDE, Union Européenne... Cette collusion idéologique reste à analyser.

    Ce paradigme, vous en notez la travers principal : "on notera la contradiction : au nom de la lutte contre la contrainte sociale on impose aux enfants une nouvelle contrainte [...] l'égalitarisme est un rouleau compresseur".

    Ce type d'approche, 100% environnementaliste, cadre parfaitement avec la tare de la sociologie française depuis Durkheim, niant aussi l'inné : ce sont les caractéristiques d'un nouveau lyssenkysme. Ce n'est pas un hasard si le genre fait fureur chez nos faux intellectuels et s'intègre aussi parfaitement dans le logiciel pourri d'une certaine gauche française. Et ce n'est pas un hasard s'il entre en résonance avec le nouveau jdanovisme ultralibéral si bien résumé par une crevure comme Guy Sorman : Homo oeconomicus peut tout".

    En tant que biologiste évolutionniste, je tiens donc à alerter sur le caractère pseudo-scientifique de cette doctrine ; la tentative d'introduction de ce truc dans les programmes de SVT par l'ultralibéral Luc Châtel est pour moi aussi grave que si on demander d'enseigner le créationnisme en cours de biologie.

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  2. Cher Monsieur,

    Merci de pour votre message. Je conçois parfaitement que "théorie" n'est pas le terme le plus approprié. Cependant, j'ai évité d'user de "paradigme". Parce qu'une part cette notion présente quelques obscurité pour le tout venant, et que d'autre part, le paradigme comme modèle théorique entretien des liens avec ce qu'il faut tout de même, faut de mieux appeler "théorie". Je ne vois pas cette "théorie" du genre comme une espèce de dogme figé, mais plutôt comme un "mobile", pour reprendre une notion développée par un théologien protestant. Au final, théorie, paradigme ou mobile, je crois que les mots importent moins que la réalité d'un idéologie dont vous pointez quelques impasses, notamment dans le dernier paragraphe de votre message.

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