dimanche 27 novembre 2016

L'affaire des affiches.

La semaine dernière la France a été secouée d'une nouvelle polémique, de ces polémiques que l'on aime tant ici : aux yeux de tous, des affiches placardées, ici et là, faisaient publicité des amours quelque peu volages de la gent gay. Et d'aucuns se sont émus. D'aucuns parmi les catholiques surtout. D'aucuns catholiques exclusivement d'ailleurs. Et au Ministère de la santé - qui toute chose étant s'occupe aussi de ce que l'on doit désormais appeler les elgébétés, étant donné que, si le sida ne les concerne pas exclusivement, il les concerne suffisamment pour que la communication publique, sur ce sujet, soit de façon prépondérante destinée à cette niche - a vu rouge et Marisol Touraine a piqué une colère.

Ce que certains catholiques n'ont toujours pas compris - ou accepté - c'est que la République française est laïque , autrement dit qu'elle se vit désormais comme étant sa propre origine, son propre maître et son unique fin. Laïque et a-religieuse et quand elle est de gauche, elle a, en outre, la volonté d'être parfaitement irréligieuse. Elle ne tient plus compte du sentiment religieux, le rejette dans la fameuse "sphère privée" avant de le pulvériser puisque, pour la gauche, le privé est l'antichambre de la disparition.
Il faut le reconnaître, les dites affiches n'avaient rien de bien érotique, en tout cas pas visuellement, et encore moins de pornographiques et ceux qui y ont vu je ne sais quelle promotion de la pédophilie - certaines affiches se trouvaient aux abords d'école - nagent dans une espèce de délire batailleur. C'est d'ailleurs ce qui caractérise cette frange, bien peignée, du catholicisme français : la bataille, la guéguerre. On veut en découdre afin de restaurer un succédané de chrétienté et de faire de la "fille ainée de l’Église" une espèce de gardienne universelle de la vertu. C'est louable, mais c'est vain. Ce catholicisme-là est un catholicisme de combat répondant d'ailleurs au socialo-elgébétisme combattant, lui-aussi. Bref, jeu de double et de rivalités.
Plus sérieusement, ce qui heurtait le sentiment religieux dans les affiches ce n'était pas tant l'image que le texte. A première vue d'ailleurs ce texte était assez banal mais malgré cette banalité désespérante, il avait, pour une fois, la vertu de dire le vrai. Oui, voilà que les affiches émanant des imprimeries du Ministère disaient la vérité de ce que pouvait être une vie amoureuse gay. Voilà la vérité que le catholique n'a pas su voir, ou plutôt qu'il a vu mais qu'il a mésinterprété. Une invitation à la débauche ? Sa promotion ?Non, mais l'énoncé purement réel des relations gays : "pour la vie, pour un temps, pour un soir".  Le premier membre de l'énoncé étant - je parle d'expérience - plus rare, ce qui est simplement revendiqué ou annoncé, c'est la profession de libertinage qui, s'il n'appartient pas exclusivement à l'univers gay, lui colle cependant à la peau pour plusieurs raisons que nous n'allons pas évoquer ici. La promotion du mariage gay à pu faire croire à la perpétuité romantique, aux toujours qui durent et qui durent jusqu'à ce que la mort séparent, mais dans les faits, les choses sont plus complexes et comme me le disait une ex-connaissance très gay : le "grand  écart" semble être la règle de vie de plus d'une personne gay. (Petite remarque en passant, j'utilise "gay" sciemment. Le "gay" pour moi est la personne homosexuelle qui non seulement assume son homosexualité, en fait la publicité mais règle sa vie sur les modes et modèles appartenant en propre à une "culture" homosexuelle de sorte de tous les individus agissant ainsi constituent une "communauté" d'intérêts, de goûts, de lieux, de référents. Ce qui a de terrible, c'est que quelque chose, de très diffus, pousse toutes les personnes homosexuelles - je n'aime pas ce terme, mais je n'en ai pas d'autre - à devenir "gay" et a souscrire aux valeurs ainsi vécues par la dite "communauté". Le penchant sexuel devenant l'étalon (sic) d'une vie entière.)
La République partage avec l’Église un vocabulaire commun : mariage, amour. Mais ce que l'on met sous ces mots est très différent. La République à piquer à l’Église le "mariage" avant d'en faire autre chose. Et aujourd'hui les catholique en sont encore à vouloir reprendre ce qu'ils estiment leur appartenir : le mariage et l'amour. Mais ce qu'ils doivent comprendre, c'est qu'une chose est leur "mariage", une autre le "mariage" républicain. Une chose se veut être leur "amour", informé par la charité divine, une autre est l'amour profane. Et rien ne sert de se crisper devant des affiches qui non seulement relativisent le mariage républicain, profane le mariage chrétien, mais expose un amour en miettes. Il faut que les catholiques cessent de rêver tout haut. Il y a une césure irréparable entre eux et la République laïque. A moins de cela, ils s'engagent sur des voies épuisantes et sans fécondité. Ce qu'il faut défendre, c'est la possibilité de liberté. Celle de dire ce que l'on pense et ce que l'on croit. De résister à cette "sphère privée" où l'on veut nous mettre, et de dire à temps et à contretemps ce qui est notre conception des rapports humains. De son côté, la République doit comprendre que ce qu'elle appelle ses "valeurs", parfois de façon indue d'ailleurs, ne sont pas forcément, toujours, partagées par tous et qu'elle ne saurait contraindre à ce que tous les fasses siennes, purement et simplement.

