samedi 31 mai 2014

Amour, islam et compagnie.

Disons-le d'emblée, nous aurons au moins ainsi la franchise d'afficher le propos : l'islam n'est pas une religion d'amour. Ajoutons tout suite qu'il ne faut pas nécessairement qu'une religion soit une religion d'amour. L'amour, en effet, n'entre pas, essentiellement, dans la définition de ce qu'est ou peut être une religion. C'est un tic chrétien qui nous fait croire que l'amour appartiendrait essentiellement à la religion de telle sorte que, si elle en était dépourvue, elle serait, au pire, une religion de haine ou, au mieux, rien du tout.

Si l'islam n'est pas un religion d'amour, il n'est pas davantage une religion de haine. Je le dis sereinement, mesurément, sans passion aucune. Et, à propos de l'islam, c'est ici aussi le pli chrétien, d'ailleurs assimilé par les musulmans vivant en pays d'ancienne chrétienté, qui fait dire qu'il est une religion de paix et de tolérance. On entend d'ailleurs en arrière fond un "aussi" qui n'est jamais dit explicitement : l'islam est "aussi" une religion de paix, de tolérance et d'amour. Aussi ! C'est donc avec le christianisme que l'islam entre en concurrence sur un terrain, une thématique, un mobile qui est propre au premier. A vrai dire, il n'y a qu'une religion d'amour, c'est le christianisme, et nous allons dire pourquoi. Quand à la paix, elle peut avoir plusieurs définitions, de telle sorte qu'elle puisse être comprises de multiples manières et, qu'en conséquence, on puisse dire que l'islam est une religion de paix, sans préciser d'ailleurs comment il l'obtient et ce qu'il obtient en l'obtenant. Pour la tolérance, on dira tout de suite ce qu'on envisage par cette notion et qu'on l'applique à l'islam. Non pas à l'islam vaguement acclimaté à nos langueurs philanthropiques, elles-mêmes infusées dans un christianisme dévirilisé, mais l'islam de là-bas, celui qui se réclame de la filiation sans corruption du prophète.

L'islam est tolérant. Du moins, un certain islam. Cette tolérance est coranique, autrement dit, elle se fonde sur la révélation faite à Mahomet. Mais cette tolérance, dans son expression  finale, résultat de l'abrogation des versets, est une tolérance coûteuse. L'islam orthodoxe n'est tolérant qu'avec une contrepartie d'impôt et des restrictions d'exercice de culte pour les juifs et les chrétiens, puisqu'on envisage, pour les autres, aucune espèce de tolérance. On dira que le christianisme, lui-aussi, pratiqua, historiquement, une espèce de tolérance - qui est un visage de l'intolérance - très semblable à celle que devrait pratiquer l'islam. Certes, cela est vrai. Mais la grande différence, en ce domaine, entre l'islam et le christianisme - et c'est d'ailleurs, souvent le cas - est que le christianisme ne fonde pas sa pratique historique sur une révélation, mais sur des considérations purement humaines et donc sujettes, comme telles, à caution et à critiques. L'islam, quand à lui, fonde sa pratique sur la révélation, autrement dit sa pratique est fondée non pas théologiquement, mais divinement. Sa pratique est de droit divin, du moins se l'imagine-t-il.
La tolérance suppose une idée nette et claire de la vérité, ou de ce que l'on croit tel, suppose d'avoir des principes clairs dans un premier temps pour, dans un second temps, admettre que puisse coexister avec la vérité, avec la clarté des principes, une manifestation de l'erreur et du flou, voire du doute. La tolérance, c'est donc admettre que la vérité ne puisse pas toujours et partout se manifester dans toute sa splendeur. Et qu'aussi bien ici que là, qu'en celui-ci ou celui-là, mais aussi en moi-même, coexiste avec la claire vérité une zone d'ombre. La tolérance peut aussi être considérée - et c'est d'ailleurs son acception moderne - comme le marché libre de toutes les opinions qui se valent parce qu'elles sont des opinions. Évidemment, dans ce cas de figure, il ne s'agit plus de vérité, ni de clarté, ni de principes distincts, mais d'une mollesse d'adhésion, d'un scepticisme dogmatique, et d'un relativisme fou.  L'islam n'est tolérant d'aucune de ces façons. Dés lors que l'on admet que la révélation vient directement d'en-haut sans réel truchement, on ne peut professer une tolérance relativiste, cela est évident, mais pas davantage une tolérance pragmatique. Si l'islam est tolérant, c'est dans l'attente de ne l'être plus.

Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, la religion mahométane ne s'est pas imposée par la seule force de conviction : le cimeterre et l'épée furent les outils de la propagation fulgurante de la religion nouvelle. On me dira que pour le christianisme ce fut pareil. Certes, il y eut, historiquement, des réalisations comparables. Mais ici encore, le mode de propagation de l'islam est de droit divin tandis que, pour le christianisme, une imposition de la foi par la force est un non-sens fondé sur aucun écrit biblique. Du reste, les apôtres et les premières générations chrétiennes n'ont œuvré à la propagation de la religion du Christ que par la force de la conviction, le témoignage d'une fidélité jusqu'à la mort, s'il le fallait : être tué, plutôt que de tuer. La "pax islamica" n'est rien d'autre  que le silence des armes après que la transcendance divine soit imposée à tous par un bras armé s'il le faut.
"Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. Je ne la donne pas comme le monde la donne" ; cette parole du Christ au soir de sa vie terrestre est, pour le chrétien, le source de toute paix. Elle trouve sa source dans le don absolu du Christ en croix. Aussi la pax christiana est la paix de la croix, la stabilité dans le signe du don absolu, qui recouvre la hauteur, la profondeur, la largueur de ce qui appartient au ciel et à la terre. On ne peut concevoir la paix chrétienne comme un silence des armes.

L'amour, quand à lui, appartient en propre au christianisme. Une certaine forme d'amour du moins ; sa réalisation la plus haute. Le paganisme connaissait l'amour, il connaissait même plusieurs amours : l'éros et la philia. L'islam connaît un certain amour lui-aussi : une version monothéiste de l'éros, très proche d'un patriarcalisme de bédouins (je ne parle pas ici de l'amour chez certains mystiques musulmans, tous hérétiques, du reste ; je ne parle que de l'islam orthodoxe).
Le christianisme originel ne connaît pas l'éros. Il s'en méfie même, pour des raisons claires qu'il seraient fort long de développer ici. Cependant, sous l'influence de la philosophie antique, il s'ouvrira progressivement à la conception "érotique" de l'amour, non sans lui avoir fait subir une critique à la lumière de ce qui, pour le christianisme, est l'amour fondamental, le seul à vrai dire : l'agapè, traduit en latin par caritas et en français par charité. Il va sans dire que cette "charité" n'a rien à voir avec la main tendue que l'on remplit. L'agapé c'est l'amour qui trouve sa source en Dieu et qui s'exprime, non pas sur un mode humain mais sur un mode proprement divin. Cet amour trouve sa source en Dieu parce qu'il est Dieu. L'agapé est ainsi l'essence même de Dieu, de telle sorte que pour Dieu, être et aimer est une seule et même chose. Dieu ne saurait pas être autre chose qu'Amour d'agapé, que charité. Et c'est cet amour-là qui est tout puissant, omniscient, éternel, créateur, miséricordieux, et juge. Être semblable à Dieu est devenir soi-même charité, c'est passer par-delà l'éros, par delà la philia ( mais avec l'un et l'autre) pour n'être plus qu'agapè. Mieux, c'est conduire l'éros et la philia, puisque nous sommes humains, jusqu'à l'agapé, point d'ébullition de la grâce chrétienne. La charité est une vertu théologale (avec la foi et l'espérance), c'est même la plus grande, parce qu'elle vise l'être même de Dieu. Un chrétien qui ne serait pas "agapéïque" ne serait tout simplement pas chrétien. Rien de tel en islam ! L'amour islamique n'a strictement rien à voir avec Dieu, puisque, pour l'islam, Dieu n'aime pas, son être n'entretient aucun rapport de près ou de loin avec l'amour aussi les mots de saint Jean  " Bien-aimés, aimons nous les uns les autres; car l'amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour. L'amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui" sont une aberration métaphysique et un blasphème théologique.


L'islamisme - j'entends par là, non pas une pratique excessive de l'islam, mais la promotion de l'islam sur une base de méconnaissance et de l'islam et du christianisme - n'est un danger, n'a de force, que par la diminution de la conscience chrétienne. C'est la foi qui a diminué quantitativement et qualitativement, mais c'est aussi la culture chrétienne, la culture qui fut la nôtre informée par le christianisme, sa philosophie, sa morale, son esthétique théologique, sa théologie, qui disparaissant entraîne, conséquemment, l'islam à se répandre sans rencontrer de résistance. L'islam est une religion de force, une révélation forte et acritique, qui évidemment s'impose à la mollesse, à la perte d'âme, au manque de souffle - spiritus en latin, esprit en français - d'une culture que le christianisme a désaffecté, tout d'abord, et à la foi qui n'existe plus que de manière résiduelle, ensuite.
Je me disais l'autre jour en observant des gens à la terrasse d'un café : combien parmi eux s'inquiètent du salut de leur âme ( l’interrogation est formulé en termes traditionnel, je pourrais la formuler autrement, mais soit ) Combien même se posent la question d'un salut ? Combien sentent le besoin d'être sauvé, d'autre choses que des rides, d'une libido en berne, d'un iphone qui ne fonctionne plus, d'une maison qu'il faut entretenir... ? Combien ? Et pourtant, il n'y a pas si longtemps, cette question du salut, était capitale. Aujourd'hui lorsqu'il m'arrive de parler de cela avec l'un ou l'autre, athée ou agnostique, je sens très bien que la notion de salut, elle-même, n'est plus comprise. Une civilisation qui n'a plus besoin du salut est une civilisation qui déjà est morte.


lundi 7 avril 2014

Considérations sur les sexes dans les genèses bibliques.

