jeudi 24 octobre 2013

Le monde qui vient sera violemment bien.

Comment peut-on voir le monde tourner sans s'affoler de ce qu'il tourne ?  Sans prendre peur de sa façon de tourner ? Existe-t-il un autre visage du monde possible ?  Est-il un autre monde qui pourrait advenir ? Ou bien sommes-nous contraints à assister à ce qui advient, acculés à la tournure de ce monde-ci ?

Il y a quelques jours, mangeant des frites, l'oreille baladeuse, j'écoutais, avec intérêt, un jeune garçon raconter à quelqu'un qui était probablement sa mère, un film qu'il venait de voir. Il était question de meurtres en série et de suicide en pagaille pour je ne sais quelle fin du monde. Sa narration s'acheva par un "non mais, c'était bien". 
Voilà donc qu'il faut tenir ensemble le "c'était bien" et la violence des meurtres et des suicides. Je me disais, une frite entre les doigts, comment peut-on tenir ensemble sans trembler, sans toussoter du moins, ces deux choses-là ? Comment peut-on dire de toute cette violence, c'était bien, c'est bien ? 

Quelques heures plus tard, la Providence me met entre la main le petit livre de Michela Marzano, La Mort spectacle, Enquête sur l'horreur-réalité. Le livre est petit mais, bon-sang, il fait froid dans le dos. La philosophe nous expose un compte-rendu de l'horreur, celle de la fiction, et celle de la réalité mise à l'honneur par les islamistes : "Celui qui est couché par terre, les yeux bandé, attendant d'être égorgé, est-il un homme ?  Ses bourreaux sont-ils des hommes ? Et ceux qui regardent ces vidéos avec indifférence ou avec jouissance sont-ils encore des hommes ? " Voilà la question fondamentale que pose la coïncidence du "c'est bien" et de la violence, et en particulier de la violence qui consiste à regarder, à voir,  l'humiliation,  le meurtre, l’exécution d'un autre et éventuellement à en jouir,



Sur notre monde civilisé plane la menace d'une barbarie d'autant plus facile qu'il est civilisé précisément ; il est plus aisé pour une société civilisée de retourner à la barbarie que pour une société barbare de parvenir à la civilisation ; il suffit de suivre une pente. Cette pente est à l'heure actuelle de plus en plus glissante : la mort, sous diverses formes, semble rôder, l'indifférenciation, prélude à toutes violences futures, fait son œuvre. Tout se mélange, tout se brouille, et l'on est incapable de distinguer entre le virtuel et le réel. Les distances s'estompent, l'immédiateté est la chose la plus désirable. Et tout cela, à hue et à dia, non sans invoquer les droits de l'homme, l'égalitarisme, le sans-frontiérisme, l’accueil unilatérale d'autrui, l'anti-racisme, l'amour universel et la philanthropie pour tous. 

Les jeunes d'aujourd'hui qui n'auront connus que cette hubris, doublée d'une indifférence dépressive, pour la plus part ne pourront pas faire face à la violence future. Ils en seront les auteurs et les victimes. Et pourtant tout avait commencé comme un jeu, aux sons de la fête, avec une perpétuelle musique de fond : un étourdissement visant à couvrir la vanité et le vide qui s’étalaient partout. Les coupables auront été les chantres de la civilisation de mort, les fauteurs du maelstrom estampillé "culture" : une bouillie empoisonnée, une soupe putride et noire. Un jour on devra se demander quelles responsabilités porteront la télévision, le cinéma, les jeux vidéos, entre autres, dans la barbarie qui advient. Sous prétexte de liberté d'expression et de droit à l'information, de divertissement, et je ne sais quels autres appels au réel perverti, ces industries gâtent l'âme humaine, et mettent en péril la civilisation.

  

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