Mais revenons aux affiches incriminées. Elles n'avaient pas pour elles la beauté, loin de là. C'est d'abord cela qu'il aurait fallu dire.  Quant à être libertines - et hygiénisto-libertines (n'ayons pas peur de la schizophrénie : la santé c'est moral, la morale, c'est ringard) qu'elles fussent au moins belles. Au lieu de quoi ces placards idiots étaient sans art et fort laids, ce qui accroît fortement leur immoralisme. Une laideur toute administrative, sans âme, comme est sans âme la prophylaxie commune pour le sida. Voilà, jointe à la laideur, l'autre tort de ces affiches. Un tort qu'elles partagent avec une multitude de chose émanant de notre siècle : le manque d'âme. Mais il est vrai, "âme" appartient au vocabulaire religieux. Le monde moderne et la République ne sont pas des affaires d'âmes : on peut aimer le "petit prince" et manquer cruellement d'âme. Ce monde-ci et la République n'ont pris en héritage que le corps, le corps étalé-là, le corps vidé, le corps sans âme autrement dit le cadavre. Nous sommes ainsi, à regarder de ce côté-ci du vivre-ensemble, que des cadavres ajournés, des morts -vivants pour qui "une vie" vaut bien "un soir" et "un soir" vaut bien "un temps". Tout est relatif parce que tout est déjà mort de cette mort qui nous clouera le bec une bonne fois pour toutes. Car mort est Dom Juan, et mort est Casanova. Sade est mort lui aussi et mort son plaisir, seul règle de sa foutue morale. Et je peux m'imposer bien cette néo-morale qui consiste à me garder en bonne santé, à maigrir, à faire de sport dans des cages comme lapin de batteries, de me garder svelte et de jouir sans cesse, c'est un homme sans espérance d'outre-tombe qui pète la forme, mince comme une limande, courrant à en perdre haleine, au  fessier de marbre callipyge, qui baisse à couilles rabattues, c'est un cadavre qui jeûne, qui sue, qui s'éclate avant d'enfin devenir pleinement ce qu'il est déjà, dans une fosse froide, noire et humide. Et même Marisol y passera, elle le Ministre des zombies.
Laïque ou catholique, tu mourras. La différence est que le catholique porte en lui l'espérance de ne point mourir entièrement. Mieux : il porte en lui l'amour et l'espérance que quelque chose de lui déjà ne meurt plus. Le catholique n'a plus peur, ni de Marisol Touraine, ni des affiches, ni de mourir car déjà il est entré là où la Vie est souveraine. Ce soir, non pas pour un temps, mais pour la Vie, le catholique, s'il le veut bien,  est du côté de Dieu. Ce n'est pas une question de morale. C'est une question d'âme. Cette âme qui informe le corps. Cette âme que l'on cherche partout en ce monde et qui semble se réfugier dans des recoins sombres.
L'affaire des affiches a au moins le mérite de révéler, par l'absurde, qu' "homo erectus" n'est pas uniquement un homme en érection. Et Sade lui-même, dans ses délires libertins, hurle que l'âme demande à vivre.