mardi 4 octobre 2016

La fabrique des saints.

Après la fureur de l'été, un été mi-pluie mi-soleil, mi-camion mi-couteau, écrasement entier pourtant après les flons-flons nationaux, égorgement entier cependant pendant la messe, aprés un été furieux, l'heure semble être, du côté catholique aux strass et paillettes, si l'on peut dire. On parle, en effet, d'une béatification possible du Père Hamel, le prêtre sauvagement assassiné pendant cette furie estivale. Devant les réactions quelques peu émotives des uns et des autres - émotives et idiotes, ce qui souvent va de paire - il est peut-être nécessaire d'apporter quelques petites lumières au dossier.
Si le Père Hamel est un jour béatifié, il le sera en qualité de martyr. La sémantique aujourd'hui est, comme bien d'autres choses, une fille perdue et le lexique un enfant sans généalogie. Les mots sont sans le sens ou adoptent le sens qui leur convient au fur et à mesure de l'abrutissement général. Aussi "martyr" n'a plus le sens spécifique qu'on lui donnait il y a encore quelques générations. Par les temps qui courent tout le monde est martyr, tout le monde vit un vrai martyre. On est martyr de son patron, de sa femme, de son voisin, de ses enfants. On vit le martyre sur un lit d'hôpital, sur une méridienne, chez soi ou en voyage, dans des chaussures trop étroites ou dans une situation de travail trop stressante. Cette acception de "martyr" n'est  qu'analogique. "Martyr", comme il est bon de le rappeler vient du grec "martus", mot qui signifie "témoin". Le martyr est donc un témoin, il porte témoignage. Celle qui souffre le calvaire dans ses escarpins neufs de quoi donc témoigne-t-elle ? A quoi ou à qui rend-elle témoignage ? A sa coquetterie tout au plus. A proprement parler donc, il n'est de martyr que chrétien - avec une exception pour Israël où, par exemple, les fils Macchabée sont d'authentiques martyrs - puisque, normalement, la mort du chrétien doit rendre témoignage au Christ. Celà est plus vrai encore de celui (celui ou celle, cela va sans dire) qui est assasiné en raison même de cette identité chrétienne et qui au moment fatidique choisit son attachement au Christ plutôt que l'attachement à sa vie. C'est même là, la définition du martyre chrétien : être tué en haine de la foi ou de vertus proprement chrétiennes. Ailleurs le martyre peut être de mourir volontairement pour Dieu, voire se faire sauter le caisson en entrainant d'autres dans le boum. Cette conception du témoignage radical n'a jamais été celle du christianisme où toute mort volontaire est une faute contre la Vie. Les personnes mourant sous les roues d'un camion, où celles tuées à la terrasse d'un café, ne sont pas des martyrs : tout martyr est une victime, toute victime n'est pas un martyr. Ceux donc qui croient que parce que l'on béatifierait le Père Hamel, en qualité de martyr, l'on déconsidèrerait la qualité de victimes des autres personnes mortes de la main des mêmes assaillants, font fausse route. Ils confondent tout.
Reste à voir si le Père Hamel est "techniquement" parlant, du point de vue de la procédure canonique, oui ou non un martyr. Pour qu'il le soit, et c'est ce que le procés - dans son cas - doit déterminer, il suffit qu'il fut assassiné en haine de la foi ou du christianisme et que là soit la seule et unique raison directe de son assassinat. Si tel était le cas, le Père Hamel est effectivment un martyr dans le plein sens du terme, sinon il est une victime sans autre spécificité. L'Eglise seule est apte à juger de ce statut de martyr, puisque Elle seule fait les saints, les siens en tout cas. Il semblerait, à première vue, que le Père Hamel ait été tué en haine de la foi. Il semblerait donc qu'il soit effectivment un martyr. Il semblerait donc qu'il puisse  être porté sur les autels.
Une autre question surgit alors. Pourquoi cette précipitation ? Les procés de canonisation font partie d'une procédure longue qui conduit un individu lambda à la gloire d'un culte public, culte de vénération et pas d'adoration (différence entre le culte de dulie et de latrie). Les béatifications et les canonisations ont connu plusieurs formes tout au long de l'histoire et sont donc insérées dans un contexte ecclésiologique et social. Il y a une sociologie des canonisations autant qu'une approche ecclésiologique. Depuis Jean-Paul II, l'observateur peut noter une nette tendance à une démocratisation et à une simplification des procédures. Jean-Paul II a canonisé à lui seul autant que l'ensemble de ses prédécesseurs. Il a en outre simplicifié considérablement la prodécure en supprimant deux des miracles qui étaient nécessaires pour se voir béatifié ou canonisé. Benoit XVI a suivi en dispensant, par exemple, la cause de Jean-Paul II du délais obligatoire de cinq années, après la mort du candidat, avant l'ouverture d'une cause. Ce délais, pourtant, a l'avantage de faire tomber l'émotion et de constater avec plus d'objectivité, et l'absence de culte public organisé, et l'attachement des personnes au serviteur de Dieu décédé. Le pape François suit les pas de ces prédécesseurs directs : pour la cause de Jean XXIII, dispense du miracle nécessaire; canonisations équipollentes plus fréquentes pour d'autres cas, et dispense du délais des cinq ans pour la cause du Père Hamel, si cela se confirme.
Il semblerait bien que l'on assiste à une mise en place de canonisations expresses. (L'histoire conserve le souvenir de canonisations rapides, par exemple saint Antoine de Padoue fût canonisé un an après sa mort, mais à l'époque, les procès n'existaient pas. On fonctionnait encore avec le fameux adage "vox populi, vox Dei. C'est précisément pour limiter la précipitation et donner une solennité plus grande aux canonisations, qu'une procédure fut instituée.) Depuis Jean-Paul II, l'Eglise catholique voit comme une urgence de fabriquer des saints, et de les faire nombreux et variés : des deux sexes, de toutes conditions de vie (mariés, religieux, prêtres), de tous les âges (de l'enfance la plus tendre à l'âge le plus vénérable). Parmis tous ceux-ci, la catégorie la plus représentée est bien celle des martyrs : contingent des martyrs d'Angleterre, ceux du Mexique, ceux de la guerre civile espagnole. Il suffit de lire le martyrologe pour se rendre compte que tous les jours, il est fait mémoire de plusieurs martyrs et bien souvent de martyrs contemporains. Alors faire du Père Hamel un martyr français contemporain, cela a-t-il un sens ? Oui, bien évidemment. Cela a un sens pour les catholiques français et européens : cela veut dire que l'on peut aujourd'hui encore être appelé à être logique avec soi-même et à donner témoignage, jusqu'en sa mort, de sa foi : cela s'appelle la fidélité. Dans un continent où la foi chrétienne se comporte comme un lichen sur un tronc d'arbre, cette béatification peut intervenir comme un signe de vie et de vivacité paradoxalement. Mais surtout comme une injonction à la logique chrétienne qui n'attend pas la mort pour commencer à être logique. Mais faut-il cependant aller vite ? Dieu a tout son temps, l'Eglise a le sien - qui s'accélère, il semble -, nous, nous ne l'avons pas. A nous, hommes du XXIème siècle, il nous faut du haut débit, sinon nous oublions... Nous oublierons tout de même, mais en allant vite il se peut qu'une étincelle nous éblouissent un instant. Un instant ? Le "kairos", comme disent les hellénistes versés dans l'exégèse, autrement dit le temps de la grâce qui, lui, n'est ni lent, ni rapide.