Le dernier article publié ici annonçait une troisième partie. La voilà donc. Elle entretient avec les deux autres parties, publiées dans l'article précédent, un rapport complexe. Si j'avais, volontairement, mis de côté la théologie dans ce qui précédait, nous la retrouvons ici en plein.
Il ne sera, à proprement parler, aucunement question du genre, en tout cas pas au sens où les recherches sur cette question comprennent la notion. Il sera, en revanche, question, tout du long, de différence sexuelle, si on veut rester classique ou, pour reprendre une formule, quelque peu alambiquée, utilisée ailleurs par un autre auteur, d'excédent sexuel.
"L'excédent sexuel" englobe l'idée de différence sexuelle mais la dépasse de beaucoup. Un lecteur, attentif, de la Bible, et de ses nombreux commentaires, et l'observateur de la mystique la plus authentiquement chrétienne ne sauraient limiter la question sexuelle, dans ces deux domaines, à l'unique différence des sexes. Il y a autre chose. Et cette autre chose dépasse de partout cette différence. Dire que ce quelque chose, serait en trop - c'est ce que donne à penser l'idée "d'excédent" - peut être interpréter de plusieurs façons. Il y a, en effet, plusieurs modes d'être "en trop". Cela peut être sous le mode de l'excessif ou sous le mode du bénéfice. Je ne trancherai pas le débat ici, il me suffisait d'attirer l'attention sur le fait qu'une lecture du livre de la Genèse, puisque c'est de cela qu'il va s'agir, ne peut se résoudre dans une lecture simpliste ou naturaliste de la différence sexuelle.

Deux récits de la création

Une certaine culture exégétique a réussi à pénétrer la culture commune. Il n'est pas rare aujourd'hui de rencontrer des gens qui, sans être versés, dans l'exégèse biblique savent qu'il existe deux récits de la création : celui du chapitre premier de la Genèse et celui de son deuxième chapitre. On sait aussi que les deux récits n'émanent pas des mêmes milieux littéraires, que le premier est d'une teneur plus "poétique" tandis que le second tient plus du style littéraire propre aux contes. De même, on sait que le premier récit s'appelle le récit Elohiste, car Dieu y est appelé "Elohim" (il s'agit d'un pluriel en hébreu), tandis que le second récit est dit "Yavhiste" puisque la divinité y est signifiée par le tétragramme YHWH, que les juifs ne prononcent pas et qu'ils remplacent, à la lecture ou à la récitation, par Adonaï, autrement dit le Seigneur (une vocalisation avec les voyelles de Adonaï, de YHWH, est censé donner YaHWé ou anciennement YeHoVa).
La première lecture des récits de la création, lecture inattentive, peut être synchronique : on lit un récit général, offrant, somme toute, peu de détails, et notamment sur la création de l'humanité, et ensuite, dans la foulée, on lit la suite qui, croit-on,  complète ou développe de manière plus circonstanciée la création du premier couple et sa chute.
Une seconde lecture, plus avertie, sera donc diachronique : on marquera les différences de styles, les différences d'intentions, les différences de positions voire les oppositions qu'offrent les deux récits, qui paraîtront, peut-être, artificiellement accordés, comme posés là par un collecteur de récits primitifs ayant eu du mal à choisir.
Une troisième lecture (obligatoire pour le fidèle croyant) exige de revenir à la synchronie. L'étape critique de la seconde lecture aura permis, en effet, de laisser de côté, une bonne fois, la lecture naïve et, après tout, très limitée. Cette troisième lecture se fait dans l'esprit même de la lettre. Pour le croyant, la Bible est une révélation, elle ne l'est pas au sens coranique : si le Coran est révélé entièrement et directement (presque du destinateur au destinataire), selon la théologie musulmane, la Bible est inspirée. La révélation juive et chrétienne est de l'ordre de l'inspiration. Les récits de la création ne sont pas des articulations verbales immédiates de la part de Dieu, mais des écrits composés sous l'inspiration divine, du moins c'est ainsi qu'ils sont reçus dans  le christianisme et dans le judaïsme. La "médiateté" de la rédaction est essentielle et suppose qu'elle soit aussi présente à la lecture. La Bible doit donc être lue dans le même Esprit qui présida à sa composition médiatisée. Les deux récits alors ne peuvent s'opposer - Dieu n'est pas schizophrène - et l'un répond, forcément, logiquement - mais de la logique divine - à l'autre. Le collecteur de récits, celui qui n'aurait pas su choisir, à plus que bien fait en ne choisissant pas, il a été inspiré ; et sans doute que l'inspiration d'en-haut rencontra chez lui celle d'en-bas, sans doute que l'Esprit à son esprit s'est joint pour offrir à la suite des siècles ce diptyque. Que dis-je diptyque ? Cette vision unique à deux voix : un œil deux oreilles.

Le premier récit, au terme d'une description rythmée de la création des cieux et de la terre, des végétaux et des animaux, annonce la création de l'homme. Voici la traduction qu'en donne la Bible de Jérusalem, je la ferai suivre de celle qu'en donne André Chouraqui. Cette dernière traduction a le mérite de tenter de coller au texte hébreu, ce qui donne, souvent, des résultats étranges. Cependant, elle est précieuse, parce que pour qui ne lit pas l’hébreu, elle permet d'entendre plus clairement la lettre originelle.

Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.
Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.
Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre.

Elohîms dit: « Nous ferons Adâm ­ le Glébeux ­à notre réplique, selon notre ressemblance.
Ils assujettiront le poisson de la mer, le volatile des ciels, la bête, toute la terre, tout reptile qui rampe sur la terre. » Elohîms crée le glébeux à sa réplique, à la réplique d’Elohîms, il le crée, mâle et femelle, il les crée. Elohîms les bénit. Elohîms leur dit: « Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la. Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels, tout vivant qui rampe sur la terre. »
Il est tout d'abord à remarquer que dans le texte hébreu, nous ne trouvons pas littéralement la formule "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa." Mais plus exactement, Dieu - Elohims crée ADAM, de adamah, la terre- qui n'est pas ici un prénom, mais une désignation de l'humain eu égard à son origine "terreuse" - et il le crée "mâle" et "femelle". On notera aussi que le texte originel, plus que les traductions en français littéraire, joue avec le pluriel et le singulier : "Dieu crée LE glébeux à son image (réplique), il LE crée, mâle et femelle, il LES crée". Le texte de la Jérusalem met moins en évidence ce passage du singulier au pluriel. Ce que l'on peut en dire, à ce stade, c'est que le duel mâle-femelle est issu du singulier ADAM, les différents (mâle/femelle) sont tous les deux terriens, sont tous les deux l'ADAM fait en image de Dieu. Le "Nous" divin crée le couple adamique non pas, comme pour les animaux, selon leur espèce, mais en son image. On n'utilise pas, à ce stade du récit, les mots d'homme et de femme, bien que la Bible de Jérusalem, et d'autres, le fassent, mais ceux de "mâle" et "femelle". J'imagine que pour les bibles qui choisissent de traduire, malgré tout, "homme et femme il les créa", cette distinction sémantique est sans importance. Personnellement, je ne le crois pas, et tout d'abord parce que la lettre portant l'esprit, la lettre en l'occurrence ne dit pas "homme et femme". Cet argument devrait suffire. (Je laisse de côté ici "à notre image comme à notre ressemblance" qui nous conduirait beaucoup trop loin. Ce "image, ressemblance" est à l'origine de commentaires patristiques d'une profondeur considérable et d'une portée théologique très féconde.)

Que dit maintenant le second récit de la création de l'homme ? On y voit d'abord, dans un jardin, un individu seul et pour lequel, Dieu, modèle, une aide assortie. Mais l'individu solitaire ne trouve, dans tout ce qu'il voit modelé, rien qui ne lui soit assorti :

Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria : Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l'homme, celle-ci ! C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre.
IHVH-Adonaï Elohîms fait tomber une torpeur sur le glébeux. Il sommeille. Il prend une de ses côtes, et ferme la chair dessous. IHVH-Adonaï Elohîms bâtit la côte, qu’il avait prise du glébeux, en femme. Il la fait venir vers le glébeux. Le glébeux dit: « Celle-ci, cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma chair, à celle-ci il sera crié femme ­ Isha ­:oui, de l’homme ­ Ish ­ celle-ci est prise. »  Sur quoi l’homme abandonne son père et sa mère:
il colle à sa femme et ils sont une seule chair. Les deux sont nus, le glébeux et sa femme: ils n’en blêmissent pas.
 Du point de vue du vocabulaire, on constate que "homme" (ish) et femme (isha) (il semblerait d'ailleurs que ish et isha ne soit pas de la même étymologie en hébreu, peu importe ici) font leur apparition pour la première fois ici seulement. Dans le passage cité, la première occurrence, dans la bible de Jérusalem, que nous rencontrons de "homme", traduit, de nouveau, le terme ADAM. La traduction par "homme" est, si pas fautive, du moins abusive, et gomme une difficulté du texte. Il est à noter que le mot "femme" (isha) apparaît avant celui de "homme" (ish). La femme tirée de l'Adam, ne l'est pas de la terre. Elle est façonnée à partir non pas de la terre, de la glèbe, mais du "glébeux", de ce quelque chose qui n'est pas strictement un "homme" (ish), mais de l'humain.  Une fois la femme faite, et l'Adam réveillé, Dieu la lui présente et l'Adam s'écrie "os de mes os, chair de ma chair, celle-ci sera appelée ISHA : car de l'ISH est elle prise." Voici, l'apparition lexicale de "ISH, autrement dit  "homme" dans son apposition à "femme". Le texte se termine par "C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme (littéralement "colle" et ils deviennent une seule chair (littéralement, ils sont une seule chair)." Le texte donc insiste on ne peut mieux sur l'unité profonde de ISH et ISHA : ils surgissent, quoique de manière différente, tous deux de l'ADAM solitaire, elle en était façonné à partir de lui, à partir de son côté, dans son sommeil, et lui il advient comme ISH lorsque ISHA lui est présentée, puisque avant il n'y avait qu'un individu solitaire sans différence sexuelle.

Je ne sais pas si j'arrive ici à donner à voir toute la complexité d'un texte, d'un récit que nous croyons connaître. Un récit qui la plus part du temps passe sous le rouleau compresseur de sa version mythologique ou mythique. Le texte original est plus complexe. Par exemple, si l'on note la présence de ADAM, on voit aussi que ce terme ne désigne pas un nom personnel, cela ne sera le cas qu'au quatrième chapitre de la Genèse. Pareillement pour Eve qui ne sera un nom personnel qu'après la chute, comme nous le verrons plus loin.
La première parole articulée de l'homme en tant qu'homme-ish est lorsqu'il voit la femme-isha. Certes, il y eu la nomenclature des animaux, mais ces paroles-là ne sont pas rapportées pas la bible. La première parole rapportée par la Bible, celle que l' Adam articule pour la première fois, est ce "os de mes os, chair de la chair". Il y a là quelque chose de tout à fait inouï, l'humain n'advient comme être parlant qu'au moment même où advient aussi la distinction sexuelle nette, où elle est constatée  : "il sera crié vers elle ISHA, car de ISH elle est prise ". Malgré tout, le fameux ish s'exprime ici à l'impersonnel  et de manière passive, nous ne sommes pas encore vraiment dans une relation intersubjective. Cela ne sera le cas qu'après la chute. L'homme, avant l'épreuve en Eden, connaît, mais il ne se connait pas connaissant. Il dit, mais il ne connaît pas que c'est lui qui dit.

Dans le premier récit, il semble que ne soit annoncée que la possibilité d'un être. Ce n'est pas exactement la même chose d'être "mâle" ou d'être "homme",  par tout à fait la même chose d'être femelle et d'être "femme", en tout cas pas pour nos oreilles. Ce n'est pas non plus radicalement différent, le "mâle" attend l'homme et le "femelle" attend la femme, pourrait-on dire. Le second récit met en place une communauté de substance ou, pour reprendre un terme christologique, une consubstantialité, la séparation des corps et la distinction des sexes, mais il le fait dans une espèce de connaissance impersonnelle. L'unité de la substance, la séparation des corps et la différence sexuelle se fait donc en relation à Dieu, autrement dit à un terme transcendant, à un tiers résident hors de l'humain. Cette relation est dite en termes de création et d'image.

Il est temps maintenant de se pencher sur l'épreuve édénique et la chute originelle.



La chute ou l'épreuve en Éden.

La narration de ce que la tradition a appelé "la chute" appartient exclusivement au second récit de la création du couple humain. Cela signifie qu'elle est à lire, d'abord, dans ce contexte-là.

   IHVH-Adonaï Elohîms ordonne au glébeux pour dire:
« De tout arbre du jardin, tu mangeras, tu mangeras,

mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas,
oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras. »
Cet interdit, on ne le remarque pas assez, est adressé, de toute évidence, à l'Adam seul, puisque il intervient, non seulement, avant même la création de la femme, mais aussi de celle des animaux. Pour être complet, nous devons comparer avec le premier récit où Dieu dit ceci : Voici, je vous ai donné toute l’herbe semant semence, sur les faces de toute la terre, et tout l’arbre avec en lui fruit d’arbre, semant semence: pour vous il sera à manger. Pour tout vivant de la terre, pour tout volatile des ciels, pour tout reptile sur la terre, avec en lui être vivant, toute verdure d’herbe sera à manger C'est donc le "vous" qui est utilisé ici "vous mangerez", un "vous" assez indifférencié, puisqu'il s'adresse aussi bien à l'humain, mâle/ femelle, qu'aux animaux. Le second récit est plus circonstancié.   L'interdit " tu ne mangeras pas" est posé à l'issue d'une geste créatrice où l'Adam, sans la différenciation sexuelle, est le seul à exister vivant devant Dieu. Le second récit donc pose l'interdit majeur, le pose en termes explicites de manducation - autrement dit d'assimilation - dans le déploiement créateur lui-même. Il est très curieux que cela passe, bien souvent, inaperçu.

  Les deux sont nus, le glébeux et sa femme: ils n’en blêmissent pas.
Le serpent était nu,
plus que tout vivant du champ qu’avait fait IHVH-Adonaï Elohîms.
Il dit à la femme: « Ainsi Elohîms l’a dit:
‹ Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ›... »


Le récit poursuit donc. Il y a trois entités nues  en Éden  l'homme, la femme et un tiers, un serpent ; des trois et de l'ensemble des vivants, c'est même lui le plus nu. Le texte donc signale la nudité sans "blêmissement" de l'Homme et de la Femme, et celle, superlative, du serpent. Et voici que le serpent supernu, se met à parler. Deux animaux dans toute la Bible parlent, ce serpent originel et l'ânesse de Bâlaam. Cette parole du serpent est intéressante à plus d'un titre. Elle est une des première parole articulée par un être vivant - je ne m'attarde pas sur la nature exacte du serpent - c'est même la deuxième, puisque la première est celle de l'Homme lorsqu'il voit la Femme ( je ne parle pas ici des dits de Dieu, qui eux sont absolument premiers, mais de paroles articulées par des vivants autrement dit par des entités autres que Dieu). Cette parole serpentine, et elle l'est de plusieurs manières, est donc une des premières paroles ; elle amorce un dialogue avec la Femme. "Vous ne mangez pas de tout arbre du jardin " dit le serpent prétendant que c'est là la parole divine. Or celle-ci n'est pas celle-là. Dieu avait dit "De tout arbre du jardin tu mangeras". L'interdit divin était tout pour manger sauf un. Le serpent prend les choses par l'autre bout : pas un, donc pas tout. Il s'adresse à la Femme qui n'a pas entendu l'interdit, qui ne le sait que parce qu'on le lui a dit, que parce que l'Homme le lui a dit. On connaît la suite, la Femme tente de rajuster la parole, le serpent serpente et la Femme passe outre l'interdit, l'Homme fait de même et leurs yeux s'ouvrent sur leur nudité originelle. Aussi la narration, commence avec la nudité et fini par la nudité, mais entre les deux on est passé d'une nudité sans blêmissement à une nudité blêmissante et ce par le truchement d'un animal supernu. Entre l'Homme et la Femme est venu s'interposer le serpent nu et parlant. Comme eux il était nu mais, à leur différence, il était plus que nu.Comme eux, il parlait mais sa parole n'était pas celle du constat ("os de mes os, chair de ma chair") mais remise en cause d'une parole rapportée ("ainsi donc Dieu a dit").
Quelle est donc cette nudité qui conduit le récit de la chute ?


[Après la chute

Après la chute : Je/ Tu fixation dans la différence sexuelle et nomination propagation de la l'espèce. Incomplet ]

Comparaison avec l'annonce faite à Marie 
Il peut sembler incongru d'en venir à l'annonce faite à Marie. Pourtant ce rapport est suggéré par la tradition patristique elle-même : ne dit-on pas de Marie qu'elle est la nouvelle Eve ?
La scène de l'annonciation, rapportée par Luc, est le dialogue entre une femme et un tiers. Exactement, comme le récit du serpent dans la Genèse. Les similitudes ne s'arrêtent pas là. L'évangile rapporte donc, qu'un ange fut envoyé à une vierge et qu'il la salua en ces termes "Réjouis-toi, comblée de grâce le Seigneur est avec toi." Certes un ange n'est pas un serpent, cependant, un ange comme un serpent sont des messagers, au sens où ils portent l'un et l'autre un message et un message adressé à une vierge, puisque la femme, dans la Genèse, est vierge elle aussi. La différence, à ce stade, c'est que le serpent tout d'abord, ne salue pas, ensuite, le message qu'il porte n'est que le sien, comme la suite du récit le montre. Le messager de Luc, Gabriel, puisqu'il est nommé, salue et porte un message qui ne vient pas de lui.
A entendre la salutation, la vierge Marie se trouble, elle se demande même ce que signifie cette salutation. Le trouble de la Vierge a suscité pas mal de commentaires, je me contente ici de signaler que la femme de la Genèse ne semble nullement troubler de voir un serpent parler, ni de l'entendre dire, en préliminaire à leur dialogue, un mensonge.
Gabriel dévoile à Marie sa maternité future : tu concevras, tu enfanteras, ton fils sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut, il recevra le trône de David et il règnera pour les siècles ! Il y a de quoi perdre la tête ! Supposons un instant - frôlons le blasphème - que l'ange fut recouvert d'écailles, qu'il fut aussi nu que le serpent originel et ses paroles soudain deviennent aussi paranoïaques que "mais non vous ne mourrez pas, vous serez comme des dieux connaissant le Bien et le Mal". Le messager angélique (en réalité c'est un pléonasme que le français lisse) annonce ici un programme grandiose, d'une certaine manière, on pourrait dire, que quelque chose de l'épreuve originelle a dû passer par le cœur de cette vierge nouvelle.
Cependant, elle, dans sa simplicité, rétorque : "comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ?"
En effet, l'ange dans son programme ne parlait pas d'un homme (tu concevras et tu enfanteras) Marie, elle, en parle : si je dois concevoir, si je dois enfanter c'est forcément avec un homme, et non pas, comme Eve qui conçoit un fils (Caïn) avec Dieu, or je ne connais pas d'homme, autrement dit, je n'ai pas eu de rapport sexuel avec un homme. Il est remarquable que dès l'origine Marie semble refuser que l'enfant soit exclusivement son enfant, celui qu'elle aurait eu avec Dieu. Le cœur de Marie n'est pas celui d'une Mère toute-puissante en sa maternité, d'une mère qui aurait eu son enfant avec un tiers absolu. Elle n'est pas, elle ne se pense pas en Mère-Célibataire, et donc pas en Mère-Phallus. Elle demande un père pour l'enfant. C'est tout simplement remarquable : elle entend monts et merveilles et son premier mouvement est de dire mais où est le père de l'enfant ?



On peut voir là, une matière d'épreuve originelle ou en tout cas quelque chose, une scène, qui nous renvoie à la scène de l'épreuve originelle.
L'Ange annonce enfin l'obrombation de la Vierge par l'Esprit Saint. C'est de l'ombre de l'Esprit que la Vierge est recouverte dans une espèce de nuit similaire à celle qui tomba sur Adam lorsque fut tirée de son côté la femme. Ici aussi - et dans l'annonce à Joseph, car il y a une annonce à Joseph, la similitude est encore plus forte, puisque cette annonce a lieu dans le sommeil - la créature qui vient, l'enfant qui sera Emmanuel est conçu non pas en pleine lumière, en pleine conscience, mais à l'ombre de l'Esprit. Aussi Jésus, dont la personne est incréée, ne peut être qu'engendré par l'Esprit et en l'Esprit.

Les genèses que nous avons parcourues nous montrent que dans la perspective biblique, il n'y a pas de lutte entre le masculin et le féminin, que l'un et l'autre sont également de création que l'un et l'autre sont appelés à devenir à s'incarner en homme ou en femme dans un troisième terme : l'esprit, ou l'Esprit avec une majuscule. Cette lecture nous montre aussi que ce devenir homme ou femme est, dès le principe, heurté à la difficulté majeure d'envisager l'autre dans sa nudité native. La différence sexuelle est donc marquée par une carence originelle. Vouloir gommer la différence sexuelle ou vouloir la rendre rigide c'est aller contre l'Esprit. Vouloir la confusion des sexes ou leur guerre n'est pas selon la création divine. Enfin, le personnage de Marie mère du Nouvel Adam, révèle combien pour être "recouverte" par l'Esprit il faut être une vraie femme. (Joseph montre la même chose du côté du masculin.)


mardi 11 février 2014

Le mobile d'une rumeur. La dynamique fondamentale de l'hypothèse du genre et de ses implications diverses.

Ce texte comportera trois parties et un préambule. Dans celui-ci, il sera précisé certaines notions de vocabulaire. Dans la première partie, on décrira, de la manière la plus simple possible, ce qu'est le modèle du genre. Dans une deuxième partie, on lira un texte issu d'un auteur pro-genre et même si l'on ne sait rien de l'auteur, le texte illustre ce que peut être le discours du genre pour le commun des gens. Enfin, dans une troisième partie, mise en ligne plus tard, on fera une lecture de la différence sexuelle inspirée des deux premiers chapitres de la Genèse.


Préambule

Puisque, étant catholique, d'aucuns pourraient suspecter que l'emploi du vocable "théorie", déterminé par cet autre substantif "genre" (on utilisera indifféremment dans la suite "genre" ou son équivalent anglais "gender". Il est à noter que "genre" et "gender", ne sont cependant pas sémantiquement d'exacts équivalents, et qu'ils flairent un peu les faux-amis. Si l'utilisation qui en sera faite, passe par-dessus ce constat, c'est qu'elle s'en tient uniquement à ces termes comme notions descriptives, et leur donne exactement la même extension) est de l'ordre de l'idéologie ou, pire, du mensonge pur et simple, les lignes qui suivront ne comporteront jamais le mot "théorie". En conséquence, cette "théorie" n'existera pas dans cet article.
Tout le monde s'accorde, en revanche, à dire qu'il existe des "études" et /ou des "recherches" sur le genre. A ce pauvre vocabulaire, sans cesse ressassé,  pour décrire une chose censée avoir autant d'importance pour la construction de toute société future, j'ajouterai les notions de paradigme, modèle, et mobile. Toutes ces notions ne sont, même accolées de "du genre", frappées d'aucun interdits, d'une part,  et elles ne sont pas attribuées en propre, pour le moment, aux catholiques, d'autre part.

Penser, c'est parler et parler, on l'espère, c'est penser. Pour parler, il faut des mots. Pour penser, il faut des notions. Les mots doivent être compris par tous et soumis à des règles d'usage comprises et acceptées par tous, sinon chacun parle dans son coin la langue qu'il veut mais ne communique avec personne. Il en va de même quand on essaie de penser un peu : il y a des notions à définir et des règles de logiques à mettre en œuvre. Le débat - y en a-t-il seulement un ?- sur le genre agite pas mal de notions : sexe, genre, identité, différence sexuelle, nature, biologique, culture, stéréotypes, voilà pour le fond, et pour la forme : "théorie", paradigme, modèle, mobile. 

Il serait fastidieux de procéder ici à une redéfinition des différentes notions. La philosophie l'a déjà fait de nombreuses fois. Aussi, il serait naïf de tenir la nature pour je ne sais quel ensemble vert, parsemé de fleurs, traversé par une rivière, dans lequel les animaux paîtraient tranquilles et où l'homme danserait nu la danse de l'harmonie retrouvée. La "nature", ce n'est pas cela. De même, il serait naïf de penser que la culture serait je ne sais quel catalogue, plus ou moins beau et intellectuel, des œuvres de l'esprit, ou une espèce de bibliothèque sur les rayonnages de laquelle s’étalerait la masse des savoirs et des artefacts produits par l'homme quand il ne danse plus nu dans son champ naturel.
Semblablement, il serait naïf, et surtout dans la question qui nous occupe, de prendre "sexe" et "genre" pour ce qu'ils peuvent être en français, des synonymes. Dans cette question, "genre" n'est pas un synonyme de "sexe". Sexe est toujours, le génital, le biologique, on dira ainsi le "sexe biologique", ce qui est un peu pléonastique. Le "genre" sera, lui, la manière dont je vis, de moi à moi et socialement, non seulement ce sexe biologique - il se peut qu'il entre en correspondance avec cette  vie "psychique" et sociale - mais aussi, s'il ne correspond pas, ce que je vis en opposition. On peut dire, plus simplement, que le "gender" est, grosso modo, le comment je suis vécu, par les autres et par "moi", en tant qu'être sexué et sexuel, c'est-à-dire en tant que je défini mon sexe, indépendamment de mes organes génitaux (vécu sexué) et de mes pratiques sexuelles (vécu sexuel).  Le "gender", donc, sans être le sexe biologique peut d'aventure le "recouvrir", peut rencontrer la matérialité des organes génitaux, tels qu'ils se présentent ou ne le fera pas. Si le "genre" et le "sexe" ne sont plus des synonymes,  s'ils ne se supposent pas mutuellement, il est fort à parier, voire à craindre, qu'ils ne deviennent des antonymes et qu'ils s'opposent, finalement.

Un mot sur "paradigme", "modèle" et "mobile" pour que l'on sache, tout de même, de quoi on parle. Ayant exclu "théorie", qui apparaît comme trop idéologique à certains esprits craintifs, soudain,  il faut proposer d'autres vocables plus "ouverts". "Paradigme" peut être l'un deux. C'est LE mot qu'il faut absolument employé si l'on veut paraître intelligent et montrer que l'on n'appartient à aucune secte, mais que l'on est un peu sociologue. Un paradigme, c'est la "conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explications envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée.", voilà pour la définition du CNRTL. Le discours du gender est bien un paradigme, c'est indiscutable.
La notion de modèle recouvre à peu de chose près celle de paradigme, avec une nuance hypothétique en plus : "construction abstraite et hypothétique capable de rendre compte d'un ensemble donné de faits et d'en prévoir de nouveaux." Le discours sur le genre prétend à cela. Il est donc un modèle d'interprétation de faits, de faits sociologiques, anthropologiques, historiques, religieux, artistiques. Dans la mesure où ce modèle est critique, il devient, à son tour, paradigmatique et sa dont la fonction sera de dénoncer ce qui, dans d'autres modèles culturels, sont  des schèmes de référence ou de conduite, basés sur la culture admise, établie dans une société et  acquise, quasi spontanément, par chacun des membres qui y vivent.
Pour ce qui est du "mobile", cette notion intéressante est utilisée par un théologien luthérien, Anders Nygren, qui la met en place dans son remarquable ouvrage "Erôs et Agapè". "On ne peut pas définir le sens véritable d'une idée, d'une pensée ou d'un sentiment, si on les extrait de leur cadre naturel. En d'autres termes, il faut arriver à saisir, ce qui constitue la conception fondamentale, le ressort qui lui donne son caractère et qui fait que ( dans un système) tout reçoit une tonalité et une signification particulière. Nous appelons "étude des mobiles" l'étude qui aboutit à cette analyse de structure." Le "mobile fondamental" est l'élément qui assure la cohésion de l'ensemble d'un paradigme, de l'ensemble d'un modèle paradigmatique. Ce mobile n'est pas forcément une idée clairement formulée, il peut être un sentiment : "le mobile fondamental est ce qui fait d'une production un tout bien défini, détermine sa structure et lui donne son caractère original." Ainsi donc, le "mobile fondamental", est ce qui dans une conception théorique, permet sa cohésion, son maintien dans l'ordre du discours, c'est l'élément, ou l'ensemble d'éléments, qui se présentent comme la solution aux problèmes catégoriques généraux présentés par la conception dans son principe. Le "mobile fondamental" devient, pour ainsi dire, la source dynamique de la cohérence interne d'un discours donné que celui-ci soit ou non vrai absolument parlant. (On peut, en effet, avoir un discours avec une cohérence interne mais faux absolument puisque entièrement construit sur des prémisses fausses : pétitions de principes, sophismes en tout genre.)
"Paradigme", "modèle" et "mobile" sont donc des termes voisins mais tout de même assez distincts pour que l'on puisse les garder et en user sans qu'ils nous attirent les foudres de qui que ce soit. 

Enfin, et afin d'éviter d'y revenir continuellement, limite uniquement,, comme semble le faire, de bonne ou de mauvaise foi, Najat Vallaud-Belkacem ou Michèlle Cotta, dans son récent "coup de gueule" dans le Point, la question du "genre" à la rengaine de l'éternelle égalité homme-femme ou femme-homme, comme il semble qu'il faille désormais le dire, est soit de l'ignorance coupable, soit de l'idéologie, tout aussi coupable. La question du genre déborde de partout la gentille égalité combative entre les sexes. Elle la déborde en redéfinissant cette "égalité", celle-ci devenant, tant que faire ce peut, une stricte équivalence, passant par-dessus le biologique, sautant par-dessus le naturel. Elle la déborde en supprimant la cause supposée de l'inégalité à savoir la différence sexuelle elle-même, comme il semble que cela soit le cas à la lecture de certains textes. La suppression est non seulement symbolique mais encore aussi réelle. Garder la question du genre uniquement à cet échelon de l'égalité sexuelle sociale, de la parité sociale des sexes, est un mensonge et ne rend pas compte de toute l'ampleur du paradigme du genre. Si, de fait, la problématique du genre, touche aussi à cette question, elle n'y reste pas, elle l'emporte bien au-delà. La problématique du genre n'est pas un autre visage du féminisme, mais un autre visage de l'humanisme ; c'est un torrent anthropologique qui emporte tout sur son passage. La problématique du genre conduit à redéfinir l'humain, autrement dit l'espèce, et son rapport au monde. Si l'on devient hégélien, soudain, on dira que le paradigme du genre touche à la fois à la Nature, à l'Homme et à l'Esprit absolu. Autrement dit le paradigme du genre, et notamment dans sa version, queer est une logique qui se déploie dans sa relation à la Nature (écologisme, historicisme,etc.) dans sa relation à l'Homme ( psychologisme) et à l'Esprit absolu (spiritualisme, philosophisme, etc.)

Ce préambule peut s'achever par la déclaration d'intention que voici. Il n'est nullement question ici de faire profession de foi catholique, parce que les choses dont on parle, ne relèvent pas, comme telles, de la foi catholique, pas plus que de la religion. Il s'agira de procéder raisonnablement et le plus objectivement, c'est-à-dire, par une description de l'objet, en tant qu'il est objet, en évitant les projections subjectives. On ne fera donc appel à aucune métaphysique chrétienne, à aucune philosophie "informée" par la foi, excepté dans une troisième partie où l'on déclinera le propos selon cette thématique. Sinon, pour ce qui précédera, il n'est aucunement besoin d'invoquer ici Dieu, le diable ou je ne sais qui : mêler la religion à ce débat d'ordre philosophique est dommageable pour le débat lui-même et pour la religion. Dieu n'est pas un bouche-trou ni un talisman contre les peurs que le "gender" peut occasionner. 

I ère partie : Description d'un mobile. 

Quelle est la raison fondatrice, le mobile donc, qui coordonne le modèle du gender ? Il peut être formulé comme suit : le sexe naturel, synonyme pour le gender, de biologique, n'est pas un facteur déterminant de l'identité sexuée, il n'en est, dans certains cas, qu'une composante parmi d'autres, une composante égale donc que l'on ne saurait majorer sans créer un déterminisme répercuté, ensuite, dans la culture. Je disais que le sexe biologique ou, pour le dire autrement, la génitalité matérielle ou encore, pour que cela soit parfaitement clair, ce que l'on constate, de fait, du sexe génital d'un individu ( il faut user de périphrase pléonastiques tant l'on est contrait à des contorsions intellectuelles ) ne détermine en rien ce que l'individu dira ou ce que l'on dira de sa situation sexuée ou sexuelle. Tout donc, dans le paradigme du gender, est construction culturelle. Certains construisent culturellement à partir du constat naturel du sexe, et d'autres - les adeptes d'une application pratiques des études sur le genre - construisent sans ce constat naturel du sexe.  La chose constatée, le sexe est donc, dans le modèle gender, radicalement coupée de la chose vécue (le genre ou gender). Mon genre n'a que peu de rapport avec mon sexe : voilà le mobile et la critique fondamentale qu'adresse le gender est la suivante : on ne peut pas faire du sexe le fondement du genre. Autrement dit, et  c'est radical, le sexe biologique, le donné et le reçu naturels, le constat organique (toutes choses pas forcément synonymes d'ailleurs) ne fondent rien, culturellement parlant.

Ainsi s'élabore, dans le discours du gender, deux schémas, l'un classique et l'autre critique. Le classique est celui-ci par exemple : "je suis un homme - j'ai des attributs masculins - je me vis comme un homme - comme un individu ayant des attributs masculins - et je suis attiré par les femmes, c'est-à-dire par les individus qui ont des attributs féminins et qui se vivent comme des femmes." Ce schéma classique est doublé par sa version au féminin :  "je suis une femme, etc. " Pour ce schéma, tout ce qui n'entre pas dans son élaboration est de l'ordre de l'exception ou de l'anomalie. "Je suis un homme - je me vis comme une femme etc." ou "je suis une femme (je me vis comme une femme donc) et je suis attiré par les femmes",  sont des exceptions. Ces exceptions qui se manifestent  dans un contexte régi par les schémas normants. Le "régi" est compris par le gender comme une oppression - et on ne peut nier complètement que, de fait, historiquement, oppression il y eut parfois, sans toutefois, que cela soit lié conaturellement aux schémas eux-mêmes ou à la définition d'une norme- d'un modèle essentiellement patriarcal, machiste, d'homme adulte, hétérosexuel ( et blanc ou, du moins, occidental). 
La critique qu'adresse le genre est radicale : les notions de normes, de normatif, de normer, d'exceptions et d'anomalies sont exclues du système de pensée. Les schémas conséquents sont d'un autre ordre. La première caractéristique de cet ordre neuf est sa complexité. Du fait que le régime de l'exception soit impensable, il ne reste plus qu'un catalogue de possibilités, toutes ayant la même valeur existentielle. Aussi un schéma, dans le modèle du genre, a sa valeur fondamentale du fait même qu'il existe. Les propositions suivantes : "je suis un homme qui se vit comme une femme attirée par les hommes" ou "je suis une femme qui se vit comme une femme attirée par les femmes qui se vivent comme des hommes attirés par des femmes" ou "je suis un homme qui ne se vit ni comme homme, ni comme femme mais attiré par les hommes ou les femmes", etc. (la liste est presque infinie), sont parfaitement égales du simple fait que cela existe. L'existence a pour conséquence la légitimité égalisante. On se doute bien qu'il n'est nullement question de morale ou de norme - il n'y en a plus - ni d'éthique, ni même de vérité, mais uniquement d'une sincérité de l'individu dans son rapport à soi et au collectif. Cette sincérité, qui ne peut être décrite en terme moraux, ni en termes éthiques, ni en terme de vérité, ni fondée en nature, est de la pure subjectivité,  fondée psychiquement, causes et conséquences d'émotions et de pulsions. Si ce magma subjectif n'a rien de moral - et on prend soin qu'il n'ait rien de moral - il entraîne, cependant, une injonction éthique adressée aux autres individus et à la société toute entière qui est tenue, tout d'abord, de respecter la sincérité de mon vécu, et ensuite, de décrèter des lois, de mettre en place des dispositions, qui manifestent, d'une part, sa volonté de voir les normes, oppressives disparaître et, d'autre part, de m'offrir la possibilité pratique d'être celui que j'ai envie d'être, ou que je me sens vouloir être. 

Les amarres naturelles ayant été rompues, on peut naviguer à l'aise vers tous les horizons du possible. Et si, d'aventure, pendant la traversée se rencontre des pirates, des obstacles, on sort les canons de la culture. On vise ainsi les schémas culturels par les armes du culturels. On déconstruit ce qui est de la culture pour reconstruire en culture.
Ses canons, le genre les a fabriqué dans l'officine de la souffrance. Son mobile, le modèle du gender, l'a élaboré dans l'arrière-boutique de la douleur. Si le gender déclare qu'il n'y a pas de normes normantes ou normées, s'il déclare que tout se vaut, s'il fait preuve d'un relativisme dogmatique, c'est en première instance pour qu'il n'y ait plus d'exceptions, qu'il ne puisse plus exister d'anomalies. Le paradigme du genre est donc littéralement "hors-normes", ayant supprimé, par sa pirouette épistémologique, tout ce qui pouvait être tenu pour normal, et ayant fait de l'irrégularité, de l'inégal, son fondement. En celà, le modèle du genre est un modèle anomalique, étymologiquement parlant. L'anomalie pour tous, ou tous égaux dans l'anomalie, est une des expressions de son mobile. 

En ayant donc, déclaré - très arbitrairement, après tout, mais c'est son droit - que le constat du sexe biologique ne détermine que peu, ou rien, de la construction sexuée et que celui-ci  (ce que je sens, ce que par qui se suis attiré) n'appartient qu'à la culture et cela aussi bien dans les schèmes classiques, jugés oppressifs, que dans  les schèmes nouveaux, préjugés égalitaires et libérateurs, le gender peut désormais se livrer facilement à une lecture ou relecture de toute la culture dans tous ses versants. La culture ne sera jamais dans cette perspective qu'un immense fourre-tout, une immense salle de jeux où chacun, à sa guise, définit les règles, comme ses caprices ou ses illusions les lui inspirent. 
Curieusement, à première vue, mais logiquement, on retrouve unis dans ce combat pour le gender, ceux qui veulent la libérer l'enfant des carcans d'une société régie par des adultes et pour des adulte (cette libération pouvant servir à des fins diverses, et parfois, non avouables) ceux et celles qui promeuvent la libération de la femme, les homosexuelles qui prêchant la libération féminine prêchent aussi l'émancipation de la société hétéronormée et hétéronormante, et les homosexuels qui revendiquent la libération des schèmes machistes ou autres, mêmes s'ils jouent, pour certains,  à être plus machos que les machos hétérobasiques. On pourrait compter aussi dans les rangs du gender, comme discours de masse - comme délire commun, je devrais dire - les défendeurs de l'espèce animale. Le paradigme du genre deviendrait ainsi un paradigme d'espèce, il n'y a pas de raison que cela ne soit pas, et déjà certains signes nous montrent que nous allons par là . Le bateau navigue vers tous les horizons du possible sans que rien ne l'arrête : la mer du fantasme est vaste, bien plus vaste que celle de la réalité. On voit que la zoophile tente une approche timide, invoquant le mobile fondamental : s'il n'y a pas d'exception, la zoophilie n'en est pas une non plus. Elle peut très bien prétendre au statut égal et être tenue pour un schème tout à fait respectable puisqu'elle existe. Aussi, la proposition "je suis un homme, me vivant comme une femme, mais attiré sexuellement pas les canidés", est un schème qui demande le respect, la possibilité d'être vécu, sans stigmatisation et sans préjugés. On verra donc sous peu des ligues LGTBIQZ ("i" pour intersexe, "q" pour queer, et "z" pour zoophile. Appelons ces ligues du nom synthétique de "sous la ceinture" cela ira plus vite) jouer les bons apôtres pour qu'évolue cette société patriarcale, machiste, occidentalo-centrée, hétérosexuelle et humaine. Puisque, le temps où nous étions tous issus - intolérable violence - d'un homme et d'une femme, d'un "couple" hétérosexuel ou du moins d'une relation sexuelle hétéroformée ( forger des néologismes est obligatoire) s'éloigne et que vient le jour où on pourra "concevoir" virtuellement sans tenir compte ni du sexe, ni de la différence, ni de l'orientation, ni de la relation sexuelle, on concevra non pas "ex auditu" mais ex absoluto desiderio

Les groupes féministes et/ou lesbiens ont été historiquement les fers de lance du combat pour le genre, des études pour le genre et des recherches pour le genre. On retrouve d'ailleurs souvent dans les chercheurs sur le genre, des personnes émanant des cercles LGBTIQ et qui ont donc un intérêt personnel à ces recherches (ce qui en soit n'est pas un problème, mais qui peut le devenir eu égard à l'objectivité ou à l'impartialité). Pourquoi ? Serait-ce que les lesbiennes américaines dans les années 70 furent soudain prise de probité intellectuelle? Non pas. 
Dans le contexte sociologique de ces années-là, on ne pouvait plus tolérer la souffrance qu'il y avait à être juger, ostracisé, flétri, en raison de son homosexualité. Ce sentiment était raisonnable, juste, normal. L'émotion, légitime, est ainsi partie à la recherche de sa justification intellectuelle. Si la souffrance existait, si la douleur existait, si l'aliénation existait, c'est que certains me faisait souffrir, me faisait mal, que j'étais tenu prisonnier par certains, et qu'ils avaient un intérêt à ce que cela soit ainsi. Ma souffrance, je la devais à un autre, mon aliénation, je la tenais d'un autre. Moi, j'étais parfaitement innocent. Le coupable, c'était l'autre. Tenter de justifier ma souffrance, de la guérir, en cherchant les coupables, c'est ce que propose le paradigme du genre. Il apporte une raison là où tout n'était que douleur, il apporte des raisons là où la folie guettait. Le coupable, c'est la société dans laquelle je vis et qui est incapable de me rendre des comptes sur ce que je suis, ni rendre compte de ce que je suis. Ma souffrance est apaisée au prix de ce sacrifice. La société - sans qu'elle soit définie d'ailleurs - tuée, advient la société rêvée, preuve irréfutable que le coupable est bel et bien, et toujours, la société construite par des modèles oppressants inféodés à une certaine compréhension de la nature. 
Le paradigme du genre va donc élaborer, intellectuellement, une construction culturelle pour justifier ce que l'on tenait jusque là pour une anomalie. Cette élaboration s'accompagne d'une critique radicale de ce qui précède et notamment de l'illusion - c'est le genre qui parle - naturelle. Le mobile du genre est donc, en dernière analyse, émotif, sentimental, romantique, et apparait comme une justification a posteriori. Pour le paradigme du genre, à l'issue de sa recherche sacrificielle de coupable, la nature est redéfinie. Elle n'a plus aucune substance : est naturel ce qui advient, un point c'est tout, ce qui entre dans le champ du possible, du réalisé. Le sujet - mais quel sujet !- seul s'autodétermine en fonction de ce qu'il croit bon pour lui, et surtout en opposition aux normes qui subsistent encore. Cette autodétermination est de tous les moments, et elle exige de se situer de plain-pied dans l'absolu culturel, autrement dit de nier constamment le lien de nature pour refonder la nature des choses ( "nature" n'ayant plus la même acception). 

Pour mieux comprendre, j'illustre ici avec un autre thème. Supposons une société qui fut raciste et qui ne l'est plus, ou peu, mais qui pourrait le redevenir. Cette société est composée d'individus blancs, noirs, etc. Transposé dans cette société, et à propos des différences "raciales", un modèle du type du genre dirait que "je suis noir, je me sens noir, donc je suis noir", "je suis blanc, je ne sens blanc, donc je suis blanc", "je suis noir, je me sens blanc, donc je suis blanc" ou "je suis blanc, je me sens noir, donc je suis noir" sont parfaitement équivalents et n'ont rien à devoir à l'observation première - la couleur effective de la peau. N'est pris en compte que le ressenti - et l'on ne s'attarde pas à tenter d'en expliquer l'origine; cela n'a aucune importance.  Pour lutter contre le discours raciste qui voudrait que parce qu'on est effectivement noir ou blanc, l'on soit "naturellement", pour ainsi dire, assigné à telle ou telle place, un discours proprement délirant dont la visée est de tuer dans l’œuf les velléités racistes, se met en place.  Ce motif est-il suffisant pour rendre vrai ou juste, ou cohérent le discours ? Non, son caractère performatif,  dû au racisme ayant existé ou fantasmé, est strictement volontariste et ne repose sur rien de raisonné, ni de rationnel et, encore moins, de scientifique. 
Si cette société n'avait jamais été raciste. Il importerait peu qu'il y ait effectivement des noirs ou des blancs, cette différence serait non pas niée ou relativisée, mais tout simplement vécue : un noir serait aussi différent d'un blanc, qu'un blanc d'un noir, sans que cela puisse entraîner une quelconque hiérarchie. Dans une société qui est de fait raciste, la différence naturelle induit une différence de traitement fondée en nature. Et le discours qui s'élabore prétend alors que la différence de traitement est induite par la différence constatée en nature. Dans une société qui n'est plus foncièrement raciste, mais qui l'a été ou qui peut le redevenir, on déplace le spectre du racisme, largement fantasmé, autrement dit plus du tout rationalisé, au niveau culturel, en prétendant que la nature n'existe pas ou, que si elle existe, elle ne porte pas, ou peu, à conséquence ; que c'est la culture seule, c'est-à-dire le discours qui se construit à "propos de" qui fantasme l'existence d'une nature qui donnerait des normes ou des indications. L'exclusion de la nature, comme force illusoire et mythogène, se double d'un culturalisme universel, critiqué d'abord, en tant qu'il cultive l'illusion naturelle, et remplacé ensuite, par une autre élaboration culturelle. Le résultat, pour l'exemple donné, est que les différences de couleurs ne sont que du domaine du ressenti, de la construction a posteriori. Je puis donc dire, même si la nature m'a fait rose comme un cochon, que je suis ( "être", n'a plus de lien avec la réalité de l'objet, l'objectivité, mais avec l’expérience instantanée du sujet ressentant ) plus noir que l'ébène, puisque c'est ainsi que je me reçois dans le champ des possibles.


IIeme partie : Analyse de texte. 



Voici donc un "nègre inverti" qui prétend critiquer la critique et dépasser la critique. A vrai dire, cette démarche m'est sympathique. Recevoir la critique, critiquer la critique et dépasser la critique, est l'un des enseignements majeurs que j'ai reçu durant mes études laborieuses. 

(Pour ce qui est du nègre inverti, je ne sais si son inversion touche à sa couleur de peau ou à ses orientations sexuelles. Je ne sais s'il s'agit d'un noir qui se veut blanc, ou d'un blanc qui serait noir en réalité, ou d'un noir qui serait en fait un femme aimant les femmes, ou un blanc vivant sa négritude et qui, néanmoins serait gay. Bref, il s'agit de quelqu'un qui dit de lui qu'il est "nègre" et "inverti". "Dire de soi", le "dire sur soi", le "dire à propos de soi", cela me renvoie immanquablement à la psychanalyse. Je n'ai rien contre la psychanalyse, bien au contraire, mais lorsque l' "ambiance" du moment est de trainer derrière soi un divan, ou pire, s'en charger, comme naguère on se chargeait de sa croix, je trouve que l'ambiance devient vite onirique, cauchemardesque, lapsaire ( cfr lapsus). Les dires sur soi devraient rester cantonnés aux boudoirs de l'amour, à ceux du péché ou à ceux de l’inconscient. Par pitié, n'exposez plus votre âme, surtout quand vous ne croyez plus en avoir. ) 

Cela étant, reprenons. Il faut s'atteler à la lecture de l'article communiqué plus haut.

 "Nous savons ce que sont le Figaro et le Point dans le paysage médiatique français, et à quel(s) public(s) ils s’adressent." 
Cela commence plutôt mal. Tout, déjà, de la suite, est contenu dans cette simple ligne qui apparaît comme l'épigraphe, diablement condensée, de ce que la pensée dira au long de l'article. Donc puisque nous savons tout - qui est ce "nous" ? - quel(s) es(on)t le(s) public(s) - la mise entre parenthèses est évidemment un signe incontestablement d'intelligence - du Figaro, et du Point, nous savons quel est leur contenu et nous savons, a priori - avec toute la force de l'a priori kantien -, ce qu'il faut penser de celui-là.

"Il n’est pas donc étonnant qu’en toute mauvaise foi, ils reprennent, sans critique aucune, l’expression "théorie du genre", forgée à l’origine par ceux qui déclarent s’y "opposer" ; ils ne sont pas les seuls par ailleurs."   
Puisque, a priori, on sait ce que l'on doit penser, il n'y a donc aucune surprise à avoir : mauvaise foi sont propres au Figaro et au Point, c'est même leur fond de commerce, comme il se doit pour tout organe acritique. Donc les deux journaux usent de l'expression "théorie du genre" de mauvaise foi et ainsi font le jeu de ceux qui ont forgé l'expression pour s'y opposer. Et "par ailleurs", ils ne sont pas les seuls. Qui "ils" ne sont pas les seuls ? Le Figaro et le Point ? Ou ceux qui forgent ? Pour ces derniers, non ils ne sont pas les seuls. C'est même le propre de beaucoup : forger. Ainsi, certains forgent l'expression "théorie du genre", et d'autres forgent ce qu'elle recouvre. A ce petit jeu de forgeron, je ne sais pas qui modèle le pire  : les inventeurs d'expressions ou les inventeurs de réalité ? 

L'article poursuit avec l'affaire Money. On apprend ainsi, assez justement d'ailleurs, que Brian Reimer "à l’issue de l’opération, (il) n’avait plus un pénis "normal". Il est étrange de voir ce normal entre guillemets. L'auteur de l'article doit croire, et la lecture de la suite le confirmera, qu'il n'existe pas de normalité dans ce domaine. Il n'y a pas de pénis normal, pas plus que de vagins normaux, pas plus donc, que de pieds normaux, ni de mains normales. "Normal" est un adjectif haïssable (sauf pour un président). Si vos pieds vous empêchent de marcher à cause d'une malformation osseuse, par exemple, rassurez-vous, vous avez des pieds normaux. mais différents, voilà tout. Si vos mains ne vous servent plus de rien parce que vous ne pouvez plus les articuler, et bien vous avez des mains différentes. Si, par exemple, vous ne bander plus pour des raisons organiques, et bien vous avez toujours un pénis, ce qui n'est en soit ni normal, ni anormal.  Qu'il soit "normal" ou non, on s'en moque, cela n'a d'importance que pour un esprit étroit, pour les forgeurs d'expressions, pour les colporteurs de rumeurs, mais pour l'individu qui est au-dessus de tout cela, avoir ou non un organe en état de marche, c'est d'un petit, d'une médiocrité sans nom. A celui-ci qui n'a plus l'usage des ses jambes dites "tu as des jambes tout de même", et s'il ne les a plus "tu en as eu, console-toi",  et s'il n'en a jamais eu (mais ces cas-là sont rares aujourd'hui sauf dans les pays où l'obscurantisme règne, chez nous, on naît bien comme on meurt bien, la naissance et la mort sont présidées par les fées clochettes du bon, du bien, du digne et du sain.) dite- lui "Tu aurais pu avoir des jambes ou pas ". Les jambes, les bras, le nez, la bouche, les sexe, ne sont que des détails qui ne servent à rien, puisque d'un mot je dessine mon corps, d'un mot d'un seul, je me décorpore pour me réincorporer : "je veux !".

"Les parents s’inquiétaient du devenir de leur enfant, dans une société qui place le pénis comme le garant de l’identité "mâle". 
 Pourriture de parents, va ! Le pénis, comme on le sait, n'a rien à voir avec l'identité mâle. Pourriture de société, va ! C'est elle la coupable, elle place "le pénis comme garant de l'identité mâle". Elle le place où exactement ? Elle aurait pu placer autre chose comme garant de l' "identité mâle". Quoi donc ? Je ne sais pas moi, la pomme d'Adam tiens, par exemple. Mais alors, c'est elle qui devrait essuyer tous les opprobres. L'ennui est qu'il faille un garant d'une supposée "identité mâle". L'ennui est qu'il faille des identités, mâle ou femelle. Tout le mal vient du mâle, et un peu de la femelle. Il n'y aurait pas de femelle sans mâle. S'il ne fallait pas garantir le mâle de son identité, on n'aurait pas à le garantir contre l'identité d'un autre, ici, une autre. Et l'on ne placerait pas le pénis sur le contrat de garantie (cela me fait penser à une histoire biblique, mais j'ai dit que je ne parlais pas de religion), on n'étalerait pas, dans leur normalité insultante et illusoire, la marchandise sur la table de travail. On nous foutrais la paix avec ça. On cesserait de s'inquiéter pour des centimètres en moins, rarement en plus,  que l'on soit homme ou femme, homo ou hétéro.  On cesserait de s'inquiéter sur la bonne marche du bidule, que l'on soit homme ou femme, homo ou hétéro. On se moquerait des performances de l'outil qu'il nous colle au corps ou qu'on en profite par rencontre. Tout cela n'aurait plus aucune importance. Mais voilà, cela en a encore et visiblement, pour certains, un peu trop.

Poursuivons la lecture.
"En premier lieu, l’article du Figaro définit la "théorie du genre" comme "la conduite sexuelle qu’on choisit d’adopter, en dehors de notre sexe de naissance". Où avez-vous lu ça ? Comment peut-on se revendiquer de la pratique journaliste, et définir quelque chose d’une manière totalement fantasmatique ! Dans quel ouvrage sur le genre est-il question de "choisir" de manière personnelle une "conduite sexuelle" ? D’ailleurs qu’est-ce que c’est qu’une "conduite sexuelle" ?"  

La conduite sexuelle, Figaro "ou pas", nègre inverti "ou pas", est bien du domaine du choix libre. Ce qui ne l'est pas, c'est la pulsion sexuelle, et partant les orientations sexuelles. On ne choisit pas d'être homosexuel, par plus qu'on ne choisit d'être hétérosexuel. La liberté n'intervient qu'au moment où je me décide à donner corps aux pulsions et/ ou aux orientations sexuelles.  Vais-je me livrer aux orgies hétérosexuelles ? Vais-je assouvir mes pulsions homosexuelles ? Et comment ? Que la liberté soit difficile à exercer, ou qu'elle puisse être sous influence, ne font  pas qu'elle n'existe pas. C'est même d'ailleurs l'un des fondements du paradigme du genre. La formulation prêtée au Figaro n'est pas heureuse, soit. Une conduite sexuelle n'est pas à mettre en rapport avec le "sexe de naissance". Réduire le paradigme du genre, à une histoire de conduite, c'est faire du moralisme et ce n'est pas rendre compte de ce que se propose le modèle théorique du genre.
Cependant, à la question : "dans quel ouvrage sur le genre est-il question de "choisir" de manière personnelle une "conduite sexuelle" ?"  Dans tous, est la seule réponse valable.  En effet, c'est le mobile même du paradigme du genre : vivre en conformité avec ce que je ressens de moi, de mon corps, de mon sexe, ou non-sexe. Si le paradigme du genre n'avait aucune implication pratique et bien fermons boutique, et arrêtez, chers chercheurs du genre, de couper les cheveux en quatre.

D’ailleurs qu’est-ce que c’est qu’une "conduite sexuelle" ? Demande le nègre inverti ? Je pourrais ici étaler les références à des déontologies propres dans certains milieux gays qui, en guise de code moral, les stipules noir sur blanc : cela, par exemple, s'appelle une conduite sexuelle. En deçà même de la déontologie des rapports sexuels, il y a conduite sexuelle. Mais le nègre inverti a flairé, à juste tire, la morale - l'éthique dira le contemporain - et comme on sait la moral sent mauvais. Le nègre inverti - je ne m'y ferai pas, je crois - recule et crie : "Qu'est-ce qu'une conduite sexuelle ?"

Vient alors la définition des études sur le genre :
  "Comme ça l’a déjà été dit maintes fois, les études sur le genre analysent le sens social donné aux différences entre des personnes naissant avec un pénis, et d’autres avec un vagin. Vous n’avez jamais voyagé ? Vous n’avez pas de télé ? Vous n’êtes pas au courant que selon les cultures (ainsi que selon les époques), le sens attribué à ces différences varient ?
De plus, concernant ce choix "de manière personnelle", il est bon de rappeler qu’analyser le genre comme catégorie sociale, c’est prendre en compte les contraintes politiques (lois en place, mouvements sociaux organisés), économiques (moyens dont chacun dispose) et culturelles (ressources et marges de manoeuvre disponibles dans tel univers culturel) qui pèsent sur ce qu’il nous est possible ou pas de faire. En fonction des époques et des pays "changer de sexe" n’aura pas le même sens, parce que le contexte et les moyens possibles ne sont pas les mêmes." 
Les études de genre concernent donc le "sens", et le sens social plus précisément, que l'on donne aux différences entre les personnes qu'elles soient nées avec un pénis ou avec un vagin. Il n'est pas question dans la définition donnés de différences entre les hommes et les femmes, ni entre le pénis et le vagin, ni même de la possible interprétation données à ces différences. Il est question de différences entre les personnes - le genre s'occupe de celle concernant le sexe - et du sens social qu'elles ont ou plutôt qu'on leur donne.  Ce sens, et celui qui a voyagé ou regardé la télé le sait, varie dans l'espace et dans le temps, pour la bonne et simple raison qu'il s'agit d'un fait culturel. Le genre, cette "catégorie sociale" culturelle, donc, prend en compte la politique, l'économie, et la philosophie, que cela soit sous le rapport de la contrainte ou non. Mais pour le genre tout est contrainte, tout pèse sur ce qu'il est possible de faire ou ne pas faire et, donc, "en fonction des époques et des pays "changer de sexe" n’aura pas le même sens, parce que le contexte et les moyens possibles ne sont pas les mêmes."  Forcément. La question soulevée ici est non seulement d'ordre philosophique mais anthropologique. Et le passage cité fait preuve d'une totale confusion. Une confusion toute poétique, estampille des temps qui courent. Par "poétique", il ne faut pas comprendre quelque chose de littéraire ou d'esthétique, mais bien le prendre au sens le plus littéraire : dire c'est faire, ce que l'on dit est, par le truchement de la parole performative, ce qui est. Alors que la saine philosophie voudrait que ce soit ce qui est qui soit dit. Dire précède aujourd'hui toute vérité objective, la parole, et la parole subjective, fait advenir un réel qui ne se matérialise jamais, qui reste du pur fantasme et qui confine au délire.

Poursuivons.  

"Précisons tout de même que je n’aime pas en contexte occidental tellement ethnocentré prendre des exemples de pays non occidentaux, car cela amène toujours certain-e-s à se sentir supérieur-e-s et "plus avancé-e-s.."  

Lieu commun, antienne, ritournelle. Il est vrai que les Chinois ne sont pas ethnocentrés, pas plus que le monde arabe, ni même je ne sais quelle peuplade paradisiaque de l'Amazonie heureuse. Ce qui est évident, c'est que le monde occidental est le seul à se dire explicitement ethnocentré et le seul à craindre et à critiquer sa prétendue supériorité, il est le seul à s'en défier et à battre sa couple dans un réflexe qui, lui aussi, tient de la posture collective largement parasitée par, je ne sais, quel autre délire mimétique.

"Je ne résiste pas à me saisir de cet exemple :  en Albanie et au Kosovo, "changer de sexe" pour passer de fille à garçon – uniquement dans ce sens – répond à des logiques économiques, lorsqu’une famille n’a pas de descendance mâle. Ce n’est pas du tout révolutionnaire : c’est un devoir au nom de la communauté, ce qui est totalement étranger à la vision occidentale. Le genre, construit social, ça commence à vous parler ?
Il fait bien M., ou Mme.,  nègre inverti de ne pas résister. Albanie et le Kosovo, sont donc au Proche-Orient... intéressant, ou alors il faut redéfinir ce qu'est l'Occident et ce qu'il n'est pas. La définition dépendra sans doute de ce qu'on voudra en faire. Aussi, l'Occident et l'Orient seront, eux-aussi, soumis à un paradigme du genre sui generis - c'est le cas de le dire - où on trouvera un Occident oriental, un Orient occidental, un Orient oriental et un Occident occidental. Il suffit de dire pour que cela soit. Privilège divin, à vrai dire, mais ne parlons pas de théologie ici.
Donc au Kosovo et en Albanie pour changer le sens de son sexe (changement de sexe, qui n'en est pas un, cfr article ci-dessous) l'on est embarqué dans des logiques économiques : une famille n'a pas de descendance mâle et bien que cela ne tienne on fera un mâle d'une fille. D'après nègre inverti,  le phallus est dans le porte-monnaie. Ce geste n'est aucunement révolutionnaire, il s'inscrit dans une logique communautaire, logique totalement incompréhensible, bien sûr, au monde Occidental. Alors oui, le genre, construit (sic) social, ça ( un ça tout freudien) continue à me parler.
( Dans les sociétés où "être un homme" veut encore dire, à tord ou à raison, quelque chose, on préférera s'équiper d'un pénis - qui, on se rappelle, n'a strictement aucune espèce d'importance dans l'identité mâle - ou de ce qui le signifie.  Dans les sociétés où "être un homme" est quelque chose de très confus, devenir tous des femmes est la logique dominante. Mais on peut passer d'une logique à l'autre, et les deux logiques peuvent coexister dans un même discours. René Girard, à propos de tout autre chose, explique parfaitement ce genre de paradoxe. Il est intéressant d'apprendre que ses femmes ayant assumé tous les signes de l'être-homme doivent cependant, telles des religieuses, faire, d'après l'article "vœu de célibat et de chasteté"(aucune descendance donc, même en tant que mâles). Comment cela se traduit-il ? Je ne sais. Je suspecte cependant d'autres choses qu'un banal désir d'émancipation signalé par un "vœu".)

L'article poursuit avec des remarques sur l'intersexualité. L'auteur signale ici que l'anomalie d'avoir deux sexes, ou deux ébauches de sexes, n'est nullement une anomalie, mais est un sexe en soit. Et que le crime, médical, est justement de vouloir ici corriger ce que la nature à fait. La nature se réinvite à l'occasion dans le modèle du genre quand cela l'intéresse. Toutes les anomalies sont naturelles, voulue par Mère Nature, et il faut respecter ses choix. Surtout ne pas vouloir apporter un correctif à la nature. Mais si vous êtes né femme et que vous voulez changer de sexe parce que vous vous sentez homme, il n'y a aucun problème, le corps médical est ici sommé d'intervenir pour satisfaire votre lubie ou votre désir. Dans le cas de l'intersexualité ou de l'hermaphrodisme, la médecine est priée de se tenir coite et de ranger le scalpel.

Après ces remarques pertinentes, nègre inverti en arrive au gros morceau : le Docteur Money. Il n'est pas aimé le Money, par personne, mais pour diverses raisons. Money, c'est le Janus du sexuel. Le dieu à deux visages, le schizophrène de service. Pour les uns, péché originel du "gender", pour les autres, incarnation médicale du stéréotype de la société patriarcale et phallique. Nègre inverti, choisit ce visage-là, parce que ça l'arrange : 

"si cet enfant a subi un changement de sexe forcé, ce n’est pas parce que le médecin remettait en question les rôles de genre, mais parce que lui, tout comme les parents, étaient profondément acquis aux normes de genre traditionnels : ils considéraient qu’un petit garçon, et plus tard un homme, ne pourrait pas vivre une vie de "mâle" sans "pénis normal". Ce sont eux, qui pour correspondre aux attentes traditionnels de la masculinité, on préféré le transformer en fille."

L'argument semble faire mouche. Si Brian devient Brenda, c'est parce que Money et les parents croient qu'il est impossible désormais que le petit garçon puisse vivre une vie de mâle, eu égard au traumatisme subit par son pénis. Donc, Money et les parents, comme il est logique, transforment le petit garçon en petite fille. La vérité est que Money, imbu d'idée de genre - idées qui iront en s'enrichissant, après lui - pense que le "genre" n'est pas lié au sexe biologique, et donc envisage sereinement la "transformation". Non seulement Money se trompe en restreignant le "sexe biologique" à un organe - ici endommagé - et il se trompe en pensant qu'il suffit de changer l'organe pour avoir un autre genre. Money n'est pas du tout le garant de je ne sais quelle société patriarcale, machiste et traditionnelle,  il est le premier à disjoindre, à sectionner le lien organique entre sexe biologique, nature et réalisation sociale d'une personne. Le premier à penser que l'éducation peut, si elle veut, faire d'un petit garçon une petite fille. Money, pour que l'éducation porte vraiment ses fruits, fait du petit garçon Brian, une "vraie" petite fille Brenda : il touche à la nature au nom de la culture.
Lorsque, dans la suite de l'article, nègre inverti pense que "  ce n’est pas parce qu’on a un organe mâle "cassé", ou qu’on en n’a pas du tout, qu’on ne peut pas être un homme" et qu' "une personne née avec un pénis dit malformé, ou accidenté en grandissant, de même qu’une personne qui devient un homme par changement de sexe, sont bien des hommes" parce que  "différentes expériences de la masculinité (ou des masculinités) n’en font pas moins des hommes",  il commet la même erreur que Money, et la conduit plus loin encore. Pour nègre inverti, il n'est même plus nécessaire de faire le changement de sexe, il suffit de se croire homme ( ou femme) pour être un homme ou une femme. Le lien avec le sexe organique que maintenait encore Money, les adeptes du genre contemporains l'ont coupé radicalement. La masculinité ou la féminité sont indépendantes de quelconques organes visibles. Le réel est dans la parole performative, sans qu'il soit nécessaire de se poser la question de l'origine de cette parole qui fait qu'à un moment donné je puisse dire ayant des organes féminins, étant une femme biologiquement parlant :  "je suis un homme".
Si Bruce à été "charcuté" c'est que, dans une intention thérapeutique, Money pensait qu'il suffisait de changer effectivement de sexe et de recevoir une éducation (culture) appropriée - autrement dit que la féminité ou la masculinité sont le résultat d'un impact culturel ( ce que pense le "genre") - pour que la réalité sexualo-existentielle d'un individu change. Il n'en est rien et , en l'espèce, ce fut même dramatique. Faire de Money, le sorcier tragique de la société normée et oppressive est une vaste blague. Money n'est pas Butler ni ses comparses saphico-féministes certes, mais il est le germe de l'arbre du genre. Et sa volonté personnelle était bien de "remettre en cause les normes de la société " comme, du reste, le prouve aisément toute son implication dans l'apologie de la pédophilie dont ce "tripotage" chirurgical ne fut qu'un des nombreux aspects.

Que certaines personnes, opposées aux paradigmes développés par le genre, en reviennent systématiquement à Money est donc parfaitement compréhensible. Ils y voient, en effet, la "fable" - pour reprendre une notion Certeausienne - du "genre", son cas princeps et, oui, son "péché originel". Les études ou les recherches de genre ne feront que reprendre et développer l'intuition première du Docteur Money, sans toutefois lui prêter allégeance, ce qui n'est pas indispensable pour considérer qu'il y a effectivement un lien généalogique. 









vendredi 17 janvier 2014

La tentation de saint Antoine ou le désert inversé.

Vers la fin de l'année 2013, je fus saisi d'une virulente obsession : la tentation de saint Antoine. Je ne sais comment cette figure c'est imposée à moi.   La "Tentation de saint Antoine" m'est devenue le paradigme inversé de ce que nous vivons en tant que société.
Antoine est cet individu qui, au petit jour de l'ère chrétienne, quitte le monde pour fuir, se retirer au désert. Au désert, il trouve, ou croit trouver Dieu, jusqu'à ce qu'il soit pris de violentes tentations qui mettent en danger sa retraite, sa quête et ce qu'il avait déjà trouvé. 
Les récits légendaires, les œuvres plastiques, retraçant cet épisode de la vie du saint, varient sur la matière et les formes de la ou des tentations. Cependant, un trait semble commun : il s'agit d'un déchaînement pandémoniaque d'une rare intensité. L'acuité de la crise est d'autant plus sensible, plus remarquable qu'elle se déroule précisément au  "désert", c'est-à-dire un monde vidé de sa vanité, l'espace théorique de la retraite, voire de la fuite de ce qui, normalement, est considéré comme le lieu propre de la tentation, à savoir, le monde habité et toutes ses vanités.

Toutefois cette tentation formidable d'Antoine eut un précédent illustre : celle du Christ. On se souvient de l'épisode évangélique : Jésus, après son baptême, part au désert - l'évangéliste dit "conduit" ou "poussé" par l'Esprit Saint - pour quarante jours et y est tenté à trois reprise. Le récit évangélique mentionne la finalité explicite de ce séjour érémitique : "pour y être tenté". Le désert est donc le lieu normal de la tentation, en tout cas pour le Christ, qui, nouvel Israël, "rejoue", en un temps synthétique, la longue pérégrination désertique de l'Israël vétéro-testamentaire. Pour celui-ci, les quarante années de voyages dans les sables et les roches physiques, et ceux, plus terribles, de l'esprit détaché de tout, avaient été une continuelle tentation, et notamment de retour en arrière, aux "oignons d'Egypte", à la servitude ancienne qui, vue du désert, ne paraissait plus aussi formidable. Ah, les "oignons d’Égypte" ! même avec des chaînes, ils étaient plus savoureux, que la manne frugale et la soif brûlante. L’Égypte, son joug, ses fardeaux, son carcan, valaient mieux, en fin de compte, que cette marche libre mais exigeante faite à l'ombre de Dieu en direction de la terre de promission. 


Le Christ donc est tenté au désert. Tenté une première fois du point de vue de la nourriture, une seconde fois de celui de la puissance religieuse et une troisième du point de vue de la puissance politique. Le Christ déjoue les trois pièges sataniques et sort victorieux de ce combat avec l'esprit mauvais. Le pain, fut-il manne, n'est pas la seule nourriture; être messie glorieux n'est pas selon les vues de Dieu; le royaume de Dieu n'a rien à voir avec les royaumes de la terre.
Antoine, à la ressemblance du Christ, connaît un combat similaire dans le désert, lieu vide de tout, sauf de Dieu et de l'esprit mauvais. Ce n'est pas que le second soit le pendant obligé du Premier, mais c'est que là où la grâce doit surabonder, il faut parfois que le péché abonde. Là où la pure grâce doit paraître, l'immonde fait ses pitreries. Antoine sort, lui aussi, vainqueur de ses accès démoniaques, des hallucinations, des doutes, des méprises : il a vu la bouche béante de l'enfer mais la lui referme aussi sec.
Ce qui est remarquable c'est, une fois encore, que le lieu de cette sarabande soit le désert, là où rien ne devrait, a priori, avoir lieu, et où  pourtant tout arrive, là  où se joue ce drame.

Nous, comme société, vivons aussi dans un désert. Il n'a rien de comparable à celui d’Égypte : le nôtre est déjà habité, il est déjà possédé : d'emblée nous en avons expulsé Dieu et la place, l'immense place, laissée vide est occupée par l'immonde. Notre désert est l'espace de la surabondance de l'ignoble;  notre désert est un méta-désert, un désert de seconde main, un désert plein de tout mais archi-vide d'Esprit. Notre mouvement de fuite n'a pas consisté à quitter les vanités pour le vide, mais à laisser le vide se remplir de vanités. Et depuis, nous y sommes à l'heure extrême de la tentation de saint Antoine; c'est notre heure commune, celle qui nous colle le plus identitairement à la peau. 
Nous ne voyons pas seulement l'enfer, nous le faisons apparaître et nous choisissons ce qui apparaît. Nous préférons la promesse des vanités que celle d'un espace nu qui donnerait prise à Dieu. Nous préférons un désert peuplé d'hallucinations mortelles, à cette marche longue, rude, austère vers la terre de promission.  Nous ne sommes pas de l'Esprit de Christ - qu'avons-nous d'ailleurs affaire avec lui ? - notre pain est substantiel et solide, du  bon vrai pain; notre folie religieuse est de l'hybris; quand à la puissance politique : on adorerait les chiens pour avoir une parcelle de pouvoir. Ce n'est plus que le Royaume de Dieu ne soit pas de ce monde, mais qu'il nous importe peu qu'il y ait autre chose que ce monde et ses vastes déserts aux mirages.